Giochi dell'Oca e di percorso
(by Luigi Ciompi & Adrian Seville)
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"La troisième Rèpublique"
Autore: Girard&Quetel 
La période qui s’étend de la naissance de la IIIe République à 1914, et tout particulièrement la période d’instabilité politique qui s’installe en meme temps que la République radicale, à partir de 1885, ont vu, consécutivement à l’instauration d’une relative liberté de la presse, l’avènement des jeux de l’oie "d’opinion", tantot sérieux, tantot satiriques, mais toujours très engagés.

La satire politique
Dès la chute de l’Empire, un "Jeu de l’oie parlementaire" inaugure l’ère des jeux de l’oie "chansonniers". La République n’est pas encore officiellement commencée que les moeurs parlementaires y sont déjà moquées. Deux camps s’y opposent dans un jeu en forme d’hémicycle : la droite et la gauche. Le parcours de la gauche se distingue par l’agitation de ses députés: cases de murmures, d’applaudissements, de sifflets, de protestations, d’incident sur le procès-verbal, d’interruption, sans oublier les classiques "rires à gauche". Du meme tonneau, le "Jeu de lois" (Musée du Charivari) édité en 1872, est une satire contre le Second Empire et dénonce rétrospectivement la privation des libertés, le cléricalisme (la case 18 ne propose-t-elle pas déjà la séparation de l’Eglise et de l’Etat ?), la corruption des moeurs et plus encore une politique de grandeur qui a mené à la défaite. Tandis que dans les coins, des balais font table rase du passé, la case 62 se prononce sans équivoque sur l’alternative de la Commune symbolisée par un bidon de pétrole. Une seule issue, à la case 63: la République.

Le "brave général" Boulanger
Les jeux de l’oie n’ont pas manqué de saluer comme il se devait les crises de la République radicale, à commencer par la crise boulangiste qui de 1886 à 1889 manque de mettre à bas une république encore fragile. Deux jeux, l’un pro-boulangiste bien que caricatural : "Le général Boulanger" paru dans un encart du Figaro avec son curieux éventail boulangiste, et l’autre anti-boulangiste (d’ailleurs guère plus amical à un camp qu’à l’autre): "Camp boulangiste, camp parlementaire", publié par "L’Assiette au beurre". Ces deux jeux offrent évidemment deux visions parfaitement opposées de l’odyssée du général Boulanger. En 1886, dans un climat de désillusion à l’encontre des républicains, d’instabilité gouvernementale et d’hostilité au parlement, grandit la popularité du général Boulanger, de belle prestance et qu’une carrière rapide et brillante a mené au Ministère de la Guerre d’où il a réorganisé le service militaire, à la satisfaction générale. D’abord républicain zélé, mais belliciste et revanchard (on l’appelle le "Général Revanche"), il finit par inquiéter le gouvernement qui s’en débarrasse en l’envoyant à Clermont-Ferrand, puis à la retraite. Boulanger, ulcéré, se lance alors dans la lutte politique et prend la tète d’une coalition de mécontents au moment meme où éclate le scandale des décorations (le gendre du Président de la République ayant fait le trafic des légions d’honneur à l’Elysée meme !). L’engouement pour le général est prodigieux, et les boulangistes se reconnaissent en portant un oeillet rouge à la boutonnière. Chansons, médaillons, images d’Epinal, témoignent du culte du "brave général" qui, en 1888, est élu six fois député en cinq mois. Mais son programme politique est fort vague ("Dissolution, Constituante, Révision") meme si la case 63 du jeu de l’oie boulangiste esquisse la solution du coup d’Etat en montrant le général Boulanger, la couronne impériale sur la tète, le sceptre dans la main droite, le globe dans la main gauche, avec un long manteau d’hermine par-dessus ses bottes et son pantalon rouge. A sa droite, Rochefort tient abaissée une longue épée, à sa gauche le député Laguerre et Déroulède, le fondateur de la "Ligue des Patriotes".. Mais malgré l’élection triomphale du 27 janvier 1889 à Paris, où il recueille plus de 250000 voix contre 162000 à son adversaire républicain, et au soir de laquelle la foule le presse de marcher sur l’Elysée, le général Boulanger, tout à une idylle avec Mme de Bonnemain, hésite. Les républicains en profitent pour se ressaisir: les candidatures multiples sont désormais interdites, et le ministre de l’Intérieur qui a pris la mesure du "brave général" fait courir le bruit d’une arrestation. Boulanger s’enfuit en Belgique pour suivre M.me de Bonnemain. C’en est fait de la cause boulangiste, et l’opinion publique, versatile comme toujours, se passionne dès lors pour l’Exposition Universelle de 1889. Quand on entend reparler du général Boulanger, c’est pour apprendre à l’automne 1891 qu’il vient de se suicider sur la tombe de sa maitresse, qui a décidément pesé lourd dans le destin de la IIIe République. Clemenceau, qui pourtant avait eu son quart d’heure boulangiste, mais s’était retourné à temps, aura cette phrase cruelle: "Il est mort comme il a vécu: en sous-lieutenant".

L’Affaire
Autre crise plus grave encore: celle de l’affaire Dreyfus, qui elle aussi a mis la République en danger. En 1894, un officier juif, le capitaine Dreyfus, est condamné et dégradé pour espionnage au profit de l’Allemagne. La France est bientot divisée en dreyfusards qui réclament la révision du procès, et antidreyfusards qui défendent l’honneur de l’armée. D’un coté, la Ligue des Droits de l’homme, de l’autre, la Ligue des patriotes. En 1898, l’affaire d’espionnage devient affaire politique quand on s’aperçoit que Dreyfus a été condamné grace à un faux. Esterhazy, le vrai coupable, est acquitté par le Conseil de Guerre qui ne veut pas se déjuger. Emile Zola lance alors son fameux "J’accuse" dans L’Aurore du 13 janvier 1898. C’est ce journal qui publie la meme année, en prime gratuite, le jeu de "L’affaire Dreyfus et de la vérité" . Dans ce jeu dreyfusard, on remarquera que les oies ont été remplacées par une vérité sortant toute nue du puits, qu’on retrouve à la case 63.

Commémorations
La satire et le pamphlet laissent volontiers la place à la commémoration sérieuse et officielle. L’alliance franco-russe, par exemple, à la fin du XIXe siècle, a donné naissance à plusieurs jeux de l’oie, dont celui paru dans le Journal Illustré du dimanche 3 janvier 1892 sous le titre: "L’alliance franco-russe - jeu populaire du Petit Journal et du Journal Illustré", avec ce commentaire: "Le jeu de l’Alliance franco-russe que nous offrons à nos lecteurs, pour leurs étrennes, en meme temps que les voeux et les souhaits de la rédaction du Journal Illustré, continue une tradition. Il perpétue, sous la forme populaire chère à nos aieux, un événement politique d’une rare importance". Ce jeu, à la gravure très fine, célèbre avec une emphase naive et militariste que soulignent encore les distiques des légendes (la case 48 emportant la palme avec un saldat français tenant de la main droite le drapeau français et de la main gauche le drapeau russe, avec cette légende: "Je me ferais trouer deux peaux / dit notre homme, j’ai deux drapeaux"). En dépit de la gémellité des divinités guerrières France et Russie à la case d’apothéose, c’est une alliance contre nature dont s’étonne un quidam à la case 12: "Quoi ! La République et le Trone ?" Le tsar Alexandre III n’avait-il pas dit : "les Français sont le peuple le plus infect du monde. On ne s'allie pas avec une pourriture?" Mais il avait besoin d’argent et la Reichsbank lui avait fermé son tiroir-caisse. Les milliards que les Français confièrent imprudemment à l’emprunt russe, et dont ils attendent encore le remboursement, valaient bien une alliance que le tsar de toutes les Russies eut préféré certes conclure avec le général Boulanger qu’avec la République parlementaire. L’accord fut péniblement conclu en plusieurs temps, révélant ainsi les réticences mutuelles : accord politique en aout 1891, convention militaire un an plus tard, ratification en janvier 1894 seulement. Comme il se doit, la fin du XIXe siècle a été saluée par un "Jeu fin de siècle" commémorant cent ans de progrès, de la case 1 avec le XIXe siècle au berceau et un hommage mitigé au vieux XVIIIe siècle demandant qu’on ne l’oublie pas, à la case d’apothéose où d’étranges aéronefs mettent Paris à cinq minutes de Marseille. Si les mentions de la lumière électrique, de la locomotive, de la photographie, du Canal de Suez, paraissent évidentes, la célébration des progrès dans l’art de la guerre en dit long sur le nationalisme français dans les décennies qui précèdent la Première Guerre mondiale. Le revolver, la dynamite, le fameux fusil Lebel (1886) qui sera celui de la Grande Guerre, la canon Canet, la poudre sans fumée, sont ainsi offerts à l’enthousiasme des foules, en attendant de contribuer puissamment aux holocaustes des guerres du XXe siècle.

De la Grande Guerre à la Drole de Guerre
Parmi toute une imagerie de propagande, de damiers tel que le Black Boche, une bonne dizaine de jeux de l’oie patriotiques ont été édités de 1914 à 1919. Parmi eux "Le nouveau jeu de la guerre", édité en 1918 à La Haye, a l’originalité d’une règle trilingue et surtout de vignettes légendées à la fois en français et en flamand. Ce jeu de propagande alliée à l’intention des Belges qui avaient subi pendant quatre ans les tentatives de séduction allemandes, et espéré longtemps, trop longtemps, conserver la fiction de leur neutralité. Depuis l’été 1917, il est vrai, Albert Ier avait établi des liens plus étroits avec les Alliés dont la rentrée triomphale à Bruxelles (case 66 d’arrivée) ne règle pas tous les problèmes. Qui va à la case 57 a perdu, dit la règle. Or que dit la case 57? Rien justement, puisqu’un énorme point d’interrogation demande ce qu’on fera des colonies allemandes. L’Entre-deux-guerres perpétue la tradition du jeu politique et commémoratif avec, entre autres, "Le jeu de Marianne", édité vers 1936. Là encore, point de neutralité dans le ton, et la case 60 met dans le meme sac les dictatures soviétique, italienne et allemande. Entre la case 1 qui voit naitre la IIIe République à partir de l’effigie, rayée de traits rouges, de Napoléon III, jusqu’à la case 63 où flotte le paquebot Normandie, fierté de la France, le parcours mele personnages politiques, réminiscences de la Grande Guerre, faits divers fameux (Stavisky, Landru, la bande à Bonnot), et hommages à la vie littéraire et scientifique. Quant à Hitler, de la case 61 où il est visiblement trop à l’étroit, semble surveiller la case 62 et ses bulletins de vote d'où sortiront le Front Populaire et la réduction consécutive des armements. C’est en effet à reculons qu’en 1939, les Français entrent dans la nouvelle guerre contre l’Allemagne. Pays de vieillards frappé à la fois par la saignée de la guerre précédente et le refus de la vie (le taux de mortalité l’emporte en 1938 sur le taux de natalité), les Français mobilisés ont rejoint sans enthousiasme leurs unités et ont aussitot entrepris de rechercher des permissions agricoles et les fameuses "affectations spéciales" permettant de regagner son foyer. La "Drole de guerre" a commencé. Témoin de ce manque de combativité, le "Jeu de la perme" édité par le Journal le 29 décembre 1939, dessine un parcours où les corvées, la faction ennuyeuse, la visite médicale, l’adjudant, l’échelle pour faire le mur ne donnent guère l’image d’un pays en guerre. Meme chose pour la case d’arrivée où un bidasse plus niais que nature brandit sa "perme". D’esprit identique, "Un nouveau jeu de l’oie" paru dans Marie-Claire en 1940, s’offre explicitement à "distraire nos soldats". La meme vie de caserne débilitante, cette "drole de guerre" où pas un coup de feu n’est tiré, conduisent elles aussi non pas à la victoire mais à la permission.
 

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