Giochi dell'Oca e di percorso
(by Luigi Ciompi & Adrian Seville)
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"Les Jeux et les Dieux.Jeu de l'oie: le hasard et la fatalité"
Autore: Larbre Sébastien 
Je me suis d’abord intéressé à ce jeu pour la beauté graphique et la grande richesse de ses variantes. Ce n’est que plus tard, lorsque je fus initié, que mon attention a été attirée par des similitudes entre ce jeu et ce que je vivais en loge. Je décidais alors d’aller voir de plus près si les coincidences que j’avais pressenties étaient fortuites ou basées sur des réalités. Mais, contrairement au jeu de Tarot, qui a suscité et continue de susciter beaucoup d’exégèses, la littérature concernant le jeu de l’oie est assez pauvre et souvent contradictoire. Je ne me doutais pas que ce jeu pouvait en cacher un autre! Je me trouvai devant une série de poupées russes. Chaque fois que je pensais avoir découvert quelque chose de définitif, un autre aspect du jeu m’apparaissait. Derrière une façade anodine et ludique, se dissimulaient des aspects historiques, philosophiques, moraux, etc. L’étude qui va suivre n’a donc pas la prétention d’etre exhaustive. Elle veut seulement contribuer à mettre en lumière la face symbolique du jeu de l’aie. C’est une des lectures possibles. Il y en a surement d’autres. Tentons tout d’abord de voir un peu plus clair dans l’origine de ce jeu de parcours, et de cerner la date de son apparition. Comme pour la naissance de la Franc-Maçonnerie, il y a la légende et les faits historiques. Dans la catégorie "mythes en tous genres", citons un certain Palamède, roi d’Eubée, l’un des chefs grecs du siège de Troie. Pendant les dix longues années que dura ce siège, il devait s’ennuyer ferme, ce bon Palamède, car c’est là, selon la légende, qu’il n’inventa rien de moins que les échecs, le disque, les dés, le calendrier, plusieurs lettres de l’alphabet grec, l’explication des éclipses, les poids et mesures et la monnaie... et le jeu de l’oie. Ce n’est pas complètement absurde puisque, à l’époque moderne, beaucoup de jeux portent en sous-titre renouvelé des Grecs. Poursuivons notre voyage dans le temps et regardons du coté des Romains. Certains auteurs pensent qu’ils auraient imaginé ce jeu pour honorer les oies du Capitole qui avaient sauvé leur ville des Gaulois. Enjambant quelques siècles, nous arrivons au Haut Moyen Age. Pas trace du jeu proprement dit mais, dans certaines églises romanes, des parcours matérialisés par des dalles de couleurs différentes ou des mosaiques, probablement inspirées de labyrinthes grecs, puisque, sur l’un d’eux, on peut lire l’inscription latine Domus Dedali, la maison de Dédale. Le gothique continue cette tradition et offre des parcours de pénitence que les fidèles suivent à genoux. Partant de la périphérie, ils atteignent le centre du labyrinthe qui symbolise la Jérusalem céleste. L’un des plus fameux est celui de la cathédrale de Chartres. Avançons encore dans l’histoire. Jusqu’au milieu du XVIème siècle, toujours aucune trace indiscutable de ce jeu. Lorsque l’on connait la culture encyclopédique d’un Rabelais, et son gout pour les longues énumérations, on est frappé de voir que, dans l’inventaire très complet qu’il fait des jeux du jeune Gargantua, n’apparait pas le jeu de l’oie.

Première trace du jeu en 1597
L’incontestable première trace d’un jeu de l’oie nous est fournie par l’inscription, à Londres, le 16 juin 1597, au Stationery Company Register, l’équivalent de notre dépòt légal moderne, d’un jeu publié par un certain John Wolfe, sous le nom de A new and most pleasant game of goose (un nouveau et très divertissant jeu de l’Oie). Les évènements se précipitent alors et, quelques années plus fard, en 1614, deux marchands romains d’estampes populaires, les frères Vaccari, inscrivent un jeu de l’Oie dans leur catalogue. Alors, invention anglaise ou italienne? Difficile de les départager! Trois ans plus tard, en 1617, un religieux italien, Don Pietro Carrera, situe, lui, l’invention du jeu à Florence. François 1.er de Médicis, écrit-il, en envoya un exemplaire à Philippe II, roi d’Espagne, et ce jeu conquit rapidement la noblesse madrilène. A la meme époque - coincidence -, une autre Médicis, fille du précédent, Marie, est Reine de France et mère de Louis XIII. Or dans son journal, le médecin du jeune souverain note, en 1612 "qu’il était toujours malade mais gai, il joue à l’oie avec Monsieur de Vendome, le Grand Ecuyer". Dès lors, nous entrons dans l’ère des témoignages indiscutables, mais il faudra attendre 1640 pour avoir la preuve matérielle du premier jeu de l’oie parvenu jusqu’à nous. Il est vénitien. Le jeu de l’oie se répand en Europe occidentale où il jouit d’une grande vogue, surtout auprès d’une noblesse désoeuvrée en quete de distractions inédites. De nouvelles preuves écrites s’accumulent. Madame de Sévigné écrit à Madame de Grignan sa fille, qui avait beaucoup perdu à des jeux d’argent: "Il y a longtemps que le jeu vous abimait, j’en étais toute triste, mais celui de l’oie vous a renouvelée, comme il l’a été par les Grecs. Je voudrais bien que vous n’eussiez joué qu’à ce jeu-là, et que vous n’eussiez pas perdu tant d’argent". L’année meme de la disparition de l’épistolière marquise, en 1696, Régnard donne sa pièce Le joueur. L’un des personnages s’y plaint aussi des ravages causés par les jeux d’argent: "Tous les jeux de hasard n’attirent rien de bon, dit ce personnage, j’aime les jeux galants où l’esprit se déploie, et, Monsieur, par exemple, c’est un joli jeu que le jeu de l’oie !" Il est considéré comme très moral, et le restera toujours, malgré les utilisations polémiques qu’on pourra en faire ultérieurement. C’est à la meme époque que fleurit une sorte de jeu de parcours pour amoureux: la Carte du Tendre, où tous les lieux portent des noms galants: Tendre-sur-Inclination, Tendre-sur-Estime, Village-de-Billets-Doux, Lac d’Indifférence etc... En France, les religieux sont les premiers à penser que l’oie est un support idéal pour la propagation de leurs idées. Ainsi, en 1685, après la révocation de l’Edit de Nantes, il faut ramener les hérétiques à la "vraie" religion. Les Protestants sont donc invités à jouer à "l’Ecole de la Vérité pour les nouveaux convertis", la case de départ empruntant ces mots à saint Mathieu: "Vous entrerez par la porte étroite", et la case finale débouchant sue le "Palais de la Vérité" où se dresse le Christ triomphant !

Un support idéal pour la propagation de la foi
De nombreux jeux édifiants, basés sur l’oie, apparaissent, telle cette Récréation Spirituelle dont la première case est "Le mépris du Monde" et la dernière "L’entrée de la Chambre du Céleste Epoux". Entre ces deux cases, si l’on tombe sur celle nommée "Pratiques Indiscrètes", on est renvoyé au confesseur et à la "Retraite spirituelle". Un autre de ces jeux nous montre des scènes de la vie monastique. Le parcours commence par "l’Entrée en Religion" pour se terminer dans "La salle des Noces de l’Agneau" où sont reçues les Vierges. Pendant la guerre sans merci que vont se livrer Jésuites et Jansénistes, ces derniers publieront l’un des premiers jeux polémiques. Il s’appelle "Le jeu de la Constitution". Il attaque violemment le Pape et sa bulle Unigenitus. Dans un coin du jeu, on peut meme voir des oies habillées en éveques et portant des tiares! Après la victoire définitive des Jésuites et la destruction de Port-Royal, les Jansénistes se réfugient en Hollande où sera imprimée la dernière édition de ce jeu. Un jeu de l’oie anglais de 1790 - la franc-maçonnerie moderne n’a alors que soixante-dix ans - était nommée: New game of virtue rewarded and vice punished for the amusement of youth of both sexes (Nouveau jeu de la vertu récompensée et du vice puni pour l’amusement des jeunes des deux sexes). Nous pouvons remarquer que la récompense de la vertu et le chatiment du vice étaient parmi les premières préoccupations de la Franc-Maçonnerie naissante. De surcroit, ce jeu atypique avait 33 cases. La royauté française s’intéresse peu à ce support. On signalera seulement un Jeu Royal de Loterie. A la Révolution, en revanche, l’oie reprend, en France, force et vigueur. De l’édification religieuse, ce jeu passe à la politique, ouvrant ainsi la voie à une multitude de jeux de propagande et de contre-propagande, comme on ne disait pas encore. Apparaitront ainsi des jeux ayant pour thème les rois de France, Napoléon 1.er, Napoléon III, le général Boulanger, l’affaire Dreyfus. On publiera meme, en 1910, un jeu de l’oie anti-maçonnique, à l’occasion de la fameuse "affaire des fiches". On le nommera "la Casserole". L’entre-deux guerres a eu son "Jeu de Marianne", antirépublicain, où étaient stigmatisés tous les scandales de l’époque. Meme le régime de Vichy a sacrifié à l’oie avec "le Jeu de la Francisque" dont Pétain était la vedette... Plus récemment, en 1948, en Italie, lors des premières élections libres d’après la guerre, a été publié un jeu dans lequelles oies étaient remplacées par des statues de la Liberté. Les cases maléfiques étaient, entre autres, "le Communisme", "la Sibérie", "la Déportation". Les bonnes cases, celles qui font progresser, se nommaient "Démocratie chrétienne", "Cigarettes" et "Chocolat". La case finale figure le port de Naples par lequel, venant d’Amérique, se déversent toutes ces choses excellentes. Toujours en Italie, a été édité, en 1981, l’un des derniers avatars du jeu de l’oie. Il a été imaginé, parait-il, par un membre des Brigades rouges et on ignare comment il est parvenu à l’extérieur. La case ultime est nommée "l’Etat renversé". Mais religion et politique ne sont pas, si j’ose dire, les deux seules mamelles de l’Oie. L’imagination des créateurs est sans bornes. On trouve ainsi des jeux plus aimables qui traitent du Chemin de Fer, des Fables de La Fontaine, des Ecoliers, des Fleurs, des Mystères de Paris, des Merveilles de la Nature, de la Marine, de l’Industrie, entre autres.
Pourquoi l’oie, et non le canard?
L’Oie a servi également de support à la publicité: jeux de la Phosphatine Falières (illustré par Benjamin Rabier), du Riz français, des Vedettes de la Télévision, de l’Informatique, de l’Electricité. La liste varie à l'infini et fait le bonheur de nombreux collectionneurs. Après ce survol historique, essayons de déchiffrer la signification symbolique de ce jeu. Tout d’abord, il faut se demander pourquoi l’oie fut choisie de préférence à la poule, au canard ou à n’importe quel autre animal? Aujourd’hui, notre civilisation désacralisée et matérialiste ne considère guère plus ce volatile que sous son angle culinaire! Domestiquée, elle plait pour la délicatesse de sa chair et de son foie. A part cet intéret gastronomique, elle a, à travers la sagesse populaire, bien mauvaise réputation. On parle "d’oie blanche" pour désigner une jeune personne un peu godiche. On dit encore de quelqu’un qu’il est "bète comme une oie". Quant à son pas, transposé dans le domaine militaire, il évoque de bien mauvais souvenirs. Il n’en fut pas toujours ainsi. En d’autres temps, on la considérait comme un animal sacré. Elle était souvent confondue avec le cygne qui symbolisait l’homme touché par la lumiere, avançànt sur le chemin de l’initiation. C’était un oiseau psychopompe, c’est-à-dire qui conduisait l’ame du défunt vers un autre monde. On retrouve cette fonction chez les peuples les plus divers: les Egyptiens, les Grecs, les Celtes ou encore en Inde et en Chine. En Egypte, elle symbolisait l’ame des Pharaons, messagère reliant la Terre et le Ciel. A l’avènement d’un nouveau roi, on lachait quatre oies sauvages aux quatre coins cardinaux. Dans les légendes nordiques, les oies transportaient les enfants sur leur cou. De meme, les chamans de Sibérie préferent souvent ce mode de transport au cheval. Le symbolisme chrétien, à ses débuts, considéra aussi l’oie comme bénéfique. La légendaire reine Pédauque- ce qui veut dire en langue d’oc "pied d’oie" - que l’on retrouve sculptée dans certaines églises romanes, était sanctifiée. Certains carrefours des routes de pélerinage portaient l’empreinte de sa patte tridactyle. Plus tard, l’Eglise, retournant le symbole, en fera une créature satanique. Le diable apparaitra alors dans l’imaginaire chrétien, soit avec des pieds de bouc, soit avec des pattes d’oie.

La spirale du destin
Jeu de parcours, le jeu de l’oie se joue avec deux dés qui commandent la marche de chaque joueur. Ce sont les éléments moteurs de la progression. On peut y voir le symbole du destin dont ils ont le caractère inexorable. Le dessin général du jeu est une suite de soixante-deux cases numérotées et ornées de vignettes quelconques ou, au contraire, ayant une signification très précise. L’espace numéroté 63, but du jeu, a des contours plus vastes que les autres cases: c’est le Jardin de l’oie. Cette espèce de bande dessinée s’enroule sur elle-meme en spirale, la case de départ étant généralement située en bas et à gauche. La plupart des jeux de l’oie sont des spirales classiques. Elles peuvent etre également ellipsoidales. Plus rarement, les cases sont disposées à angle droit. Toutes ces variantes sont dues à la fantaisie du dessinateur, et sont sans influence sur le jeu. Symboliquement, selon le sens de son parcours, une spirale peut etre centrifuge et évolutive comme celle des Hermétistes. Nous avons affaire ici à une spirale centripède: c’est le retour en soi. Le chemin que l’on parcourt de la périphérie vers le centre n’est-il pas aussi une parabole de la vie? A mesure que le temps passe, le nombre de cases -d’années?- qui nous reste à parcourir diminue. Bien que disposées en spirale, les cases de cette bande dessinée n’engendreraient qu’un parcours linéaire et un peu simpliste - comme celui de la marelle qui conduit l’enfant de la Terre au Ciel – s’il n’y avait des cases particulières, bénéfiques ou maléfiques, qui donnent à ce jeu toute sa spécificité et son charme. "Tout est nombre, disait Pythagore. "Ici tout est symbole", répond en écho le rituel de la Franc-Maçonnerie au profane lors de son initiation. Le jeu de l’oie est une combinaison de nombres et de symboles. Il est régi par des nombres remarquables que nous retrouvons en maçonnerie: 3, 5, 7 et 9 entre autres. La spirale comporte trois spires. Est-ce pour symboliser les trois ages de la vie? Le 7 et le 9 sont présents dans toutes les traditions ésotériques et religieuses. Les Anciens croyaient que le corps se régénérait tous les 7 ou 9 ans, ce qui faisait de ces nombres, ou de leurs multiples, des ages critiques. On les appelait années "climatériques", réputées dangereuses à franchir. Les années qui étaient le résultat de la multiplication de ces nombres par eux-memes: 7x7 = 49 ans et 9x9 = 81 ans, étaient encore plus critiques, mais l’année considérée comme la plus terrible, nommée la "grande climatérique", était celle que l’on obtenait en multipliant les deux nombres sacrés 7x9 = 63 ans, durée moyenne, pensait-on, de la vie humaine. C’est précisément le nombre de cases du jeu de l’oie. Les oies qui ponctuent le jeu toutes les neuf cases sont donc au nombre de sept. Elles accélèrent l’avance du joueur en doublant les points qu’il a obtenus par le jet des dés. Si d’emblée, un joueur fait neuf par 3+6, il ira au 26 où sont représentés deux dés. En effet, les oies étant disposées de 9 en 9, en doublant les points on arriverait tout de suite à la case 63. Les cases 26 et 53 n’ont pas d’autre fonction. Ce ne sont pas des accidents de parcours. Ceux-ci sont au nombre de sept, comme les oies. Ces cases, par leur originalité, transforment un parcours linéaire en un parcours labyrinthique. Les autres cases ne sont que du remplissage sans influence sur le déroulement du jeu. Elles peuvent représenter n’importe quoi, comme nous l’avons vu précédemment. Les sept cases présentes obligatoirement dans tous les jeux de 1’oie et que je nommerai actives, se divisent en trois groupes:
- les cases qui font toujours avancer le joueur, les Ponts situés en 6 et en 12,
- les cases qui arretent le joueur de différentes façons : l’Auberge ou Hotel en 19, le Puits en 31 et la Prison en 52,
- les cases qui font retrograder le joueur, particulièrement s’il tombe dans le Labyrinthe en 42, ou totalement s’il rencontre la Mort en 58.
Fulcanelli voyait dans ces symboles les principaux hiéroglyphes du Grand Oeuvre alchimique. Examinons-les de plus près:
-le Pont. C’est le seul symbole a etre représenté deux fois: en 6 et en 12. C’est le symbole le plus évident dans un parcours initiatique. Il fait passer d’un état à un autre. J’ai cependant noté des variantes dans les règles. Dans l’immense majorité des jeux, celui qui arrive au premier Pont franchit un stade: il est envoyé au second Pont. Dans certains jeux, celui qui arrive directement au second doit retourner à la case Départ. Est-il allé trop vite sur le chemin de l’initiation? Le Pont, d’ailleurs, a souvent un caractère dangereux. Dans certaines légendes, il était constitué par une simple épée posée fil en l’air au-dessus d’un précipice. Les empereurs romains étaient baptisés pontifex, batisseur de pont en latin, titre qu’a conservé le Pape de nos jours. Pour les catholiques, le Souverain Pontife est le lien entre la Terre et le Ciel.
-celui qui arrive à la case 19, l’Auberge ou Hotellerie, est arreté pendant deux tours. Cette case a plutot un sens moralisateur. Dans une auberge, on ne devrait s’arreter que pour se restaurer ou dormir, sinon elle devient un lieu où l’on ne peut que perdre son temps et son argent. On y devient paresseux et nous savons que "l’oisiveté est mère de tous les vices!" J’ai retrouvé le texte d’une curieuse conférence prononcée vers la fin du XIXème siècle par un certain Claude Bataillard. Le conférencier, dans un texte intitulé l’oie réhabilitée, fustige ceux qui succombent aux séductions du cabaret: " ... et pourquoi, se demande-t-il ? Pour n’avoir pas compris dans leur enfance le sens profondément moral de la case numéro 19". C’est à peu près à la meme époque que Zola publie son Assommoir.

Le milieu de la vie: un puits?
Si l’on fait abstraction de la fin du jeu qui porte le numéro 63 et n’est pas une case comme les autres, nous avons soixante-deux cases identiques, et le Puits se trouvant en 31 est situé exactement à mi-parcours du jeu. Est-ce le "milieu du chemin de la vie" dont parle Dante? Arreté dans cette case, le joueur est seul, face à lui-meme, dans un lieu sombre, humide, faiblement éclairé, terrifiant. Un lieu intermédiaire entre les entrailles de la Terre et le Ciel. Un lieu où s’opère la putréfaction dans l’eau des profondeurs, ce liquide amniotique du ventre de la Terre-Mère, ce liquide primordial d’ou vient toute vie. C’est le retour à l’état fetal avant une seconde naissance dans un lieu de transmutation comparable à l’athanor des alchimistes. Le joueur va-t-il sortir du Puits? Sera-t-il délivré pour continuer son voyage vers le Jardin de l’oie? Si oui, un autre joueur arrive dans cette case afin de le délivrer. Alors! Est-ce trop solliciter une interprétation maçonnique de cette case en disant que ce deuxième joueur me fait irrésistiblement penser à notre Grand Expert venant chercher le profane dans le cabinet de réflexion pour l’amener vers la Lumière? De plus, le Puits, en un fulgurant raccourci, symbolise trois des quatre éléments de notre cérémonie d’initiation: l’eau, la terre et l’air ! Le joueur qui arrive à la case 42, le Labyrinthe, paiera une amende et retournera à la case 30. On connaìt deux sortes de labyrinthes:
- ceux à voie unique: leur chemin, conduisant de la périphérie au centre, est long et tortueux, mais l’on ne peut s’y perdre. Déjà évoqués plus haut, ces labyrinthes aux nombreux méandres sont ceux que l’on peut encore voir sur le sol de certaines églises ou cathédrales. On les appelait Lieues, Chemin de Jérusalem ou Paradis. Ils étaient des substituts au pélerinage en Terre sainte;
- le labyrinthe à voies multiples est beaucoup plus riche et inquiétant. Dédale en construisit un sur l’ordre du roi Minos qui y enferma le Minotaure. Lorsqu’il pénètre dans cette, sorte de labyrinthe, le voyageur est sans cesse confronté à des choix. La voie est ouverte et lui permet de continuer le voyage, ou fermée. Il doit alors rebrousser chemin et trouver le bon passage. Quelles interprétations donner à ce symbole? Celui qui veut pénétrer à l’intérieur de lui-mème, non par nombrilisme ni égocentrisme, mais pour progresser dans sa propre connaissance, celui-là va rencontrer de nombreuses difficultés, suivre des chemins obscurs et compliqués qui le feront déboucher sur des impasses ou des carrefours pleins d’incertitude avant d’arriver au centre où est tapi le mystérieux Minotaure, lequel n’est peut etre que le symbole de ses mauvais instincts, de ses làchetés, de ses préjugés, de ses "métaux", comme nous avons l’habitude de dire. Un fois le monstre terrassé, la quete n’est pas terminée. Encore faut-il que, comme Thésée, il ressorte du labyrinthe. Cela, il pourra l’accomplir gràce à ce qu’il aura appris pendant son parcours initiatique, la connaissance, son fil d’Ariane. Sans cet acquis, ne retrouvant pas le chemin du retour, le voyageur serait tenté, tel Icare, de s’échapper par le haut, ce qui irrémédiablement provoquerait sa chute. Au passage je citerai seulement la prison en 52 qui arrete le joueur, comme le Puits, et dont la signification est évidente.

La mort comme une étape et non comme une fin
Paradoxalement, si l’on considère le jeu de l’oie comme une parabole de l’existence humaine, il ne se termine pas comme elle à la case 58, qui est celle de la mort ! Le, ou les inventeurs de ce jeu considéraient, comme la plupart des traditions initiatiques, la mort comme une épreuve, le franchissement d’un seuil, le passage à un état autre, mais non comme la fin. "Mourir c’est etre initié", disait Platon. Si, dans ce jeu, la case de la mort n’est qu’un accident de parcours, c’est cependant le plus grave puisqu’il oblige le joueur à revenir à la case Départ. Le sort punit ceux qui ne sont pas arrivés exactement au Jardin de l’oie. Ils n’étaient pas prets ou trop orgueilleux d’etre. De son coté l’Evangile ne dit-il pas que "les premiers seront les derniers?" Cinq cases séparent encore la Mort de la félicité du Jardin de l’oie. Là aussi, le nombre 5 ne semble pas fortuit. La quintessence était, dans le symbolisme hermétique, au centre d’une croix formée par les quatre éléments. Après toutes ces péripéties, ces arrets plus ou moins prolongés, ces avancées soudaines ces brusques retours en arrière, le joueur arrive enfin au numéro 63: le Jardin de l’oie, qui n’est plus ne case strictement délimitée comme les autres. C’est un espace d’une toute autre nature, transcendante. C’est peut-etre le Paradis terrestre, que la Bible désigne du nom d’Eden, ou le jardin dans lequel se trouvent le lait et le miel promis aux élus par le Coran, ou encore un jardin zen (Ryoan-ji) plus austère qui, résumant l’Univers en quelques rochers entourés de sable ratissé, sert de support à la vie méditative? Nous venons de parcourir la spirale jusqu’à son terme. Le jeu est fini. Peut-on encore établir un parallèle entre le jeu de l’oie et la vie humaine? En dépit de certaines similitudes, je ne le pense pas. Au cours de son existence, malgré les éléments qui échappent à son contròle, tels l’hérédité ou des évènements extérieurs, l’homme peut espérer, au moins partiellement, prendre en mains son destin. Ici, le joueur ne se déplace que grace aux dés symbolisant le hasard, et à la fatalité inserite dans les cases. Il n’a vraiment pas son mot à dire. Le jeu de l’oie, d’un déterminisme absolu, exclut radicalement tout libre arbitre.



 

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