Giochi dell'Oca e di percorso
(by Luigi Ciompi & Adrian Seville)
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"Le jeu de l'Oie. La troublante simplicité du jeu de l'oie"
Autore: Fralon José-Alain 
Il remonterait aux Egyptiens. Depuis le XVIe siècle, il raconte l'histoire de l'Europe. Certains font de son étude une des bases de leur recherche philosophique. Les yeux perçant d'intelligence, Régine Lacroix-Neuberth lance avec une désarmante bienveillance: "Mais, mon jeune ami, le jeu de l'oie, c'est tout simplement la vie !" Le jeune ami acquiesce sans moufter, tant est grande l'autorité naturelle de cette étrange dame. Tant, aussi, est forte sa surprise de commencer une enquête sur les jeux de société dans cette belle maison, installée sur les hauteurs de Montpellier, où Régine Lacroix-Neuberth a installé son centre expérimental de recherches de psychologie collective. Dans la continuité des travaux du philosophe spiritualiste Georges Gurdjieff, pour elle "un des grands maîtres à penser de notre époque", cette ancienne comédienne, qui avoue "flirter avec les quatre-vingt-dix ans", continue notamment de chercher, avec ses amis, les significations cachées contenues dans les 63 cases du jeu de l'oie, "qui est toujours demeuré soumis, dans sa forme de spirale plus ou moins ouverte, à la loi universelle du Rythme", et dont "les proportions traditionnelles contiennent en puissance les recherches plastiques contemporaines les plus avancées". Voilà donc le plus simple des jeux, qui ne demande ni réflexion ni calcul, érigé en symbole par un mouvement philosophique. La grande longévité du jeu de l'oie, son universalité, viennent peut-être de cette conjonction rare entre simplicité et mystère. Aujourd'hui encore, qui n'a pas, dans un coin caché de sa mémoire, le souvenir de ses premières parties de jeu de l'oie? Les plus anciens, entre un Meccano no 2 et un album de Bibi Fricotin, les plus jeunes avec la première Barbie et une boîte de Play Mobil. Une mémoire qui charrie tant d'émotions fortes, intimement liées à la petite enfance. Fermez les yeux, pensez au jeu de l'oie. N'est-ce pas, d'abord, une sourde crainte qui s'impose? Celle, par exemple, de tomber dans le puits et d'attendre qu'un autre joueur vienne vous délivrer. Ou celle de rencontrer la mort et "sans ricaner ni gémir ni maugréer" retourner au départ. Attention à l'auberge, où le joueur "paiera et dormira d'un sommeil de plomb pendant que les autres joueront deux fois". L'expression "je ne suis pas sorti de l'auberge" pourrait venir de là. Quant au labyrinthe, la défense du divin contre celui qui cherche à l'approcher, il raconte toujours une quadruple histoire: un voyage, une épreuve, une initiation et une résurrection? Au commencement, donc, était le jeu de l'oie. Dans la mythologie égyptienne, n'est-ce-pas une oie qui a pondu l'oeuf du monde? Dans "Amours et fureurs de la Lointaine" (Stock, 1995), Christine Desroches-Noblecourt évoque le jeu égyptien du serpent, qui présente d'étranges similitudes avec le jeu de l'oie. Pour Henry-René D'Allemagne, qui lui a consacré un livre-culte (Le Noble Jeu de l'oie en France de 1640 à 1950, Paris, Grund, 1950), le jeu aurait été inventé par les généraux grecs pour tuer le temps lors du siège de Troie. Pour d'autres, il aurait été réintroduit en France par les templiers. Encore une odeur de soufre: les dés, qui avaient servi aux soldats romains à jouer la tunique de Jésus, étaient interdits dans les lieux sacrés. En fait, les plus anciens jeux de l'oie retrouvés, en Italie notamment, datent du début du XVIe siècle. Ils se développeront ensuite très vite. En France notamment, sous le vocable de Nouveau jeu de l'oie, inventé par les Grecs, renouvelé et corrigé de nos jours. On peut y voir une allusion à l'hypothèse du siège de Troie, ou une habile publicité en des temps où l'hellénisme était particulièrement à la mode. Titre détourné en 1860 dans un Nouveau jeu de l'oie non étrangère à la graisse, qui met en scène Polichinelle et Gilles en train de se disputer sur la meilleure manière d'accommoder une oie.
Pourquoi l'oie ?
La question divise toujours les spécialistes, qui attribuent à l'oiseau un nombre incalculable de qualités: féminité, sagesse, intuition. Sans oublier la très prosaique gastronomie. Dans beaucoup de jeux, on peut voir, après la case 63, un dessin montrant les heureux gagnants se délecter d'une oie apparemment succulente. Autre piste: oie viendrait tout simplement d'ouir, et la spirale du jeu évoquerait le lobe de l'oreille. Ayant constaté que les cases du jeu reprenaient la structure de l'Octave - "la loi universelle", selon Gurdjieff: sept notes de musique, sept couleurs - et qu'en langue d'oc, oie se disait octa, certains ont tout simplement fait du jeu de l'oie le jeu de l'octave. Le développement de l'imprimerie, les progrès de la gravure et de la fabrication du papier vont faciliter la diffusion du jeu par les marchands-éditeurs d'estampes, notamment ceux de l'est de la France. Parmi eux, Jean-Charles Pellerin, cet habitant d'Epinal qui créera les images du même nom. Le succès est inimaginable, la diversité aussi. Se plonger dans l'histoire du jeu de l'oie, c'est tout simplement se plonger dans l'histoire de l'Europe. "Les 63 cases, écrit Jeanne Damanne, conservateur des musées de Poissy, qui abritent une belle collection de jeux de l'oie, offrent leur cadre à l'imagination, aux idées, aux opinions, des auteurs-dessinateurs. (...) Il leur est facile de transmettre un savoir, un argument, politique, religieux ou de vente". "Avec l'invention de l'imprimerie, le jeu de l'oie devient le moins coûteux des jeux de table. Dès son origine, il revêt toutes les formes possibles du divertissement, de l'enseignement et de la propagande. (...) Tour à tour débonnaire, satirique, censeur, grandiloquent, il nous offre une image de l'homme dans la société de son époque et son appréhension du monde", peut-on lire dans le catalogue du Musée du jeu de l'oie situé dans le palais du roi de Rome de Rambouillet. Là sont présentées les 2500 pièces de la collection de Pierre Dietsch, un polytechnicien d'origine alsacienne, responsable d'une petite société d'édition, qui écuma l'Europe pendant plus de trente ans pour constituer une des plus belles collections au monde. Cet homme discret, d'une infinie courtoisie, bibliophile éclairé, mourut en 2000, quelques mois après avoir laissé ses jeux en dépôt au musée de Rambouillet. Comment rendre compte de ces milliers de planches qui, à leur manière, racontent l'histoire d'un continent ? Picorons quelques exemples. Les seuls jeux consacrés aux animaux montrent l'évolution du graphisme. Art populaire pour ce "Chat et souris", de 1900, modern style pour ce "Jardin zoologique", édité quelques années plus tôt, ou ce "Sautez grenouilles", avec 100 cases numérotées. Les jeux politiques sont plus manichéens. Le Jeu de la Révolution française, imprimé en 1790, glorifie l'Assemblée nationale, but à atteindre par les joueurs, et voue aux gémonies les parlements régionaux. Une case Chevènement? Dans ce "Jeu de France", en revanche, les bonnes cases sont celles des rois et les mauvaises celles des Républiques. Le Jeu des cosaques invoquera l'occupation de Paris par les armées russes, un autre l'histoire du général Boulanger, de ses années de gloire à sa pitoyable fuite en Belgique. Le Jeu du lapin de la Grande Thérèse, évoquant un des scandales financiers de la fin du XIXe siècle, est truffé de petits "poèmes": "Elle cherchait surtout à glaner quelques thunes, Ta roue, en son salon, tourniquait, ô Fortune." La guerre de 14/18 inspira les éditeurs et les propagandistes, comme ce "Jeu de la victoire", qui va de "la France est attaquée" à "la Paix victorieuse", en passant par "les Français versent leur or pour la victoire", "les Barbares maltraitent nos prisonniers", ou "les Bolcheviks livrent leur patrie". La seconde guerre vit son Jeu du maquis et un horrible Jeu du juif. Le 25 août 1994, pour le cinquantième anniversaire de la libération de Paris, France-Soir publiait le "Jeu de l'oie contre pas de l'oie", retraçant l'histoire de l'Occupation à la Libération. Libération crée "Le jeu de l'oie de Jospin", qui commence le 1er juin 1997: "D'emblée, avoir l'air simple. Vous annoncez votre nomination sur le perron de l'Elysée, tout seul, avec la cravate mal fagotée. "Les jeux de l'oie furent bien sûr utilisés pour défendre la religion et la morale. Comme cette "Ecole de la vérité pour les nouveaux convertis", de la fin du XVIIe siècle, glorifiant Louis XIV, après la révocation de l'Edit de Nantes: "Louis le Grand, Roy très chrétien, abat les hauts lieux et les temples des hérétiques en l'an 1685." Trois siècles plus tard, en 1994, Patapon publiera "Le Parcours du chrétien". Le joueur tombé sur la case 24, ordination du prêtre, ne devra surtout pas faire un six qui le ferait aller à la case 30, celle du mariage ! Si les jeux de l'oie empruntent le plus souvent les chemins de la plus stricte morale, ils passent aussi parfois par des voies plus exquises. Comme ce magnifique "Petit jeu de l'amour", édité au XIXe siècle, qui condamnera l'infidèle à "se mettre à genoux sans parler jusqu'au pardon", la jalouse à "se retirer derrière un rideau et à rester deux tours sans jouer", et la méprisante à "se lever pour faire la révérence à son berger devant tous les autres". Wolinski illustrera des oies coquines en 1980 et, loin des galanteries sophistiquées du XIXe siècle, le Porn'jeu de l'oie obligera ces pauvres gallinacés à se prêter à de bien barbares bacchanales. En 1938, le jeu de Marie-Claire préfigure l'émancipation de la femme et 1969 voit apparaître le premier jeu gay: " Case 33, vous tombez sur un hétérosexuel, passez un tour !" - Première case du "Jeu de l'oie du tube", édité dans Libération en 1983: "Nathalie, virée du lycée, décide : je ferai chanteuse." - Dernière case: "Lola Disque d'or." Le cyclisme et la course automobile sont incontestablement les vedettes des jeux consacrés au sport, comme ce "Jeu du Tour de France" édité en 1949. "Sensationnel, toutes les péripéties du véritable Tour de France comme si vous y étiez, vingt coureurs régionaux et internationaux, pour les petits comme pour les grands, un jeu passionnant." De quoi faire naître certaines vocations ! Le jeu publicitaire apparaît dans les années 1880, grace au développement des techniques d'impression et la révolution du conditionnement: les produits vendus sont présentés dans des emballages imprimés. "La réclame s'empare de ce secteur plein de promesse: le jeu publicitaire apparaît", écrit Jeanne Damamme. Les jeux de l'oie publicitaires connaîtront un grand engouement dans les années 1930, et auront leur apogée dans les années 1960. Les jeux peuvent être entièrement à la gloire d'un produit, comme le "Jeu de l'Urodonal", un médicament, qui était accompagné du texte d'une chanson: Le bal de l'arthritique! Les grandes causes ne sont pas oubliées. Du "Jeu du monsieur qui n'a pas acheté une voiture française", et sera, bien entendu, incapable de la revendre, à ce plateau prônant les vertus du vin, "le lait des vieillards", qui préserve du cancer.Le "Jeu du riz d'Indochine", en 1931, est très protectionniste. Case 25: "Le riz étranger attendra à l'épicerie un autre acheteur." La Française des Jeux ne pouvait pas rester à l'écart et a inondé les bureaux de tabac d'un jeu de l'oie à gratter. Une "honte de cupidité et de vulgarité", pour Pierre Le Roux, professeur de français à la retraite et membre du groupe constitué par Régine Lacroix-Neuberth, qui a envoyé une lettre vengeresse, comparant cette défiguration d'une culture populaire à la destruction des Bouddhas par les talibans afghans. L'ennemi n'est pourtant pas venu de l'Est. La frénésie de jeux de la fin du XIXe siècle entraîne la création des grands casinos, l'organisation des paris hippiques ou l'apparition du joker sur les cartes à jouer mais aussi la publication de nouveaux jeux de plateau, "jeux de chasse et de parcours", comme l'Assaut, dont l'iconographie s'inspire de la guerre des Boers. Le cataclysme viendra en 1940 avec l'arrivée sur le Vieux Continent du Monopoly. On aimerait s'excuser auprès de la si charmante Régine Lacroix-Neuberth d'oser comparer ce parcours vulgaire de promoteurs cupides avec le merveilleux jeu de l'oie qui, enfant, nous conduisait de la Terre au Ciel.
(José-Alain FRALON)

 

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