Giochi dell'Oca e di percorso
(by Luigi Ciompi & Adrian Seville)
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"L’Alliance Franco-Russe. Jeu populaire du "Petit Journal" et du "Journal Illustré"
Autore: Alfred Barbou (alias Thomas Grimm) 
Histoire du noble jeu d'oie renouvelé des Grecs.
L’Alliance Franco-Russe. Jeu populaire du Petit Journal et du Journal Illustré
Voici un jeu sinon oublié, du moins un peu dédaigné aujourd’hui que nous voulons essayer de faire revivre sous une forme nouvelle. Le "Jeu de l’Alliance franco-russe" que nous offrons à nos lecteurs, pour leurs étrennes, en meme temps que les voeux et les souhaits de la rédaction du "Journal Illustré", continue une tradition. Il perpetue, sous la forme populaire chère à nos aieux, un événement politique d’une rare importance. Il forme le dernier anneau de la chaine ininterrompue de ces délassements populaires qui ont tenu tant de place dans la vie intime de notre peuple. Sans cesse ce jeu a subi des transformations; mais, tout en le modifiant de mille manières on en a conservé à travers les siècles les règles immuables. Nos pères l’ont aimé avec passion. Il a été, durant des centaines d’années, le jeu favori des enfants et de leurs parents, le jeu du foyer. Mais il offre, lorsqu’on étudie ses métamorphoses successives, un bien autre intéret qui ne nous a été révélé, à vrai dire, que par nos longues recherches faites pour en tracer la monographie, etude que personne ne s’était avisé d’entreprendre avant nous et qui nous réservait d’instructives surprises. Tous les grands faits historiques ont servi de thème aux combinaisons de ce jeu que nul n’ignore, et l’on peut aller jusqu’à dire qu’aucun de ces faits ne vivra dans la mémoire des hommes, s’il n’a été "jeu d’oie". En tous les temps on s’est avisé d’enfermer dans les cases symboliques ce qui frappait l’imagination, ce qui méritait de prendre place dans nos annales, la vie de nos grands souverains, les exploits de nos guerriers illustres, les découvertes de la science. Simplement plaisant, le jeu d’oie traditionnel, sorte d’institution nationale, s’est maintes fois efforcé d’instruire en amusant, de vulgariser les connaissances, de répandre des notions de morale, et toujours il a joui de la meme faveur de la foule. Nous l’allons suivre pas à pas, notant par ordre chronologique les aspects infinement variés de ce divertissement vraiment français. Nous espérons sincèrement que nos lecteurs sauront gré de cette recherche, au Journal Illustré dont les gravures, faites avec un soin si grand, ont peu à peu constitué une oeuvre artistique toujours consacrée à l’actualité. L’actualité de l’année qui vient de finir n’est-elle pas l’alliance de la Russie et de la France?

HISTORIQUE DES JEUX
Avant d’étudier les origines du jeu d’oie, rappelons en quelques lignes l’historique des délassements communs à tous les peuples. Ils offrent une variété infinie. Leibnitz a dit: "Les hommes n’ont jamais montré tant de sagacité que dans l’invention des Jeux". Pascal dans ses Pensées sur les divertissements en dit la véritable cause. On ne saurait imaginer combien, dans tous les temps et chez tous les peuples, on’a dépensé d’invention pour varier les moyens de se réjouir l’esprit, de se distraire de l’ennui et de l’inquiétude qui sont au fond de notre nature. La liste seule très incomplète, non pas des jeux mais uniquement des auteurs qui ont écrit sur les jeux, forme un volume. Au milieu des révolutions sans nombre qui ont bouleversé l’univers, l’enfance n’a presque rien changé à ses amusements. Les jeux des énfants du peuple, surtout, sont les mèmes à, Paris, à Saint Petersbourg, à Londres, au Caire, à Constantinople, à Pékin, et ce qu’il y a de plus étonnant, ces jeux sont absolument les mèmes que ceux qui amusaient les enfants dans les rues de Cuzco sous les Incas, à Bagdad sous les califes, dans Rome, dans Memphis, dans Athènes et dans Persèpolis. Les lecteurs de Rabelais connaissent la longue et curieuse nomenclature qu’offre le vingt-deuxième chapitre de son premier livre: il nomine plus de deux cents jeux.
Au seizième siècle.
En cherchant dans les écrits du XVIe siècle on en trouve facilement quelques uns à ajouter à l’enumération de ceux auxquels "jouoyt Gargantua". On lit dans les gazette du temps, notamment dans les "Nouvelles des régions de la lune" qui paraissaient en l’an l595, ou dans les " Matinées" de Cholières, recueil de la meme époque, "que chacun jouoyt à "J’ en suis", puis fut joué à "Rendez moi ma vache", puis, à la "séquence", à "la clef", au "jugement", à "remuer-mesnage" et à l’ "ane qui trotte", et autres tels jeux. Dassoucy dans son "Jugement de Paris, en vers burlesques", ajoute:

Jouant à la mouche, à la brème,
A bien et beau s’en va carème,
A croquignole, à coquimber,
A je n’y tiens ni bois, ni fer,
A pille nade, ioque fore,
Et à mille autres jeux encore.

Une mazarinade intitulée "Le Parlement, burlesque de Pontoise" et datée de 1652, renferme egalement une longue liste de jeux parmi lesquels on remarque: à "la vache morte", "à l'avoine", "au pied de boeuf", au "coupe-fétu", à "la coupe tete" à "Martin, Martin rends moi ma lame", au "toutu", etc. La "Pierrette" le "fond du carreau", la "patte à choquer", le "pousse-pousse" (rien de l’Exposition de1889) sont cités dans les "Grandes et récréatives Prognostications de maistre Astrophile le Roupieux".

Jeux des anciens.
Simple en réalité est l’origine des jeux. Les enfants et les hommes les ont inventés naturellement en quelque sorte. La meilleure preuve c’est que d’instinct et sans maitre, chaque géneration d’enfants les retrouve et les réinvente. Collin-Maillard est de tous les temps, et de tous les pays. En Grèce, sous le nom de Maynda, il se jouait comme chez nous; la description qu’en donne Pollux dans son Onomasticon, ne permet pas d’en douter. La "main-chaude" et les "barres" égayent aussi de leurs ébats les carrefours d’Athènes. Tous deux sont décrits par le meme lexicographe. L’un s’appelait collabimos, da mot de colaphos (soufflet); ostrachynda était le nom de l’autre qui suivait toutes les règles de notre jeu de barres, sauf quelques complications. Notre climusette ou cachte-cache tient aussi, sous le nom d’apodidraskinda, une place importante parmi les jeux des enfants grecs. Les jouets mème qui demandent une main d’oeuvre et partant un inventeur semblent s’etre créés d’eux-mèmes. La toupie est un hochet romain, c’est le Turbo décrit par Virgile, par Tibulle et par Horace; le Cerceau est de meme le Trochus des palèstres romaines, seulement il s’est amoindri. La balle, qui ne regne plus que dans quelques rares jeux de paume fut aux temps antiques l’ame d’exercices fort divers dont les mille combinaisons ne se sont conservées que chez les enfants; les principales étaient l’Apporaxis qui consistait à saisir la balle après plusieurs bonds; l’Episcyrus dont le jeu de college, la balle au camp, est une traduction en action. L’esprit d’imitation chez les enfants les a conduits à créer d’autres amuse-ments. Ils se sont faits les parodistes involontaires des hommes au pouvoir, et de la religion paienne meme. Qu’est-ce, en effet, que le jeu si vulgaire de Petit bonhomme vit encore! Un souvenir direct des fetes de Vulcain, dans lesquelles les lampadophores se passaient de main en main une lampe allumée qui faisait proclamer vainqueur celui qui la gardait le dernier.

Origine du jeu d’oie
Quant au jeu de l'oie qu’on fait, et avec tant de raison, remonter aux temps anciens, on le doit considerer comme le reste d’une superstition trés répandue dans l’antiquité. Avec son abime placé sous le nombre funeste 63, il indique une fatalité attachée à ce chiffre, le plus sinistre dans la vie de l’homme puisque, résultant de deux nombres 7 e 9 multipliés l’un par l’autre, il designa l’age climaterique. L’oie était, d’ailleurs on le sait, l’oiseau sacré et fatidique par excellence. Le jeu de l’oie (oue en vieux français) n’est pas cependant la seule chose qui soit renouvellée des Grecs, affirmait Arnault. Mais, d’après Grimm, les "Contes de Ma mère l’Oie", se rattachent à Berthe la fileuse ou Berthe pied d’oie, appelée dans le midi, la reine Pédangue. Selon toute apparence le jeu dont les origines sont cachées dans la nuit des temps, a du etre en principe un jeu geographique où la Mort, le Puits représentaient les écueils et les passages dangereux, que les navigateurs devaient éviter. Ce qui donne une grande vraisemblance à cette supposition, c’est qu’il existe quelques vieux jeux de géographie dans la forme du jeu d’oie. D’autres suppositions ont été faites. Selon quelques historiens, ce jeu que l’on appelait jadis le noble jeu de l’oie renouvelé des Grecs et auquel on a toujours conservé plus ou moin ironiquement ce titre, aurait été inventé par les Allemands, vers la fin du moyen age. Il est probable que les anciens colporteurs des premières bibles imprimées en Allemagne répandirent chez nous à profusion les tableaux enluminés ou jardins de l’oie, qu’ils vendaient aux bonbourgeois comme une sorte de renaissance d’un antique jeu grec. Quoi qu’il en soit, peu à peu ce jardin se trouva etre le complément obligé, de tout ménage, riche ou pauvre, et le ieu de l’oie régna pendant plusieurs siècles aux foyers de nos arrière grands-pères. De nombreux exemples tirés de nos auteurs classiques témoignent de la faveur dont il a joui. Qui’il nous suffise de rappeler le distique de Regnard: "J’aime, ces jeux galants ou l’esprit se déploie, C’est, monsieur, par exemple, un joli jeu que l’oie".
Les dés
En tete d’un jeu de l’oie daté du commencement de ce siècle et que nous avons sous les yeux, on lit un résumé historique contenant quelques indications intéressantes. L’éditeur constate, lui aussi, que ce jeu de tableaux est fort ancien et qu’il a fourni l’idee de tous les jeux analogues; l’on y trouve l’étymologie du mot dés. Le dé, appelé dadus, en basse latinité, vient vraisemblablement de "a digitis", parce que les dés se jouent avec les doigts. L’origine en remonte à la plus haute antiquité, puisque l’on prétend que les Grecs les ont inventés pour se désennuyer pendant le siège de Troie. Sophocle, Pausanias et Suidas en attribuent l’invention à Palamède, tandis qu’Hérodote la rapporte aux Lydiens. Les dés antiques étaient, comme les notres, de petits cubes solides ayant six faces, marquées de points depuis l’as, jusqu’à six, comme le prouve une épigramme de Martial. Le jeu s’étant accru à Rome avec la décadence de la Republique, les dés prirent d’autant plus de faveur que les empereurs s’en melèrent. Néron risquait mille sesterces dans un seul coup. Leur usage fut introduit en France sous Philippe Auguste vers 1200, et c’est à cette époque a peu près qu’il faut placer, chez nous, l’apparition du jeu de l’oie.

Premières formes du jeu.
M. de Paulmy croit que le nom moderne qu ce jeu porte, vient de ce qu’on regardait autrefois les oies comme un excelleut mets. Les bourgeois se cotisaient pour s’en regaler à pique-nique, ou frais communs, et celui qui gagnait à ce jeu, mangeait gratis sa part de l’oie, et du reste du diner, auquel ses compagnons avaient tous contribué par leur mise. Quoi qu’en dise Hector dans la comedie du joueur, ce jeu n’est pas fort ingénieux; cependant il peut amuser. Les enfants l’aiment beaucoup parce qu’il est de pur hasard, qu’il est simple et qu’ils y deviennent bientot aussi habiles que leurs maitres. C’est ce gout des enfants pour le jeu de l’oie qui fit imaginer, à la fin du XVIIe siècle, de rendre agréables aux jeunes personnes les instructions qu’on voulait qu’elles reçussent en les leur presentant sous la forme de ce jeu. Ainsi on inventa alors le "Jeu du Monde" qui servait à apprendre la géographie; celui de la Chronologie pour les dates de l’histoire universelle; celui des Villes de France dans le quel on donnait des raisons assez plaisantes de ce que l’on faisait payer aux joueurs, quand ils arrivaient dans les unes et qu’on les forçait de s’arreter dans les autres. Nous avons eu aussi un jeu des Reines de France et des femmes illustres de tous les pays; un du Blason, de la Guerre, de la Tactique, des Fortifìcations. Les personnes pieuses firent des jeux de l’histoire de l’Eglise, des vies de saints, et inventèrent, sans doute à l’usage des couvents, le jeu des Quatre Fins de l’homme.On a fait un jeu de la Constitution de 1715, et, d’abus en abus, on est allé jusqu’à imaginer un catéchisme en forme de jeu de l’oie. Sous Louis XIV, on imagina differents jeux de société semblables, et au commencement du siècle, il en parut un sur les coiffures. Nous en citerons plus loin un grand nombre d’autres. Il y a pour tous ces jeux des tableaux dont quelques-uns sont fort bien gravés et qui figurent dans de rares collections d’estampes. Les jeux de Tournon, à l’usage des écoles militaires, ont été en vogue pendant quelque temps; ils étaient de l’invention du père d’Anglade, supérieur de l’école militaire de Tournon. Son but etait que les jeunes gens apprissent par forme de jeu l’histoire, et la géographie. Ce n’étaient point des cartons, mais des cartes. Si un enfant mettait sur jeu la carte où etait, par exemple, Madrid, celui qui avait la carte Espagne devait la mettre sur la table. Si quequ’un jetait la carte où était Fontenoi, celui qui, avait le nombre 1745, date de cette bataille, devait jeter sa carte. Si on se trompait, on payait. Mais tous ces jeux étaient trop sérieux pour la jeunesse qui en est bientot revenue au jeu d’oie.

LE LIVRE DES PASSE-TEMPS OU LA FORTUNE DES DÉS
La bibliothèque Sainte-Geneviève possède un exemplaire d’un ouvrage singulier, très rare et auquel manque la page du titre, que nous rétablissons d’après Brunet. C’est un petit in 4° gothique: "Le livre de Passe-temps de la fortune des dez ingénieusement, compilé par Maitre Laurent Lesperit, pour responce de vingt questions par plusieurs souventes fois faictes et desirées à scavoir, qui sont spécifiées, au retour de ce feuillet en la rue de fortune desquelles selon le nombre des poincts, dung trait de trois dez, les responses sont par subtiles calculations selon l’ordonnance de pratiquer ce petit volume après le renvoi des signes aux sphères de ce present livre, mis en profeties". Traduit d’italien en français par Maitre Anthitus Faure. L’auteur de ce très curièux livre, l’Italien Lorenzo Spirito (Laurent Lesperit), a en réalite laissé un jeu d’oie un peu, compliqué, qui n’a jamais été reproduit, dont ne parle aucune encyclopédie, et qui date des premières années du XVIe siècle.

Singulier jeu d’oie.
Les 4 premiers feuillets contiennent chacun 4 portraits de monarques, sceptre en main, couronne ou lauriers en tete; au-dessous sont des légendes simples. Ce sont le roi Priam, le roi Agamemnon, le roi Charles, le roi Artus, etc. avec au-dessous de leurs noms, "va à la fleur Dancosse", "va à la fleur de Dames", "va à la rose de rosier"; et ainsi, de suite pour le roi Alexandre, le roi Salomon qui mènent soit à la bourrache, soit à la marguerite, soit à la fleur des pois, à celle de pied de louette; à celle de fraise, ou à celle de lis. Des cartes menaient à ces rois qui menaient aux fleurs. Sur ce livre chaque fleur occupe, dans un carré, le milieu d’une page, et dans les carrés qui l’entourent sont marqués trois dés avec des points diffèrents; on jouait donc ce jeu avec trois dés, et quand on avait amené un nombre marqué dans une case on se transportait à une autre selon les indications qui sont toutes rédigées de la sorte: "Va à la sphere du mouton dedans, la riviere; Peso", "Va à la sphère du sagittaire dedans la rivière; Arno". Ce n’était point pour gagner que l’on jouait ce jeu, mais pour en obtenir quelque prédiction. Chaque page du livre porte un titre différent:

-A la fleur du giroflier: Si est bon de faire voyage.
-A la fleur de la campane: en quel état la personne doit mourir.
-A la rose du rosier: Se la vie doibt etre heureuse.
-Le signe de damas: Si est bon de prendre femme.
-Au bouton du rosier: Si est bon de prendre mary.
-A la fleur du muguet: Si on doibt gaigner en une marchandise.
-A la fleur de pois: Se ung (sic) penser ou désir doit sortir à effet.
-A la fleur du triolet: Son doibt guarir d’une maladie.
-A la fleur du chardon: Se l’homme est aymé de la personne.
-A la fleur de la bourrache: Si se doibt faire une vengeance.

Ce livre n’est en réalité qu’une sorte de geomance telle que la pratiquaient les anciens, "géomance par laquelle on peut prévoir, deviner et prédire de toutes choses doubleuses et incertaines". Mais dans le vingt feuilets où figurent les signes du zodiaque et certains autres attributs le Jeu affecte absolument le disposition du jeu d’oie. Une figure occupe le centre, et les cases rangées en cercles, sont numérotées. On va de l’une à l’autre selon le hasard des dés et l’on est renvoyé aux dernières pages qui prédisent tout dans des paragraphes numerotés et qui portent chacune pour titre un nom de prophète: Adam prophete, David prophete, Isaac, Joseph, Jacob, Thobie, Ezéchiel, Siméon, Abraam, Moise, Balaam, Noel, Hélie prophete, etc. Voici un échantillon des prédictions:

Ce que tu désires adviendra
Mais atteindre te conviendra.
Prènd mary, ma soeur et ma mye:
Il n’est que d’avoir compagnie.
Ceux qui te porteront ennuie.
Pauvrement finiront leur vie.

A la fin du moyen age, on passait ses soirées à consulter ainsi l’oracle. Cet ouvrage décrit, arrivons à l’étude des jeux d’oie praprement dits.
La Bibliothèque nationale possède une collection extrèmément curieuse, environ deux cents jeux différènts. Nous les avons examinés un à un et nous en avons recueilli pour nos lecteurs, toutes les singularités. Classons-les par categories.

Jeu de l’oie religieux.
Ce sont les plus nombreux et ils offrent une grande varieté. Le "Jeu de la Genèse" comporte les sujets de l’histoire sainte aver cette légende à la case d’arrivée: "Gloire au Dieu créateur". Le "Chemin de la Croix" représente les scénes de la Passion, ainsi que son nom l’indique; il faut passer par le Calvaire pour arriver, de coups de dés en coups de dés jusqu’au Paradis. Le "Jeu des Religieuses ursulines" montre differentes scène de la vie du cloitre; le n° 63 est "la salle du celeste époux". Nous trouvons ensuite le "Jeu de Moise" avec l’histoire des Juifs, le "Jeu de l’ Histoire de Jésus Christ", le "Jeu du Nouveau Testament", le "Jeu des Récréations Spirituelles" avec de pieuses sentènces, le "Jeu des Divertissements moraux et studieux", le "Jeu de la Conversation", rempli de sentences sacrées, le "Jeu du Triomphe de la Vertu", le "Jeu du Salut". Plaçons ensuite le "Jeu de la Constitution" dont la case d’honneur, le n° 63, est ornée d’une gravure représentant un concile. Un long règlement en vers est imprimé sur les cotés de la feuille. Cela se chante, nous apprend le sous-titre, "sur l’air du branle de Mez". Voici le premier couplet, qui nous dispensera de citer les autres:

-Voici le jeu qu’on appelle
-De la Constitution,
-Jeu fin, dont l’invention
-N’est pas tout à fait nouvelle.
-Et qui gagner y voudra
-Au Concile appelle, appelle,
-Et qui gagner y voudra
-Au Concile appellera.

Partout dans ces jeux de l’oie on trouve ou des croix ou des coeurs, ou des visages célestes, au lieu des volatiles, jadis sacrés, des oies.

Le "Jeu des péchés et des vertus".
Un des plus curieux est un jeu religieux qui ne porte point ce titre de jeu de l’oie, mais celui de "Jeu moral et instructif". Le n°63 représente le Paradis tout en or, avec la Trinité sainte vetue de robes rouges et vertes. Dans les cases sont des péchés et des vertus représentés par des personnages. La règle nous suffirà pour le décrire.Tous les péchés capitaux paient l’amende et retournent à la vertu qui leur est opposée. La Haine paie ou va à la Charité, à son choix; la Superstition va à la Foi éclairée; la Mensonge à la Sincerité; le Respect humain à la Crainte de Dieu; le Découragement reste là jusqu’à ce qu’un autre le remplace et alors il va à la Confiance en Dieu. La Médisance laisse passer deux tours sans jouer; la Présomption un tour; l’Amour du monde paie ou va à l’Amour de la solitude; la Tiédeur recule de dix numéros; la Pratique de l’aumone va à Contentement intérieur; la Dévotion à Marie monte à l’Espérance; la Ferveur va à Désir du Ciel. Toutes les autres vertus doublent, c’est-à-dire comptent leurs points deux fois, et si en doublant elles tombent sur un défaut, elles se placent sur la case suivante. Orgueil recommence toujours au n°1. Les "Péchés et les Vertus" appartiennent à la collection de la Ville.

Jeux historiques.
Ces jeux rappellent les principaux événements de notre histoire.Il y a l’Historiographie du royaume de France, un grand nombre de jeux des rois de France, la Vie de Henri IV. Le Divertissement Royal est consacré "aux vertus héroiques de Louis XIV, roi de France". A l’exception de quelques noms de monarques pris un peu au hasard à travers les siècles, les cases du jeu ne contiennent que leurs numéros, mais la case où l’on gagne porte cette légende mirifique: "Louis le dévot, le conquérant, le catholique, le bon, le sage, le bien-aimé, le victorieux, le libéral, le père du peuple, le restaurateur des arts et des lettres, le juste, le Grand!

Le Jeu du Canal Royal
Il parut après l’achèvement du canal du Languedoc sous le règne de Louis XIV. En 1682, François Andreossy publia une remarquable carte du canal des Deux Mers qui venait d’etre achevé sous les ordres de Riquet, et aussitot il sollicita du souverain l’autorisation de joindre à sa carte le "Jeu du Canal royal". La préface de l’auteur nous dira clairement ce dont il s’agit: "Despuis que les gens ont inventé le jeu de l’oye on s’est servi de ses règles pour apprendre la géographie et le blazon. Ce sont les memes qui enseigneront par le jeu du Canal tous les nomsdes éscluses et de tous les travaux, afin qu’en se divertissant on aprene toutes les parties qui composent ce grand ouvrage, qui fait connoitre à tout l’univers que notre Monarque ne sçait pas seulement vaincre ses ennemis, mais aussi surmonter toutes les difficultez de la nature pour faire dans ce royaume la communication des deux mers". En attendant que Paris soit enfin devenu un port de mer et que les deux mers soient mises, pour toujours, cette fois, en communication, disons que ce jeu se jouait avec deux dés comme le notre, chaque joueur ayant une marque differente, et que l’on commençait à compter à l’écluse de Garonne.
Regle du jeu du Canal
Nous l’avons retrouvée dans un exemplaire unique qui appartient à la bibliothèque Sainte-Geneviève, et elle est si curieuse que nous en citerons, quelques fragments, sans l’orthographe du temps. L’écluse de Garonne double est la première que l’on trouve entrant dans le canal du coté de l’océan. Elle est double et située dans le pré de Sept-Deniers au-dessous de Toloze. Il y a à còté de cette double écluse un très grand magasin et le logement du garde. Chacun jouera à son tour suivant qu’il se trouvera placé, après avoir convenu de la valeur des jetons pour mettre au jeu et pour payer tous les hasards. Celui qui arrivera aux écluses doubles, triples et autres, plus que simples, marquées d’un double cercle, doublera le nombre qu’il aura amené. Celui qui en rencontrera un'autre le débusquera et le fera payer au jeu, pourvu que ce ne soit point aux lieux curieux, car en ce cas ils paieront tous deux. Le bureau du Canal, celui qui y arrivera, paiera son embarquement. En passant, il verra les deux ponts de brique qui sont sur le canal entre lesquels le bureau est établi pour les marchandises qui passent les écluses et pour les voyageurs qui s’embarquent tous les matins à 6 heures, pour arriver le soir à pareille heure à Castelnaudary. Celui qui arrivera à l’écluse de Montgiscart où il y a une très belle et bonne hotellerie, boira un coup, en payant, pendant que les joueurs feront un tour. Trés pratique, on le voit, cet ingénieur du XVIIe siècle. Sa regle de jeu rappelle le guide Conti. Elle indique l’hotellerie de la dinée, décrit les paysages, les chutes d’eau, les digues, donne tous les détails utiles et agréables. Le privilège du roi est trés aimable pour son courtisan.

Le jeu de Mac-Mahon.
Il existe un "Jeu des rois de France" plus moderne. La date nous en est indiquée par les personnages qui occupent la case d’honneur, ce sont le maréchal de Mac-Mahon et sa femme; mais, selon l’usage, il y avait obstacle avant d’arriver au président de la République. Les héros des cases sont nos rois, et des drapeaux français sont en couleur. On double quand on tombe sur les drapeaux. Du n°6, où il y a Clotaire 1er mourant dans les flammes, on va, au n°12, se noyer sous le Pont Neuf. On se repose deux tours à l’Hotel-des-Invalides. On reste avec Saint Louis, fait prisonnier par les Sarrasins, ou avec Marie-Antoinette au Temple; on retourne en arrière si on rencontre le duc de Reischstadt; on avance avec la couronne, et on recommence quand on arrive à la mort de Napoléon 1er. Aux quatre angles de ce jeu tres doré sont Hildegarde, femme de Charlemagne, l’infante d’Espagne, femme de Louis XIV, Marie-Antoinette et Marie-Louise. Le "Jeu de la Vie de Napoléon", puis le "Jeu du Grand homme" racontent l’épopée imperiale. Le "Jeu des Cosaques" avec leurs uniformes rappelle l’invasion de 1814. Les événements de la Révolution sont maintes fois représentés et aussi "les trois journées de Juillet". Que si nous remontons à l’histoire ancienne nous découvrons le jeu de l’Histoire ancienne, le jeu des Illustres contenant les portraits des Grecs et des Latins célèbres avec une courte biographie dans chaque case; le "Jeu de l’Histoire de Rome jusqu’à César-Auguste", et sur une autre planche jusqu’à Constantin. Le "Jeu des Français et des Espagnols pour la paix" rappelle, avec une carte placée, au centre, l’epoque de la guerre de la succession d’Espagne.

Jeux de l’oie militaires.
Après les jeux religieux, les jeux militaires sont ceux qu’on retrouve le plus souvent. Voici les "Exercices militaires de l’infanterie française", les "Manoeuvres du canon", les "Travaux de Mars", jeu dédié aux héros du premier Empire, en uniforme; le "Jeu des Guerriers francais", celui des "Elèves de Mars", dont les gravures montrent les exercices du régiment, dont les légendes résument les règlements militaires; celui des "Elèves de la marine" composé de meme manière; celui de l’"Ecole militaire" qui a pour point d’arrivée l’Ecole militaire actuelle et rappelle le souvenir de son édification. Un des plus récents placé dans la collection de la bibliothèque de la ville de Paris s’intitule la Croix d’honneur; c’est là qu’il faut arriver. Ce jeu, très enluminé, a beaucoup d’or, beaucoup d’uniformes; des canons, des drapeaux tiennent la place des oies. Chaque dessin porte une petite légende et représente une scène de la vie militaire; la soupe, l’exercice, le retour au pays, à la cantine, à l’infirmerie, le rata, la corvée, l’astiquage du fusil, la salle de police, la payse, le Jardin des Plantes, la cantinière, le feu du bivouac, l’invalide Thomas, et des tambours majors superbes, et de gros capitaines. Naturellement la salle de police, la prison, le cabaret sont des cases funestes. D’autres jeux d’oie militaires se contentent de reproduire la transformation des uniformes de nos armées. Ils se métamorphosent selon les temps, selon le gout du jour, prennent des aspects différents. Ces derniers ne sont, en réalité, que d’assez vilaine imagerie, forte en couleurs, avec des ors grossiers; on y voit, outre les traditionnels tourlourous et les traditionnelles bonnes d’enfants, des diables, des Turcs, des pachas. Ni l’art ni l’histoire n’ont rien à voir là dedans, mais au point de vue documentaire, la collection que possède la bibliothèque du Musée de la Ville de Paris est tout à fait précieuse. C’est à Metz qu’existait, avant la guerre de 1870, la grande fabrique de ces jeux populaires.

Jeux de l’oie instructifs.
Le jeu de Géographie, fidèle à la devise instructive en amusant, se bornait à remplacer les anciennes images traditionnelles du jeu de l’oie, par des villes, des villages, des fleuves, des rivières, etc.; et Paris, la capitale par excellence, occupait le n°63, la place d’honneur. Les règles de ce jeu sont calquées exactement sur les anciennes, ainsi que celles de tous les autres que nous énumérons. Nous citerons, en outre, le jeu des Départements français, celui des Provinces, celui des Monuments de Paris; le jeu de l’oie savante, qui donne des notions de physique et de géométrie, le jeu de la Construction. Le jeu de l’Industrie humaine se compose de soixante-trois gravures, aver cette légende: "Les beaux-arts et l’industrie ont surpassé la nature". On est arreté sur la route du travail et du progrès par la chicane, par les huissiers, les avocats et les procureurs qui remplacent le puits, la forteresse ou la Mort. Des gravures assez bien faites également, composent le "Jeu agréable et récréatif des amours". Au n°63 est "l’amour de la science, de la gloire et des beaux-arts". De petits amours ayant près d’eux des volatiles remplacent les oies, et, c’est le Pont d’or de l’amour, le prix de l’hospitalité, l’amour en prison, qu’on trouve parmi les écueils. Le "Jeu des Costumes des peuples" cherche à nous instruire et celui des Fleurs fournit quelques notions de botanique. Le "Jeu de Paris en miniature" affiche la prétention inutile de peindre les moeurs parisiennes; celui de l’Histoire naturelle nous montre les animaux. Un autre, paru en 1867 dans un supplément du Figaro, nous promène à travers l’exposition de cette époque. Un autre encore, intitulé "Jeu de la vie humaine", nous donne des notions philosophiques à l’aide de compositions non sans valeur. La Civilité contient des maximes pour les petits enfants, de saines leçons d’éducation illustrées. L’"Ecole des plaideurs" énumère des notions de droit: la Fortune, des conseils utiles; le Blason, des armoiries et des devises; la Mythologie, les fabuleuses légendes.

Jeux d’oie littéraires.
Assez rares sont les oeuvres littéraires mises en jeux d’oie, mais elles sont toutes illustrées. Nous possédons les Fables d’Esope, les Fables de Lafontaine, les Contes de fées, Télémaque, Cendrillon. Avec les deux grands fabulistes, avec Fénélon et Perrault, Eugène Sue partage le triomphe du jeu d’oie. Les Mystères de Paris sont retracés en enluminures grossières avec toutes leurs péripéties, et ce sont les traitres du drame qui designent les cases malheureuses. Il en est de mème pour le Juif errant. On a gagné à ce jeu quand on arrive à Paris au pied de la colonne Vendome avec un grand Juif errant, à barbe blanche, tenant un énorme baton à la main. Les sujets ont entre eux un singulier rapport. On part de la porte de Jérusalem, puis on voit successivement Dagobert, Goliath, une panthère noire, Rose, Blanche et Dagobert, les héros et héroines, un négre chez des étrangleurs, Morok dompteur de betes, le Juif errant sur le pole, Adrienne de Cardouville, Agricol, fils de Dagobert, Dagobert faisant boire son cheval, Goliath escaladant un mur, le Juif errant en guerre, Dagobert raccommodant sa culotte, les songes de Rose et de Blanche, un tigre, un lion, des contrebandiers jouant aux dés, Djalma poignardant la panthère noire, le chef des étrangleurs, Gabriel et Faringa, Dagobert lavant sa culotte, le prince Djalma, le prince Indien, Françoise Baudouin, le père et la mére Loriot, la danseuse Bacchanal, le martyre de Gabriel, la Mayeu, le général Simon, etc. Le Juif Errant est un produit de l’imagerie de Metz. Au siècle dernier les acteurs célèbres ont eu leur jeu d’oie. Il se nomme "Jeu des théatres de Melpomène, Momus et Thalie". Comédiens et comédiennes en vogue sont représentés avec les costumes qu’ils portaient dans les pièces à succès. Les noms de ces artistes sont écrits dans les cases et l’on gagne au 63 avec M. Brunet, du théatre. Montansier costumé en vieille femme assise dans une hotte au milieu de balais (l’Intrigue dans la hotte). Le jeu de l’oie des Bouffons italiens rappelle le succès obtenu par ces comédiens, et celui des "Danseurs de corde", fixe la date de l’apparition de ces bateleurs. Quant au jeu de l’ Hymen publié en 1767, il se contente de vanter les joies de l’hyménée. Les défauts des époux constituent les écueils, et les vertus conjugales permettent de gagner. Celui des Sorciers n’est a citer que pour mémoire.

Jeux de l’oie des voyages et des chemins de fer.
Nous n’avons retrouvé que deux de ces jeux anciens; l’un relatait quelques pérégrinations assez vagues, l’autre consacré aux diligences; mais l’apparition des chemins de fer fut consacrée à son tour par le noble jeu qui porte ce nom. Le 63 est une gare magnifique; on va de station en station; on attend si on tombe sur la case où est marqué le signal ralentissement et on retourne au signal d’arrèt. Qui fait 6 au bureau de recette paie et va au 12 prendre le chemin de fer. Qui va au 2, buffet, paye et se repose deux fois. Qui va au déraillement, demeure jusqu’à ce qu’on le retire; nous aurions mis jusqu’à ce qu’on le "déblaie". La plaque tournante, le bureau du commissaire et le cheval coupé par une locomotive sont les mauvaises cases. Il n’est point question de rencontre.

Le jeu de l’oie du Steeple-chase.
Le jeu du Steeple-chase fit son apparition vers 1852, au moment où le gout des courses de chevaux fit sa première et sérieuse invasion dans notre pays. Ce jeu représente une grande ellipse traversée régulièrement depuis le commencement jusqu’à la fin par une succession de lignes noires parallèles numerotées. Ici plus d’images, plus d’oie, plus de villes; mais des haies des banquettes irlandaises, des rivières, tous les accessoires d’une course de chevaux. Tout joueur qui rencontre une haie retourne sur ses pas; celui que le sort du dé conduit à la rivière, s’y noie. Ce jeu du steeple existe en Angleterre, mais il ne se compose que de cases vides portant les 63 numéros et ce n’est qu’un jeu d’argent. Ainsi pour le jeu de "la chasse aux cerfs" dont nous connaissons un exemplaire anglais et un français.

Jeux d’oie politiques.
Maintes fois l’antique jeu de l’oie a vu ses combinaisons et ses épisodes tournés dans le sens de la politique. Il fut débaptisé à l’époque de la Révolution et reçut le nom de jeu de la Révolution française. A cette époque les oies devinrent des parlements;
Le n°19, l’hotellerie ou le caveau du Palais-Royal, principal foyer des motions patriotiques;
Le n°31 le puits ou les réfugiés en pays étrangers;
Le n°58, la mort des de Launay, Foulon, Bertier, etc.,
enfin le n°63, gagnant, l’Assemblée nazionale ou Palladium de nos libertés.

Les Délassements du père Gérard, jeu national.
Une annonce ainsi rédigée au verso du faux-titre de l’Almanach historique de la Révolution française, pour 1792:
"On trouve chez les memes libraires: "Les Délassements du père Gèrard ou la poule de Henri IV mise au pot en 1792", jeu national à la portée de tout le monde et propre à faire connaitre à toutes les classes de la société les avantages et les bienfaits de la Révolution et de la Constitution. Ce jeu, principalement destiné à instruire les habitants des campagnes, se vend par paquets de vingt exemplaires à raison de 5 livres et de 6 livres francs de port. Les lettres et l’argent doivent etre affranchis. Ce jeu n’est, lui aussi, qu’une variante du fameux jeu de l’oie. Voici comment il est composé. Quatre-vingt-quatre anneaux partent d’un trophée de chaines et de verges pour aboutir à la nouvelle Constitution figurée par une corne d’abondance d’où s’éscappent des fruits, des fleurs et des écus et remplaçant l’ancien jardin de l’oie. On jouait avec des dés, toujours en redoublant sur des numéros où se trouvent des poules au lieu d’oies, et le premier arrivé au n°84 gagnait la partie. Chaque anneau, renferme en légende l’indication d’une vertu ou d’un vice civique, d’une institution, d'un événement politique. Comme au jeu de l’oie, on avançait ou l’on retrogradait selon le caractère de l’objet auquel correspondait le chiffre obtenu. Ainsi on trouvait au n°18 Despotisme. La Noblesse, n°26, retournait au n°1, Egalité. Les Ministres, n°29, passaient à 62, Responsabilité. Varennes, n°65, rétrogradait à 14, la Loi; la Discorde, 71, au n° 7, l’Anarchie.

Règlement moral.
Les règles du jeu contenaient des enseignements pleins de moralité, ceux ci par exemple :
"On peut donner aux marques ou jetons une valeur aussi modique que l’on veut. Mais si on leur donne la valeur d’un sou, et au delà, les gagnants sont obligés de donner aux pauvres quinze pour cent de leur gain, parce que ce jeu national a pour but l’instruction et le plaisir et non le désir d’enlever aux autres ce qu’ils ont". Cette pensée ne viendra point, aux joueurs fin dè siècle. Autre recommandation: "Si un joueur parvient à un anneau déjà occupé par la marque d’un autre joueur, il retourne à la place d’où il était parti, car il ne faut chasser personne de la place qu’il occupe". La devise adoptée aujourd'hui semble etre au contraire: "Ote-toi de là que je m’y mette"; mais nos pères avaient le coeur généreux. Une légende très longue, intitulée "Sens moral", complète ces instructions. Cette pièce avait environ 40 centimètres sur 50, et elle se vendait dans tous les bureaux de poste à un prix assez élevé, ainsi qu’on l’a vu plus haut.

Le jeu d’oie parlementaire.
Ici, la composition est spirituelle; elle fait, sans trop de méchanceté, la satire des moeurs parlementaires. Le jeu représente le Corps législatif en séance, pendant l’année 1870. Il affecte, en conséquence, la forme d’un hémicycle partagé en deux parties, comme à la Chambre: la droite et la gauche. Chaque partie se divise en 49 eases ornées soit de portraits de députés, soit d’attributs législatifs variés, tels que: bravos, crédits extraordinaires, applaudissements, murmures ,rires, ballottage, très bien !, amendement, hilarité, bruyante, dissolution, etc. Au centre de l’hémicycle est placée la tribune supportant le verre d’eau sucrée traditionnel, et, au-dessus de la tribune, le bureau du président avec la sonnette. Le triomphe de la gauche est représenté par changement de cabinet; le triomphe de la droite par vote de confiance. Il y a donc, par le fait, deux jeux connexes: le jeu de la droite et le jeu de la gauche. En voici les règles qui résument d’une manière piquante les habitudes de nos débats législatifs.
Règle du jeu de la gauche.
Le joueur prend deux dés, compte à partir de la case Rochefort et doit, pour avoir gagné, arriver jusqu’au changement de cabinet, avant que l’adversaire soit arrivé au vote de confiance.
N° 2, billet blanc, le coup est nul et le joueur recommence.
-4, applaudissements de la gauche, le joueur gagne 11 points et se place à Gambetta, case 15.
-6, à l’ordre, le joueur perd ses points et recommence au tour suivant à partir de Rochefort.
-8 (19 janvier), le joueur se porte à bravos à gauche, case 14, puis à la tribune des journalistes, et au tour suivant il compte à partir du 19 janvier.
- 10, il se rend à la tribune, mais revient à sa place si la tribune est occupée.
- 12, incident sur le procès-verbal, le joueur s’arrète en attendant que l’adversaire ait joué deux fois.
- 14, il va occuper la case Jules Favre.
- 16, mandat impératif, il retrograde jusqu’à Rochefort.
- 18, assez! assez! il retourne à sa place.
- 20, Sainte-Pélagie, il forse son adversaire à demander la cloture, case 6.
- 22, rires à gauche, il se porte à la case Ernest Picard.
- 24, le portefeuille, il va s’asseoir au banc des ministres, coté gauche de la tribune
- 26, interruption, il retourne à Glais-Bizoin.
- 28, amendement, il retourne à Grévy.
- 30, dissolution, il perd tous ses points et recommence à partir de Raspail.
- 32, marques d’impatience, il force son adversaire à reculer de cinq cases.
- 34, protestations, il l’oblige à preter serment.
- 36, parlez!parlez ! il se porte à la case Giraud.
- 38, ballottage, il retourne à la case Jules Favre.
- 40, programme radical, il se rend dans la tribune publique.
- 42, murmures, il oblige son adversaire à imposer silence à la gauche.
- 44, il ne peut empècher les joueurs de voter le bud-get.
Le jeu de la droite est contraire on le devine. Quelques-uns des dessins sont des plus comiques. Après la guerre de 1870-71, on vit paraitre le "Jeu des Lois". En 1874, autre jeu d’oie publié par le journal satirique "Le Sifflet". Les gravures representent les actualités du temps. Le dernier en date, avant celui que nous publions aujourd’hui, rappelle cela devait etre l’Aventure du général Boulanger.

Le jeu de l’oie du général
Tel est le titre exact de ce curieux canard colorie imprimé à Paris, rue Paul-Lelong, et qui se vendait un sou. Le general Boulanger porte écrit en noir sur un médaillon rouge couvrant à demi sa poitrine, le n°63. Il a la couronne imperiale sur la tete, le sceptre à la main droite, le globe dans la main gauche, et sous le long manteau d’hermine on voit ses botte et son pantalon rouge. A sa droite, Rochefort, vetu d’un habit bleu et d’un pantalon bleu, tient abaissée une longue epée; à sa gauche, le député Laguerre, une calotte d’enfant de choeur sur la tète, également vetu de bleu; puis Deroulede à qui l’on fait une tete d’argousin avec le chapeau de haute forme. Son costume se compose d’une longue redingote jaune descendant jusqu’à des bottes vertes. Les dessins sont assez plaisants, et voici la règle à observer. Le 14 juillet va au café-concert, le portefeuille perdu va au commandant de corps. La lettre va à Chantilly, la gare de Lyon à la gare de Clermont. Le jour beni va à l’expulsion des princes. Le pétrin va à la melasse. Les arrèts perdent un tour ainsi que la boiterie intermittente, les lunettes et la disponibilité. Le retour va à la Cocarde, le conseil d’enquète à la retraite et aux dettes, la députation au gachis. N’en faut plus ! Recommence au n°1. A chaque place des oies le portrait du général caricaturé. Ce jeu a été reproduit récemment par le Figaro.

Le jeu de l’Alliance franco-russe.
Nous voici arrivé au jeu de l’Alliance franco-russe que nos lecteurs ont sous les yeux et qu’il est, par consequent, inutile de leur décrire. Il nous sera seulement permis de le signaler parmi les plus beaux, au point de vue de la gravure qui jamais, excepté dans les grandes planches des portraits royaux, n’a été executée, pour un jeu imité de l’oie, avec une semblable finesse. Voilà désormais l’alliance franco-russe sauvée de l’oubli pour l’éternité. L’auteur de cet ingénieux projet, que nos dessinateurs ont modifié avec tant de talent, a introduit une legère modification: la case d’honneur porte le n°50, au lieu du vieux chiffre 63 du jeu classique. La clause qui fait qu’on doit crier Vive la France ! ou Vive la Russie! selon qu’on arrive sur un drapeau des deux nations, donne à la partie une grande animation. Quant aux distiques, ils sont très curieux dans leur naiveté voulue.

Alfred Barbou

 

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