Giochi dell'Oca e di percorso
(by Luigi Ciompi & Adrian Seville) |
"Napoléon et le premier Empire" |
Autore: Girard&Quetel |
Un régime tout à la fois autoritaire et personnalisé à l’extreme comme l’était le Premier Empire ne pouvait que controler soigneusement l’information et utiliser à son profit l’image et l’écrit. Après les tempetes politiques de la Révolution qui ont dispersé aux quatre coins de la France un nombre incalculable de libelles, de journaux et d’images, le temps de l’ordre, de la propagande et de la censure est venu. Une nouvelle mythologie politique s’établit, qui légitime l’entreprise impériale et exorcise les fantomes ennemis des Rois Très Chrétiens et de la République révolutionnaire. Des fulgurantes victoires italiennes du général Bonaparte aux campagnes de l’Empereur, un véritable star-system centré sur les faits et gestes du Héros manifeste à toute l’Europe l’irrésistible ascension de Napoléon. A partir de 1810, l’appel de la propagande impériale réanime l’imagerie provinciale, bien assoupie depuis 1789. La restauration de l’influence de l’Église, précieux facteur de cohésion sociale et d’ordre moral aux yeux de Napoléon, ressuscite un type d’estampe populaire massivement diffusé, l’image pieuse. L’essor de l’imagerie d’Epinal prend place dans cette conjoncture politique et sociale. De nombreux jeux de l’oie se publient alors. Ils témoignent à leur façon de certaines continuités culturelles et idéologiques qui traversent l’Ancien Régime et la Révolution. Le "Jeu de la guerre et des fortifications", de 1812, rappelle les jeux militaires du XVIIIéme siècle sur lesquels le jeune artilleur Bonaparte aurait pu se délasser studieusement à l’école militaire de Brienne. Contregardes, redoutes, fortifications rasantes, manoeuvres de bombardement et de minage (parfois disposées en plusieurs cases): on ne semble guère avoir innové depuis Vauban. M. Basset en publiant ce jeu exploite un fonds iconographique familial plus qu’il ne comprend et illustre les règles nouvelles de l’art militaire; car le principe de la machine de guerre napoléonienne c’est le mouvement, la surprise et non le pesant et lent investissement des murailles. Notons incidemment que ni le temps, ni les révolutions ne troublent irrémédiablement les affaires des marchands d’estampes; leurs dynasties ne survivent que d’adaptations politiques et commerciales. Lys de France et monogrammes royaux s’effacent promptement devant l’aigle et l’initiale impériale. Abondante dans la victoire, cette imagerie se raréfie la défaite venue. Il ne s’éditera pas de jeu de la retraite de Russie et l’image commémorative de la victoire change de camp avec celle-ci: un jeu allemand, publié à Stuttgart après 1815, relate case après case les ultimes campagnes de Napoléon, tragique jeu de parcours dont la case départ est à Moscou en 1812 et où la spirale se referme sur le piège de Waterloo trois ans plus tard. Le "Jeu des deux paix de Paris (Zweiter Pariser Frieden)" nous mène des grandes batailles de la campagne de Saxe (Lutzen, Bautzen, Leipzig) aux derniers combats de Champagne, puis à l’entrée des Alliés dans Paris. Célébrant les victoires du roi de Prusse et du tsar Alexandre Ier, ce jeu, par un curieux paradoxe, ne nous les montre pas et multiplie au contraire les figures du vaincu. L’enthousiasme suscité par la libération des pays germaniques fut vite noyé dans le conservatisme et la réaction. Une certaine froideur envers le triomphe des monarchies absolues se lit dans le "Jeu des deux paix de Paris", humble écho de ce désenchantement. L’évocation, case 22, de la mort au combat du jeune poète patriote Théodore Koerner semble symboliser ce soulèvement romantique de la jeune Allemagne et la trahison de ses espoirs. "Les enfants de la Muse (flamme par qui les masses inertes des soldats avaient été animées) furent plongés dans des cachots en récompense de leur dévouement et de leur noble crédulité" (Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, XXII, 5). La défaite de la France, sous la plume de Chateaubriand, pour les Parisiens ébahis, ce sont "les hordes caucasiennes campées dans la cour du Louvre", la résurgence de l’antique terreur des barbares asiatiques. Attila est de retour, la France révolutionnaire et impériale, sous le joug du nouveau Fléau de Dieu, expie son orgueil et son impiété: "Dieu avait prononcé une de ces paroles par qui le silence de l’éternité est de loin en loin interrompu. Alors se souleva, au milieu de la présente génération, le marteau qui frappa l’heure que Paris n’avait entendu sonner qu’une seule fois : le 25 décembre 496, Reims annonça le bapteme de Clovis, et les portes de Lutèce s’ouvrirent aux Francs ; le 30 mars 1814, après le bapteme du sang de Louis XVI, le vieux marteau resté immobile se leva à nouveau au beffroi de l’antique monrchie; un second coup retentit, les Tartares pénétrèrent dans Paris" (Mémoires d'outre-tombe, XX, 13). Le "Jeu des cosaques" exploite et accrédite tout à la fois cette fausse grande peur de 1814 née de la conjonction des mythes barbares et apocalyptiques, de la réaction catholique et de l’invasion étrangère. Dans cette estampe le réalisme se noie dans la légende : armés de flèches, de piques, de cimeterres, Kalmouks, Tartares et Cosaques paraissent sortir d’une relation de voyage dans la Moscovie d’Ivan le Terrible, et le camp des Cosaques péremptoirement décrit "tel qu’il était le trente et un mars 1814 aux Champs-Élysées" est d’un Orient d'opérette, avec dromadaires et palmiers. Plus insidieusement le jeu des cosaques est une allusion fort désobligeante aux envahisseurs ; il prete aux troupes russes toutes les vilaines caractéristiques du barbare en maraude: pillard, violeur, détrousseur de blessés... En 1814 pourtant, si l’on en croit Chateaubriand, les campeurs des Champs-Élysées tenaient plus du touriste ahuri que du barbare ivre de violence: "L’ordre, la paix et la modération régnèrent partout... les vaincus pouvaient etre pris pour les vainqueurs; ceux-ci, tremblant de leur succès, avaient l’air d’en demander excuses" (Mémoires d'outretombe, XXII, 13). La fabrication et la diffusion de l’imagerie napoléonienne procuraient aux colporteurs et aux marchands d’estampes des revenus assurés et la parfaite quiétude de l’orthodoxie politique. La Restauration monarchique ne leur laisse d’autre alternative que la reconversion immédiate ou l’aventure périlleuse d’une diffusion clandestine d’images interdites. A beaucoup, la gestion de leur affaire en bon père de famille semble la voie la plus sage ; gravures sur bois et sur cuivre sont rapidement modifiées. Des colporteurs cependant écoulent des stocks antérieurs à 1815, à leurs risques et périls. Un jeu de l’oie pouvait vous mener en prison pour de bon. Ainsi sont arretés en 1816, à Melle (Deux-Sèvres), des colporteurs vendant des images napoléoniennes. La police remonte la filière et perquisitionne chez des imagiers du Mans, Leloup et Portier. Un procès-verbal est dressé le 7 juillet 1816: "Le sieur Leloup nous a remis des jeux à l’instar de celui de l’oie et intitulés Nouveau jeu impérial de l'Aigle". Mème scénario chez Portier où sont saisis dix exemplaires d’un jeu "où il y a des aigles" en lieu et place des oies. Tombés dans une case maléfique, nos deux compères sont "prévenus de distribution de signes défendus du gouvernement de l’usurpateur". Ils jouent les innocents, prouvent l’ancienneté de stocks promis au feu, et obtiennent un non-lieu. Mais la police de Louis XVIII procède elle-meme à la destruction de ces images, justifiant ainsi les prix très élevés de ces jeux politiques anciens qui font la joie du collectionneur d’aujourd'hui. Napoléon exilé à Sainte-Hélène, les mauvais souvenirs de la conscription et des lourds impots, la mémoire du sang versé s’estompent. La censure des Bourbons a beau faire, de bouche à oreille, par l’allusion, par l’écrit ou l’image plus ou moins clandestins, la légende napoléonienne s’enfle et se diffuse. Chateaubriand encore: "Après le despotisme de sa personne, il nous faut subir encore le despotisme de sa mémoire". Vienne la mort de l’empereur, le 5 mai 1821, connue à Paris le 5 juillet seulement, le mythe politique se mue en un véritable culte. La révolution de 1830, l’abdication de Charles X, l’exil définitif des Bourbons suppriment les derniers obstacles à cette inflation de souvenirs impériaux. Voleur de couronne aux yeux des partisans de la monarchie légitime, Louis-Philippe renoue avec le drapeau tricolore et cherche à capter le mythe impérial pour affermir un consensus politique dont la Monarchie de Juillet a bien besoin. L’Arc de triomphe est inauguré en 1836; la statue de Napoléon réapparaìt au sommet de la colonne Vendome en 1833 ; retour des Cendres enfin, en 1840. L’épopée impériale se fait genre pictural. Horace Vernet, parmi bien d’autres peintres, expose Wagram, Iéna, Friedland tandis que se multiplient, en marge des arts consacrés, les images de grande diffusion et les jeux de parcours à la gloire de Napoléon. Le "Jeu du grand’ homme" à lui seul résume le sens de cette imagerie pieuse à en devenir naive, sinon niaise. Sans aucun souci de chronologie (la victoire du jeune Bonaparte à Marengo, en 1800, est à une case de la bataille de la Moskova, en 1812), la spirale déroule un légendaire sans la moindre allusion aux revers subis par le grand homme ; pas plus de retraite de Russie que de désastres navals à Aboukir ou Trafalgar, et la morne plaine de Waterloo s’est, elle aussi, fondue dans cette amnésie sélective. Si l’exil de l’Ile d’Elbe est bien à la case 38, seul un tombeau, abrité sous un saule pleureur, sur un rivage romantiquement battu par les flots, est à la case 62 l’allusion discrète à l’agonie de Sainte-Hélène. Cheval cabré, bicorne et geste impérieux, Bonaparte fait son voyage d’Italie : le passage du Mont Saint-Bernard (case 37) démarque le célèbre tableau de David petit exemple des emprunts si fréquents des arts populaires aux chefs-d’oeuvre de la culture "savante". Stendhal, témoin de l’ascension du Saint-Bernard, découvre trente-six ans plus tard, de retour sur les lieux, qu’il ne peut se remémorer exactement la marche périlleuse, prélude aux enchantements italiens pour lui décisifs: "Par exemple je me figure fort bien la descente. Mais je ne veux pas dissimuler que cinq ou six ans après j’en vis une gravure que je trouvai fort ressemblante, et mon souvenir n’est plus que la gravure...Bientot la gravure forme tout le souvenir, et détruit le souvenir réel" (Vie de Henry Brulard, 45). Ainsi dans l’esprit meme des acteurs de l’événement, la force des images façonne la mémoire dans un rapport spéculaire de l’Histoire et de son reflet où la réalité acquiert le tremblé du mirage. Comment distinguer l’oubli de la légende et du mensonge : de case en case, le grand homme est bon, la clémence qui sied aux empereurs est sienne. Napoléon pardonne aux révoltés du Caire (case 48) mais l’on ne trouvera pas l’image de la prise de Jaffa et de l’atroce massacre des prisonniers turcs qui s’ensuivit. La campagne d’Égypte est un reve oriental où l’évocation de la grandeur des pharaons n’est que le contrepoint de celle de Bonaparte: "Soldats souvenez-vous que quarante siècles vous contemple (sic)", à la case 53. Le "Jeu du grand homme" mele anecdotes légendaires, plus vivaces que la réalité (Bonaparte prenant la place d’une sentinelle endormie, case 42), et faits historiques avérés (la gràce accordée au Prince de Hatzfeld sur les supplications de sa femme, case 58, celle de la mort). La terreur de l’Europe, l’ogre de la légende noire est volontiers sanctifié, ouvertement ou par d’infimes glissements de sens. Case 46, quand "Napoléon donne à un brave son manteau pour linceul", la scène rappelle étrangement un autre thème iconographique très populaire, celui où saint Martin partage sa tunique avec un misérable. Enfin, tout ce légendaire trouve sa conclusion case 63, face à la colonne de la Grande Armée, place Vendome. "Ah! Qu’on est fière (sic) d’etre français quand on regarde la colonne". Formule qui connut des interprétations iconoclastes et osées, suggérées peut-etre par la faute d’orthographe de la légende. Le culte impérial déborde largement les frontières de la France. Un "Gioco della colonna della grande armata", publié à Parme vers 1840, est une réplique maladroite du jeu du grand homme. Une menue bimbeloterie, des images enfantines sont alors l’écho assourdi de l’aventure européenne de Bonaparte. Le jeu de la destinée, si souvent symbolisé par un jeune enfant innocent aux réactions imprévisibles, se mue ainsi en jeux et en histoires exemplaires. |
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