Giochi dell'Oca e di percorso
(by Luigi Ciompi & Adrian Seville) |
"Cases maléfiques et règles du jeu: vers le jardinet de l’oie" |
Autore: Girard&Quetel |
La permanence d’une structure, fixée dès les origines repérables du jeu, et l’infinie diversité des variations iconographiques et symboliques constituent l’essence meme du jeu de l’oie. Perennité de la règle d’abord: le jet de deux dés et le total des points ainsi obtenus règlent la marche des marques de chaque joueur, simples pions de couleur ou petites oies de métal peint. Un premier coup de dés décidera lequel d’entre les concurrents s’aventurera le premier sur la spirale périlleuse. En début de partie un enjeu peut etre fixé et des amendes perçues au gré des accidents du percours. Les mises toutefois semblent avoir été fictives (jetons à valeur convenue) et non d’espèces sonnantes et trébuchantes. Soixante-trois cases, rarement moins mais parfois plus, s’enroulent en une spirale menant les joueurs de la périphérie vers le centre. L’alternance de cases bénéfiques et maléfiques en rendant hasardeuse la marche des pions donne au jeu l’essentiel de son attrait. L’oie signale les cases fastes disposées de 9 en 9 au plus fréquemment dans une succession de 5 puis 4 cases. Nul ne peut s’arreter sur ces cases bénéfiques; doublant le chiffre obtenu par le jet de dés, le joueur fait ainsi un bond en avant, vers la case finale, « le jardinet de l’oie» où se tient (dans la forme simple du jeu) le palmipède, sous un portique fleuri, un petit temple à colonnade circulaire, enfin tout autre décor solennisant cette arrivée. A moins que l’oie ne soit rotie, prete à etre mangée en famille par le vainqueur, comme cela se voit sur le plus ancien jeu italien qui nous soit parvenu. D’entrée de jeu, de bons coups de dés sont possibles, provoquant une accélération immédiate du rythme de la partie: « si du premier coup que l’on tire les dés, l’on faisait 9, qui peut se faire de deux manières, savoir 5 et 4 ou 6 et 3, il faut que celui qui fera 6 et 3 aille au nombre 26, où sont représentés deux dés, et celui qui fera 5 et 4, au nombre 53, où sont deux autres dés » (règle d’un jeu français, fin XVIIIe siècle). Ces gains cependant ne sont jamais définitivement acquis et à tout moment peuvent etre annulés par l’accident, la case néfaste. Une avance substantielle sur les autres joueurs se perd aussi très vite car, pour entrer dans le« jardinet de l’oie », il faut que le total des points obtenus aux dés soit égal au nombre de cases à parcourir jusqu’à la case 63. Sinon le concurrent peu chanceux retourne en arrière à proportion du nombre de points en excédent. "Mais on n’arrive pas aisément au jardin de l’oie, c’est-à-dire au nombre 63, car plusieurs empechements se présentent avant qu’on y puisse aborder" (Jeu de chez Picard-Guérin, Caen, circa 1820). Ces obstacles sont tout le piquant du jeu et une part essentielle de son sens moral et symbolique. Quels sont, dans l’ordre meme où ils se présentent, ces accidents ? Le Pont est au numéro 6 la première épreuve, le risque immédiat du départ. Selon les jeux, passer le pont vous mène à la case 12, doublement positif des points, ou plus fréquemment à la noyade avec retour au départ. Si la case 6 est tantot bonne, tantot mauvaise, bien des vignettes l’illustrant suggèrent ici un combat, une épreuve initiatique. Deux guerriers s’affrontent sur le pont (jeu vénitien du XVIIe siècle), des chèvres font de meme dans le "Jeu des fables d’Esope". Magnifique estampe du début du siècle dernier, le "Jeu instructif des fleurs" établit de subtiles correspondances entre le symbolisme des fleurs et la valeur négative des cases 6 et 12 où l’on voit "le souci emblème de la douleur" puis "le nénuphar qui fleurit sous les eaux". Et la règle précise: "celui qui du premier coup fera 6, où est le soucy, ira au numéro 12 se noyer dans l’étang où est le nénuphar". L’Hotellerie ou l’Auberge est un lieu d’inaction et d’attente: "qui ira au numéro 19 paye le prix convenu et se reposera tandis que chacun de ses compagnons tirera deux fois". Sur cette vignette se voit le batiment de l’hotellerie, ou sa seule enseigne, remplacée dans les jeux historiés par des scènes de repos (cosaque endormi dans le "Jeu du cosaque", Belle au bois dormant du "Jeu de la petite Cendrillon" ou des évocations symboliques plus recherchées (Hotel des Invalides dans le "Jeu des monuments de Paris"). L’Auberge, dans le contexte moral et pédagogique qui est celui du jeu de l’oie, exprime les séductions du monde terrestre, les dangers moraux et physiques de l’excès. En 1865, M. Claude Bataillard ne dit pas autre chose devant ses collègues de l’Académie Impériale des Sciences, Arts et Belles lettres de Caen, lors d’une mémorable conférence intitulée "l’oie réhabilitée": "Avis pour le reste de leurs jours à ceux qui seraient tentés de succomber aux séductions du cabaret et du café... Combien de gens prennent la facheuse habitude d’y gaspiller leur argent et leur temps, leurs soirées surtout, au mépris des douceurs du foyer domestique! Et pourquoi ? Pour n’avoir pas compris, dans leur enfance, le sens profondément moral du numéro 19!" L’obsession bourgeoise de l’éthylisme populaire, facteur de paupérisation et fléau social, ferait volontiers du jeu de l’oie un outil de lutte anti-alcoolique à mettre en oeuvre dès la prime enfance! Le "Jeu des fleurs", toujours aussi à propos, fait fleurir au numéro 19 "le pavot qui produit l’opium" vouant ainsi cette case à l’évocation des paradis artificiels. Autre occasion de chute, le Puits, case cruelle entre toutes puisque la délivrance ne vient que par le malheur d’un autre: "qui ira au nombre 31 demeurera jusqu’à ce qu’un autre faisant le meme point l’en tire". De jeu en jeu cette case, outre le puits dans sa banalité (parfois égayée de la Vérité en sortant nue), est agrémentée de scènes de déraillement de chemin de fer, de disparitions dans la boue (cosaque de la Mer Noire embourbé dans les marais), danger qu’évoque encore indirectement le "Jeu des fleurs" en plaçant là l’iris des marais. Forme elle-meme labyrinthique, le jeu de l’oie en sa case 42 renferme un labyrinthe où l’on erre et se perd, entendez par là un retour à la case 30. Sur "Le jeu historique des aventures de Télémaque fils d’Ulysse", la référence à Dédale, constructeur du labyrinthe, ne pouvait etre qu’explicite: le célèbre architecte s’en échappe à tire-d’aile, suivi par son fils Icare qui perd déjà de l’altitude et va s’écraser au sol. Dans les jeux simples, non historiés, un labyrinthe de jardin, érigé autour d’un monticule ou sous forme d’un plan de labyrinthe circulaire meuble cette case. Inextricable labyrinthe des temps nouveaux, le réseau du chemin de fer a inspiré un "Jeu du chemin de fer " (publié sous le Second Empire) où nous voyons case 42 la plaque tournante d’un dépot de locomotives, suggérant l’idée d’hésitation, de hasard sur la voie à suivre pour arriver à destination. Le "Jeu des fleurs", à cette case 42, s’orne de la violette, fleur des sous-bois où l’on se perd en la cueillant. La Prison (case 52) est bien petite car elle ne peut renfermer qu’un joueur, à l’arrivée libératrice. Les inventeurs de jeux historiés n’eurent guère de peine à trouver des scènes de renfermement: des oiseaux en cage ("Chemin de la croix ou récréation spirituelle"), un piège à loup, un oiseleur pris dans ses propres filets ("Jeu des Fables d’Esope"), etc. Cette dernière scène évoque précisément un thème folklorique aux résonances multiples, celui du monde renversé, très fréquent dans l’imagerie populaire. Ultime épreuve, la Mort: "qui ira au nombre 58, où est la Mort, payera le prix convenu et commencera de nouveau". A cinq cases de l’arrivée, la Mort renvoie facilement au départ le joueur le plus avancé, faisant ainsi du premier le dernier. Le sens moral du jeu, face à cette case fatale, est à la portée de chacun. Crànes, tibias entrecroisés, squelettes entiers ou en buste qu’anime parfois un mouvement du bras, signifient à tous la valeur néfaste de cette case où peut encore se voir, dans certains jeux, une allégorie du temps: squelette ailé brandissant un sablier. Les jeux historiés étalent ici un nombre infini de situations tragiques, épouvantables illustrations de l’empire universel de la mort: explosion d’un navire ("Jeu du tour du monde"), loup dévorant une brebis ("Jeu des fables d’Esope"), cosaque recevant la mort ("Jeu du cosaque"), catacombes où s’alignent d’innombrables crànes ("Jeu des merveilles du monde"), boucher tuant un boeuf ("Jeu universel de l'industrie humaine"), malheureux chevaux de chair et d’os broyés par les chevaux-vapeur de la locomotive ("Jeu du chemin de fer"), en une rencontre symboliquement claire. Les choix, les combinaisons d’illustrations opérés par ceux qui créèrent ces jeux de l’oie sont innombrables et c’est un véritable petit jeu à l’intérieur meme du jeu que de les comparer. Insérée dans un espace quadrangulaire, la spirale, lorsqu’elle n’adopte pas la forme du tableau, laisse aux angles un espace en triangle que peuvent remplir des images en rapport avec le thème du jeu: décorations et médailles des jeux militaires, vues de Moscou du « Jeu des cosaques », phares et ports dans les jeux de la marine, etc. Ces images marginales illustrent parfois des scènes qui n’ont pu prendre place dans la spire; elles complètent alors le récit inclus dans les soixante-trois cases: tels les épisodes de la vie de Napoléon dans le jeu du meme nom. Dans les jeux de l’oie les plus anciens, les gravures sur bois de style populaire en particulier, des personnages grotesques (ceux de la commedia dell’arte dans d’antiques jeux transalpins) ou de simples motifs décoratifs font office de remplissage. Dans certains jeux français, l’aspect assez fruste de ces rinceaux et entrelacs nous rappelle que ces jeux étaient aussi publiés par les fabricants de papiers peints et de dominoterie. Un texte typographique ou le plus souvent gravé trouve aussi place dans ces espaces d’angle: sentences morales et pédagogiques, parfois mises en chanson. Tout en jetant les dés, les amateurs poussaient la chansonnette, faisant de l’audio-visuel sans le savoir, en associant l’image et le son avec les moyens humains et techniques des hommes de l’ère du divertissement pré-électrique. Un jeu caennais publié par l’imagerie Picard-Guérin, au début du siècle dernier invitait ainsi le joueur à chanter, sur l’air du boudoir d’Aspasie, quatre couplets dont voici le dernier, fort moral: "Dans ce temps où tout se balance, L’or pèse plus que les vertus Moins d’honneur mais plus de finance, C’est la devise de Plutus" |
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