Giochi dell'Oca e di percorso (by Luigi Ciompi & Adrian Seville)

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D'Allemagne Tav. n°29 - Nouveau Jeu Bruiant (sic) des Cris de Paris de ses Faubourgs et ses Environs - New Noisy Game of the Street Cries of Paris

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	primo autore:	Basset
	secondo autore:	Basset
	anno:	1808
	luogo:	Francia-Parigi
	periodo:	XIX secolo (1°/4)
	percorso:	Percorso di 43 caselle numerate
	materiale:	carta (paper) (papier)
	dimensioni:	475X670
	stampa:	Acquaforte (taille-douce) (ecthing)
	luogo acquisto:	Italia-Massa
	data acquisto:	30-01-1993
	dimensioni confezione:
	numero caselle:	43
	categoria:	Vita umana, attualità, lavoro e tempo libero
	tipo di gioco:	Gioco di percorso
	editore:	Basset Parigi
	stampatore:	A Paris Chez Basset, Rue St. Jacques N°64
	proprietario:	Da: D' ALLEMAGNE, Henry Renè: "Le noble jeu de l’oie en France de 1640 à 1950" Ed. Grund, Parigi 1950 (Tav. 29)
	autore delle foto:	L. Ciompi (da: "Le noble jeu de l’oie en France de 1640 à 1950")
	numero di catalogo:	644
	descrizione:	Gioco di 43 caselle numerate, spirale, antiorario, centripeto. Nel 1775 Crepy stampa il gioco "Le nouveau jeu des cris de Paris dédié aux amateurs"; nel 1805 un altro gioco con analogo soggetto e con titolo "Nouveau jeu des Cris de Paris dédié aux amateurs" viene stampato da Jean (44 caselle). Nel 1808 Basset stampa la terza versione con titolo "Nouveau jeu bruiant des cris de Paris, de ses faubourgs et environs". REGOLE: al centro. "Ce Nouveau jeu est composé de plusieurs nombres, depuis 1 l'Afficheur au coin des Rues et places de la Capitale, jusqu'au N°43, Le Marchand d'aiguilles pour les femmes et les filles; ce Numéro la plus haute chance et la plus bruiante ne peut s'atteindre qu'après avoir surmonté les obstacles et mauvaises rencontres qui sont les Numéros marquée ci après. Numéro 8 le charbonnier, celui qui atteindra ce Numéro payera pour la voie de charbon renfermée dans son sac un jetton à chaque joueur jusqu'à ce que chacun ait joué deux tours. Numéro 15 marchand de forneaux, celui qui attendra ce Numéro payera un jetton pour un forneau tout neuf à chaque joueur et restera jusqu'à ce que chacun ait joué deux tours. Celui qui fera 29 où est le porteur d'eau payera un jetton pour sa voie d'eau et restera jusqu'à ce que chacun ait joué deux tours. Celui qui fera 40 où est le fondeur de cuillers d'Etaim, recompensera son industrie en payant le tout et recommencera le jeu. N.a On ne pourra s'arreter sur les Numéros 7 à la Marchande de Carpes laitée Carpes vives, 14 à l'Ecaillere, 21 au joueur de Gobelets, 28 au Marchand d'Oiseaux, 35 au Marchand de prunes de reine claude et 42 au marchand de Romaines grosses comme de melons et il faudra redoubler la quantité des points indiqués par les deux dés et retourner sur ses pas." CASELLE: con didascalia. REFERENZA 1 (Baron De Vinck, pag. 42, n°92) 1808 Nouveau Jeu Bruiant des Cris de Paris de ses Faubourgs et Environs. Sous le trait carré: A Paris chez Basset, rue St. Jacques, n°64. Déposé à la bibliothèque imperiale. Quarante-trois cases, toutes consacrées aux crieurs des rues: la quarante-troisième represente le marchand d'aiguilles pour les femmes et les filles; aux quatre angles des scènes de guinguette et des décorations de fetes populaires. Le vin, à cette epoque, n'était pas moins cher qu'aujourd'hui, car le crieur colportait l'excellent vin de Bourgogne, qui rougit la trogne, à huit sous le litre. H. 0m,480. L. 0m,600. REFERENZA 2 (D'Allemagne, pag. 225): "Nouveau Jeu Bruiant (sic) des Cris de Paris de ses Faubourgs et ses Environs. Paris, Basset (1808). Taille-douce, 44x56,5. Jeu à 44 cases sur les petits métiers parisiens. Dans les coins: scènes de bal et guinguettes. Voir notice et pl. 29." REFERENZA 3 These two virtually identical sheets are the third, 43-space, version of a game originally issued by Crépy in 1775 under the title "Le nouveau jeu des cris de Paris dédié aux amateurs", the second being an analogous game of 44 spaces issued by Jean in 1805, with the title "Nouveau jeu des Cris de Paris dédié aux amateurs". Each space illustrates one of the ‘town cries’ of Paris, beginning with the bill-sticker and ending with the itinerant vendor of needles for ladies and girls. D’Allemagne states that the illustrations are taken from a 16th-century set, now in the Bibliothèque de l’Arsenal. In a long section of his book [D’Allemagne 1950: 99-124], he gives an explanation of each of the cries, linking some to illustrations of similar subjects by Vernet. The game is of the goose type, but with the favourable (doubling) spaces on 7,14,21 etc. The hazard spaces are not reminiscent of those of Goose: they involve paying tokens to the other players and/or missing turns. (Plock, Phillippa - Seville Adrian) REFERENZA 4 "New Noisy Game of the Street Cries of Paris (Nouveau Jeu Bruiant des Cris de Paris de ses Faubourgs et ses Environs)", c. 1808; published by Paul André Basset (active 1785-1815), Paris, etching and engraving on paper, hand-coloured in watercolour and bodycolour. Waddesdon Manor, The Rothschild Collection (Rothschild Family Trust). This popular game draws on an iconographical tradition, which was shared throughout Europe for over 300 years. ‘Cries’ were sung by street traders in order to advertise and sell their wares from the Middle Ages up to the First World War. Representations of these merchants and their street cries were common in prints, drawings, paintings, poetry, literature and theatre. The images capture an aspect of urban living, and reflect the ancient connection between work and song. The game starts with the poster-seller and ends with the loudest of the criers, a seller of women's hair decorations. The cries of the different street sellers would have been familiar to players and may even have been sung aloud as part of the game. (Jacobs Rachel) Exhibitions - "Playing, Learning, Flirting: Printed Board Games from 18th-Century France". Catalogue exhibition of French eighteenth-century Board Games, 28 March – 28 October 2012, Waddesdon Manor, The Rothschild Collection (Rothschild Family Trust). Rachel Jacobs, Curator.
	bibliografia:	1) VINCK, Eugène, Baron de: "Iconographie du Noble Jeu de l’Oye". Catalogue descriptif et raisonné de la Collection de Jeux formé par le Baron de Vinck". 126 Jeux du XVIIIe au débùt du XIXe siècle. FR. J. Olivier Libraire, 11 Rue des Paroissiens, Bruxelles, pag. 42, 1886. 2) GRAND-CARTERET, John: "Les jeux d'oie". In: "Vieux papiers, vieilles images. Cartons d’un Collectionneur", Le Vasseur&C.ie Parigi (pp. 257-276), 1896. 3) ALLEMAGNE, Henry-René D’: "Le noble jeu de l’oie en France, de 1640 à 1950", Ed. Grund, Parigi 1950. 4) NEGRI, Ilio - VERCELLONI, Virgilio: "I giochi di dadi d'azzardo e di passatempo dei gentiluomini e dei pirati". Introduzione di Caterina Santoro, Lerici Milano 1958. 5) MASCHERONI, Silvia - TINTI, Bianca: “Il gioco dell’oca: un libro da leggere, da guardare, da giocare”, Ed. Bompiani, Milano 1981. 6) MILANO, Alberto: "Imagerie Parisienne. Basset, tra XVIII e XIX secolo". "Charta" Anno 17 n.100, novembre-dicembre 2008. 7) PLOCK, Phillippa - SEVILLE, Adrian: "The Rothschild Collection of printed board games at Waddesdon Manor", in XIIIth Board Game Studies Colloquium, Paris, 14-17 April 2010. 8) JACOBS, Rachel: "Playing, Learning, Flirting: Printed Board Games from 18th-Century France". Catalogue exhibition of French eighteenth-century Board Games, 28 March – 28 October 2012, Waddesdon Manor, The Rothschild Collection (Rothschild Family Trust). Rachel Jacobs, Curator.
		D'ALLEMAGNE, Henry-Renè: "Le noble jeu de l’oie en France de 1640 à 1950" pag. 99-124
		JEUX SUR LES CRIS DE PARIS En I775, chez Crépy, rue Saint-Jacques à Saint-Pierre, près de la rue de Ia Parcheminerie avec privilège du roi, était édité “Le nouveau jeu des cris de Paris dédié aux amateurs”. Il a été publié, en 1805, un autre jeu traitant Ie meme sujet et portant le titre: “Nouveau jeu des Cris de Paris dédié aux amateurs à Paris, chez Jean, rue Saint-Jean de Beauvais, n° 10 et contenant 44 cases. Enfin, Basset, en 1808, a publié un 3e jeu, sous le nom de “Nouveau jeu bruiant des cris de Paris, de ses faubourgs et environs”. (hauteur 47.5, largeur 67) C’est celui que nous donnons dans cet ouvrage. Dès le XIIIe siècle, les cris de Paris ont donné lieu à de nombreux poémes, la reproduction graphique de cette curieuse mélopée a été reproduite dans une suite de gravures sur bois du XVIe siècle conservées à la Bibliothèque de l’Arsenal. Pour mettre un peu d’ordre dans les renseignements relatifs à des cris aussi divers, nous avons divisé arbitrairement les 43 cases du jeu de 1808, de Ia manière suivante: ALIMENTATION, CHAUFFAGE, COMMERCE EN VIEUX et METIERS. ALIMENTATION De tout temps, cette question a joué un rôle important dans les humaines preoccupations. Un auteur humoriste du début du XVIIe siècle, M. de Montmaure (1576-1648), vitupérait en ces termes les convives qu’il avait à sa table qui parlaient, chantaient et riaient tous ensemble: “Messieurs, un peu de silence, on ne sait plus ce qu’on mange.” MARCHAND DE COCO. - Dans la série des cris de Paris de Carle Vernet, il est désigné sous le nom de “marchand de tisane”. Pour annoncer aux passants sa modeste profession son cri est: “A la fraiche, qui veut boire..., v’la le coco...”. Il est représenté coiffé d'un magnifique bicorne. Sur son dos est un réservoir demi-cylindrique auquel correspond un tuyau terminé par un triple robinet. A sa ceinture et sur ses épaules sont fixés des gobelets maintenus individuellement par une chaine, ce qui indique la méfiance di marchand de coco vis-à-vis de ses clients eventuels. MARCHANDE DE FRUITS. - Au XIIIe siècle, les commerçants en fruits étaient divisés en deux categories, les uns étaient dénommés marchands fruitiers et les autres portaient le nom de regrattiers fruitiers. POIRES. - Ces fruits, lorsqu’ils sont cuits, ont de tout temps obtenu la faveur des passants auxquels ils sont offerts. Par un rapprochement assez malicieux entre les soldats anglais et les poires d’Angleterre, les marchands fruitiers ambulants criaient a tue-tête: “A trois liards les Anglais, un sou le tas les Anglais.” Ce cri proféré sur le Pont-Neuf avait pris naissance pendant la guerre de 1775 alors que les marchands ambulants vendaient sur des éventaires des fruits qu’on nommait poires d'Angleterre. NOIX ET NOISETTES. - La noisette est un fruit dont la coque renferme une amande d’un gout fin et recherché. Les marchands ambulants portaient devant eux un éventaire où étaient disposées des noisettes ainsi qu’un vase servant à mesurer les délicates amandes. Sous le nom de cerneaux, on vendait surtout au Moyen Age des noix vertes confites dans du vinaigre ou du verjus. Au XVIe siècle, les colporteurs annonçaient ainsi leur marchandise: “Mes beaux cerneaux... tout ceci pour deux tournois Je crie si haut que j’en suis tout en eau.” MARRONS ET CHATAIGNES. - Les colporteurs annonçaient ainsi leur marchandise: “Tout chauds... tout brulants...”. Mercier donne quelques détails sur la manière de faire bouillir les chataignes en les salant économiquement: “Au lieu de payer le sel treize sous la livre, ils versent dans la chaudière aux marrons un sel qui n’est encore assujetti à aucun droit et qui leur est propre.” GATEAUX DE NANTERRE. - Une des marchandes ambulantes qui, au début du XIXe siècle, a joui d’une veritable popularité, c’est la marchande de gateaux de Nanterre qui annonçait ainsi sa marchandise: “Gateaux de Nanterre... des gateaux fins... “. Carle Vernet l’a représentée sous les traits d’une vieille femme misérablement vétue et tenant à la main quelques gateaux présentés sur une modeste feuille de papier. Un littérateur et journaliste du début du XIXe siècle parle ainsi de la fameuse Madeleine de Nanterre qu’il représente sous des traits plus séduisants que celle de Carle Vernet. “Toute sa personne, écrit-il, est si remarquable, qu’elle n’hésite pas à apostropher le passant qui la dévore des yeux: “Eh bien quoi, c’est Madeleine, elle est bonne enfant, je suis connue dans tout Paris...”. La belle Madeleine qui tenait ses assises auprès du Palais du Tribunat, avait ouvert aux Champs-Elysées un établissement où l'on trouvait toujours des gateaux frais, du vin vieux et des cabinets particuliers pour les amis de la décence. LE LAIT ET LES OEUFS. - C'est par le cri de: “C’est la laitière, allons vite”, qu’était bon matin annoncé dans les rues de Paris le lait si impatiemment attendu pour le premier déjeuner. Elle portait généralement sur la tête un vase en cuivre et dans la main un pot servant à mesurer le précieux liquide. Dès le XIVe siècle, on se plaignait que le lait fut souvent allongé et dans le recueil Ménagier de Paris, on trouve cette recommandation: “Prenez le lait de vache bien frais et dites à celle qui vous le vendra qu’elle ne vous le baille point sellé à mi-eau, et s’il n'est bien frais et qu’il y ait eau, il tournera.” On cite à ce sujet l'anecdote suivante: une laitière apporte un matin sa ration de lait accoutumée à une cuisinière. Cette dernière voyant qu’on ne lui avait servi que de l’eau claire s’écrie: “Mais c’est de l’eau que vous m’apportez là ....”. Sans se déconcerter, la laitière réplique: Ah, sapristi, on a oublié d’y mettre le lait ...”. LEGUMES. - “Des radis, des raves”, tel est le cri de la marchande de legumes. La culture des légumes remonte à une haute antiquité et elle était pratiquée par les Grecs et les Romains. En France, c’est dans le Limousin, l’Auvergne et la Savoie que la culture en gros des légumes est le plus intense. SALADE. - Le cri par lequel cette marchandise était annoncée dans les rues était: “Laitues, romaines... à la salade...”. Les marchandes ajoutaient: “Un sou la pièce, la tendresse, la verduresse, artichauts, les beaux artichauts, un sou la pièce, la tendresse, un sou la pièce ....”. Un certain M. Valmont de Bonnemarre s’était montré ennemi-né de la laitue. “Quelques-uns, ecrit-il, ont dit que la laitue rend les hommes impuissants et les femmes stériles, aussi les gens mariés qui désirent avoir des enfants, n’en doivent-ils pas faire un usage abusive”. Ajoutons, toutefois, que notre siècle est devenu bien incrédule à ce sujet. Carle Vernet avait réservé une place spéciale à la marchande de légumes, il l’avait représentée sous les traits d’une charmante jeune fille élégamment vétue, elle tient par la main un baudet chargé de deux énormes paniers en vannerie contenant des légumes de toutes sortes. MAREE. - La modeste commerçante qui présente au public différentes espèces de poissons annonce ainsi sa marchandise: “Saumon nouveau... saumon nouveau...”, ou bien encore “Carpes laitées, carpes oeuvrées...”. Elle porte sur le dos une grande hotte et devant elle se trouve un éventaire où semblent frétiller de petits poissons. Une ordonnance de police du 9 février an X, réglemente la vente de la marée et déclare qu’elle doit être portée aux halles vers 4 ou 5 heures du matin, elle est mise en vente publique et est adjugée au dernier et plus offrant enchérisseur. Il est ordonné aux marchands d’avoir des paniers de même grandeur et le fond ne doit être garni que de quatre pouces de paille au maximum. Toute vente au detail est interdite avant la cloture du marché. BOULANGERIE. - Les boulangers ambulants sont représentés en général par un artisan coiffé d’un bicorne. Ce dernier extrait parfois d’une corbeille profonde les petits pains qu’il offre au public. Sous Louis XIII, le grand pannetier de France était le chef et le protecteur des boulangers, mais cette disposition fut supprimée en aout 1611 et les boulangers furent soumés à la juridiction des prévots de Paris et du lieutenant général de police. Aux termes du règlement de la corporation qui nous occupe, les boulangers devaient étre continuellement en chemise et en caleçon sans porter de hauts-de-chausses et coiffés d’un bonnet. Ce costume était ainsi établi pour que les boulangers fussent toujours en état de travailler sans jamais sortir autrement que le dimanche. Le meilleur pain était fabriqué par le châpitre de Notre-Dame et on l’appelle “pain du châpitre”. Pour la reine Marie de Médicis, on fabriquait un pain special qui était salé et préparé à la levure de bière. Il y avait à cette époque différentes espéces de pain: les pains à la Montauron pétris au lait, le pain de Gentilly qui se faisait au beurre, le pain cornu, le pain blême, le pain à la citrouille. Au Moyen Age, les colporteurs échangeaient le pain contre des images et vendaient également des couronnes de papier pour les élus de la féve au moment de l’Epiphanie. Au XVIIIe siècle, on a essayé de fabriquer du pain avec des pommes de terre mélangées dans la proportion de deux tiers de pommes de terre avec un tiers de farine. On prétendait à cette époque que ce pain qui était léger et d’un bon gout pouvait étre utilisé dans le potage et que sa qualité lui permettait de se conserver plus longtemps que le pain de froment. PATISSERIE. - Les artisans qui s’occupaient de cette branche de l'alimentation, étaient: les patissiers oublieurs et les patissiers de pain d’épices. Les premiers étaient au XVIIIe siècle souvent cabaretiers, rotisseurs ou cuisiniers. Les patissiers oublieurs étaient, à l’origine, préposés à la confection des hosties et ils y adjoignirent peu à peu d’autres patisseries destinées aux gens d’église. Une de leurs spécialités, était la fabrication des échaudés ainsi que celle des nieuses qu’à certaines fêtes on jetait du haut des tours de Notre-Dame ou du sommet de la voute de la nef. Les oublies, disposées dans de petites corbeilles, étaient vendues à la huitaine, c’est ce qu’on appelait “une main d’oublies” et deux mains coutaient un sou. VINAIGRE. - Le marchand vinaigrier représenté dans la série des cris de Paris est coiffé d’une sorte de bonnet phrygien, il pousse devant lui une brouette supportant un tonneau à coté duquel est une mesure destinée à verser le liquide acidulé. Au XVIIIe siècle, l’un des marchands vinaigriers le plus en vogue était le sieur Maille. Il était doué d’un génie véritablement inventif en fait de condiments, il sut en effet composer 92 sortes de vinaigre tant au point de vue comestible qu’au point de vue de la toilette. A une époque ancienne, au XIIIe siècle notamment, on employait comme condiment le verjus pour l'assaisonnement du poisson ainsi que de certaines viandes. Suivant un vieux dicton auvergnat, on prétend que: “Veaux et chevreaux ne valent rien sans jus d’oseille.” Sous Louis XIII, le corps des vinaigriers fut partagé en deux branches: les traiteurs ou maitres-queux et les cuisiniers dénommés aussi porte-chat. VIN. - Dans la série des cris de Paris, le vin est représenté par un joyeux buveur portant d’une main une bouteille, tandis que dans l’autre on a figuré un verre de forme évasée. En haut de la gravure, on a inscrit son surnom: “Monsieur Sacavin.” Au XIIIe siècle, le roi mettait en vente ses vins et le territoire d’Orléans était en grande partie couvert de vignobles appartenant à la couronne. Le roi faisait vendre à Paris ses vins et le jour où la vente commençait, les crieurs réunis sous la conduite de leur maitre, annonçaient solennellement dans tous les carrefours: “Le vin du roi.” Un distique de cette époque rapporte cette pratique: “On crie vin nouveau et vieux, Duquel on donne à tatter.” En effet, les crieurs faisaient gouter leur vin à leurs clients éventuels. Il existait autrefois des experts en vins nommés “buffetiers”. Ils faisaient partie de la communauté des vinaigriers, sauciers, distillateurs en eau-de-vie et esprit-de-vin. Cette communauté datait de 1514 et la spécialité de ses membres consistait à acheter “des étoffes à faire vinaigre” (mère à vinaigre et vins de buffet). C’est une scène de corps de garde que nous représente la gravure de Marlet où l’on aperçoit des grenadiers de la Garde Nationale, la téte couverte d’un immense bonnet à poils; l’un deux lutine une personne de petite vertu, venue s’échouer au milieu des soudards qui expriment de tout près la chaleur de leurs sentiments à la prisonnière volontaire. Un buste de Louis XVIII placé contre le mur de la salle semble présider imperturbablement à cette scène bachique. Sur le mur de droite est une tablette où les grenadiers ont déposé leurs immenses coiffures, peut-etre assez décoratives, mais bien encombrantes aux heures de délassement. CHAUFFAGE. - Nos ancetres étaient des gens plus frileux qu’on ne le croit généralement, et pour combattre le froid dans les chateaux et dans les vastes cathédrales, ils avaient inventé des appareils peut-étre un peu rudimentaires, mais cependant assez pratiques. Dans les ruines romaines, on trouve quelques exemples d’une sorte de chauffage central dont on ne trouve pas de trace au Moyen Age. A cette époque, on utilisait principalement des cheminées munies de larges ouvertures et se terminant par de vastes conduits de fumée qui projetaient à l’intérieur des pièces des douches d’air glacé susceptibles de contre-balancer la bonne chaleur qui s’échappait du foyer où l’on brulait le bois. Dans des temps plus rapprochés de nous, on a eu recours à l’emploi de chariots à feu, véritables braseros mobiles dont on trouve encore quelques spécimens dans certaines cathédrales, notamment à Narbonne. APPROVISIONNEMENT DE PARIS EN BOIS. - On a eu recours au XVe siècle au système de flottage, notamment pour les bois d’Andelle qui arrivaient ainsi jusqu’à la Seine. Ils étaient alors déchargés sur le quai de l’Ecole aux risques et périls des entrepositaires, car presque périodiquement, les inondations rejetaient dans le fleuve ces buches amenées de si loin et au prix de si grands efforts. Quand le bois était ainsi arrivé à Paris et mis en chantier, il était mesuré au moule ou à la corde et on utilisait un anneau de fer qui avait six pouces de diamètre pour classer les buches suivant leur grosseur. Le bois mesuré, était marqué d’une fleur de lis et la marque étalon était conservée à l’Hotel de Ville. Les bois étaient transportés dans des radeaux constitués par des longues perches liées entre elles, par des harts ou rouets. Outre le bois de chauffage, on transportait aussi, de la meme manière, le bois de charpente, de sciage ou de construction. Il y a une sorte de bois dénommé “bois mérin”. C’est ordinairement du chene qui est débité de deux manières, soit en panneaux pour l’usage des parquets, soit en bourdillons servant à la fabrication des futailles. Le bois mérin au lieu d’etre scié, ce qui lui conferait une bien plus grande solidité, et le rendait propre à des usages multiples, était employé surtout par des tonneliers. On utilisait aussi pour le chauffage le charbon de bois qui était débité par voie équivalent à un hectolitre et ensuite par boisseaux correspondant à un décalitre. Les porteurs de charbon de bois étaient payés moyennant une rétribution de 0,75. A l’époque de la Restauration, le charbon de bois était coltiné dans d’immenses sacs de près de deux mètres de hauteur par les représentants du Plateau Central de France. La scene représentée dans les tableaux de Paris de Marlet, nous fait assister à une lutte entre les divers clients d’un marchand de vin qui avait pris pour enseigne “Aux Amis de la Paix”. Une marchande ambulante assise au bord d’une boutique, regarde avec bonhomie le règlement de compte qui s’effectue entre les clients des “Amis de la Paix”. HOUILLE ET CHARBON DE TERRE. Au XVIIIe siècle, on commençait déjà à utiliser le charbon de terre combustible fossile extrait principalement des mines du Forez et de l’Auvergne. Ce combustible servait spécialement pour l'approvisionnement des forges. On employait aussi la houille, dans des poeles et l’un des plus anciens dont on ait trouvé la trace avait été inventé en 1686 par un sieur Dalesme. Ce premier essai n’eut pas de succès en raison des gaz délétères qui s’échappaient des poeles ainsi construits. En 1771, un sieur Vincent de Montpetit, présenta à la Faculté de Médecine un modèle de poele hydraulique dont la partie inférieure contenait un fourneau, tandis qu’à la partie supérieure se trouvait le conduit servant à l'évacuation des fumées. Ce conduit contenait un serpentin muni d’un dispositif permettant de chauffer l’eau qui répandait ainsi une douce chaleur dans l’appartement. Un ingénieux système de pilotage permettait d’alimenter continuellement le récipient ainsi disposé. RAMONEURS. - L’emploi d’un combustible consistant en bois plus ou moins sec, ne tardait pas à encrasser l’intérieur des conduits de fumée qui, pour etre nettoyés, avaient besoin du concours du ramoneur. Ces conduits de fumée étaient de véritables constructions appliquées contre les murs intérieurs des maisons particulières ou des chateaux. Ces derniers,généralement de petite taille et assez minces, devaient s’engager à l'intérieur des coffres de cheminées; pour leur travail, ils étaient munis d’une raclette recourbée à l’aide de laquelle ils faisaient tomber la suie qui s’était accumulée dans les conduits. Mercier décrit ainsi ces modestes ouvriers: “Ils sont ramoneurs et commissionnaires à la fois, ils forment dans Paris une sorte de confédération qui a ses lois. Les plus agés ont “inscription” (autorité) sur les plus jeunes. Ils parcourent les rues le visage barbouillé de suie, l’air naif et gai. Ils ne demandaient pas plus de cinq sols pour prix de leur pénible travail.” Carle Vernet a consacré aux ramoneurs une de ses amusantes lithographies. Elle représente un homme jeune, presque un gamin, il est pieds nus, misérablement vêtu et tient à la main une raclette à l’aide de laquelle il fera tomber la suie ou le goudron solidifié. COMMERCE EN VIEUX. - La friperie est une industrie remontant au haut Moyen Age et dans le Livre des Métiers d’Etienne Boileau, il est dit: “que le métier de friperie devait être acheté du roi qui le vendait à l’un plus, à l’autre moins tant qu’il lui semblait bon”. Le commerce des fripiers aux dires de Jaubert permettait à ses membres, outre le commerce des vieux vétements, de faire executer par leurs apprentis, compagnons ou tous autres, toutes sortes d’habits neufs, d’étoffes de laine toiles et soies, mais sans mesures certaines, pourvu que le prix des habits ne dépassat pas celui de dix livres chacun. POURVOYEURS DE LA FRIPERIE. - C'était principalement les chiffonniers, pattiers, driliers ou pelleriers qui se chargeaient d’approvisionner les fripiers. Outre le métier de ramasseurs de chiffons, la plupart des chiffonniers exerçaient le métier d’écorcheurs de chevaux, ils tiraient du cou et du ventre de cet animal une graisse qui était propre aux travaux des émailleurs. MARCHANDS DE PEAUX DE LAPIN. - Ils faisaient partie de la classe des fripiers. Voici, d’apres Mercier, comment était exercée cette profession: “Dans les exhalaisons infectes de ces peaux, on sent venir le marchand avant que d’entendre sa voix. Son cri est extrémement dur.” Le commerce des peaux de lapin était connexe à celui des chapeaux dans la fabrication desquels les peaux de lapin entrent pour une grande part. PERRUQUIERS EN VIEUX. - Il leur était interdit de tenir boutique ailleurs que sur le quai de l’Horloge. Ils ne pouvaient confectionner des perruques neuves sans que la coiffe intérieure ne portat l’étiquette “perruque mêlée”. Leur étalage était seulement orné d’une tête de bois nommée “marmot”. MARCHANDES A LA TOILETTE. - Ces représentantes du petit commerce parisien figurent dans la collection des Métiers de Paris de Carle Vernet sous le nom de “marchande de chiffons”. Leur cri est ainsi proféré: “Chapeaux à vendre... des vieux chapeaux... avez-vous des vieux chiffons à vendre, v’la la marchande de chiffons ....” La lithographie de Carle Vernet représente une vieille femme la tête coiffée d’une demidouzaine de chapeaux superposés les uns sur les autres. Ses épaules sont couvertes d’un fichu noué à la Marie-Antoinette et sur son bras repose une quantité de vêtements usagés. “Les marchandes à la toilette, écrit Mercier, entrent partout, elles apportent les étoffes, les dentelles ou les bijoux de ceux qui veulent avoir de l’argent comptant pour payer leurs dettes de jeu. Une marchande à la toilette doit avoir un caquet qui ne finit pas, une discrétion à toute épreuve et une mémoire infaillible. Il n’existe de ces femmes-là qu’à Paris, elles font leur fortune en très peu de temps, mais elles ne la doivent pas toujours en entier à la vente de leurs marchandises.” ENDROITS OU SE TENAIT LE COMMERCE DE LA FRIPERIE. - “Une place fut assignée aux fripiers, ainsi que le déclare Pierre Le Jumeau, prévot de Paris en 1302. Cette place tenait au mur du cimetière des Innocents de Paris et en icelle place pour femmes lingières, vendeurs de petits souliers et vendeurs de menue friperie. Les impétrants adressèrent une requête au roi pour qu’il lui plut de faire édifier une halle en ladite place où ils puissent vendre leurs marchandises les jours de marché.” Mercier expose en ces termes ce qui se passait au XVIII siècle: “Sous le pilier des halles subsiste encore la maison où est né Molière. Là, règne une longue boutique de fripiers qui vendent de vieux habits dans des magasins mal éclairés et où les taches et les couleurs disparaissent. Les femmes de ces fripiers vont tous les lundis à une espèce de foire dite du “Saint-Esprit” qui se tient à la place de Grève. Il n’y a pas d’exécution ce jour-là. Elles y étalent tout ce qui concerne l’habillement des femmes et des enfants; les mouchards y attendent les escrocs venus pour vendre des serviettes et autres effets volés, on pince ainsi ceux qui s’avisaient de filouter.” LE TEMPLE. - Tous ces marchés de la friperie ont fini par avoir leurs assises dans un local plus stable. Nous voulons parler de l'ancienne proprieté du Temple qui avait appartenu jadis à l’ordre de Malte ou de Saint-Jean de Latran. Cette proprieté avait été séquestrée en 1790 au nom de la Nation. Actuellement ses constructions forment un veritable caravansérail constitué par deux hangars pouvant se diviser en quatre categories: dans l’une, on traitait le commerce de luxe: dentelles, corsets de femme et parfumerie. Les commerçants de cette catégorie étaient connus sous le nom de beaucerons, car nombre d’entre eux étaient originaires de la Beauce. Dans la seconde catégorie dite “série noire”, on vendait de la literie et tout ce qui concerne le couchage. La troisième catégorie était réservée au commerce spécial de la friperie proprement dite. On y offrait au public des frusques, habits de tous genres, chaussures et chapeaux. Dans le quatrième compartiment, c’était le commerce du métal, notamment serrurerie, cuivrerie et outils divers. Dans l’argot de ces négociants en vieux, les clients ont été denommés gonces, et les chineurs étaient les courtiers chargés d’approvisionner le marché. Outre les différents compartiments dont nous venons de donner l'énumeration, il existait dans l’un de ces pavillons, au premier étage, un emplacement spécialement réservé: c’était le carreau. Dans cet emplacement, chacun des petits commerçants installait devant lui, à meme le sol sa modeste marchandise. ll y a à peine encore une vingtaine d’années, on pouvait y trouver parfois des étoffes rares et précieuses et surtout des toiles imprimées. L’accès du carreau du Temple n’était cependant pas complètement gratuit. Pour pouvoir accéder à l’escalier conduisant au premier étage, chaque client devait payer la modeste redevance de cinq centimes. Les trafiquants en vieux avaient adopté, pour désigner la monnaie courante, cette ancienne dénomination: un point, c’est la pièce de vingt sous; un rond, une pièce de cinq centimes; la croix représentait six francs et la demi-croix trois francs; quant à la pistole, c’était un demi-louis, c’est-à-dire dix francs. Dans toutes les parties du Temple, le marchandage était de rigueur et clients aussi bien que vendeurs dépensaient des trésors d'imagination, le vendeur pour impressionner l’acheteur et ce dernier pour apitoyer le vendeur. Outre le commerce qui se tenait dans l’enclos du Temple, il y avait une sorte de succursale située sur la rive gauche et qui était dénommée cour de commerce de friperie. Cette cour de commerce était située entre les rues Saint-André-des-Arts, de l’Ecole-de-Médecine et des Fossés-Saint-Germain-des-Prés. Cet établissement avait été installé sur l'emplacement de plusieurs jeux de boules qui avaient disparu. Tous ces commerçants avaient installé à cet endroit de petits édicules construits en bois et en materiaux legers. Ils furent détruits au cours d’un grand incendie au début du XIXe siècle. Il existait à Paris une rue denommée “Tire-chape” qui devait son nom à l'importunité des fripiers occupant les petites boutiques de cette rue, ainsi qu’aux juifs exerçant la même profession. Ces derniers, en effet, n'hésitaient pas à tirer les passants par leur chape pour en faire des clients obligatoires. REGRATS (VENTE D’ALIMENTATION D’OCCASION). - Il n’y a pas eu seulement les vêtements, les chaussures et les chapeaux qui aient constitué le commerce de seconde main. L’alimentation s’est mise aussi de la partie et on offrait au public ne disposant que de modestes ressources, des articles provenant de la desserte de la table des gens fortunés. Voici le tableau qu’en fait Mercier: “Au détour de cette rue, dans cette échoppe étroite, qu’est-ce que j’aperçois sur des assiettes mutilées. Ce sont des restes de nourriture qui, après avoir touché la bouche d’un évêque, ont été dédaignés même par les marmitons. Ces derniers les ont ramassés pêle-même et les ont vendus à des regratriers qui les exposent à l’air. Hélas... - Qui en sera friand? - Sur le soir, un indigent descend de son grenier, il les achète et les emporte; c’est un honnéte homme que des revers ont précipité dans un état obscur. Il est bien moins heureux enfin qu’un laquais, “A Versailles, le regrat n’a point cet aspect révoltant: ce qui sort de dessus la table du roi et de celle des princes est entier et le bourgeois ne rougit pas de s’en nourrir. Le quart de Versailles se repait donc des plats servis sur la table royale, des poissons auxquels on n’a pas touché et qui n’ont fait qu’un saut de la table de Mgr le Comte d’Artois sur celle d’un chapelier qui s’en est régalé ainsi que sa petite famille. “Je dirai encore un mot de ce qui se passe au bout du Pont-Neuf. C’est une faiseuse de beignets qui place sa poêle à frire sur un réchaud exposé en plein air. En passant vous recevez la fumée au nez, car on a employé, au lieu de beurre, un vieux oing qui semble avoir été dérobé au cocher qui graisse les roues des carrosses. Des polissons déguenillés attendent que le beignet gluant et visqueux soit sorti de la poêle et ils le dévorent encore chaud et bouillant à la face du public.” METIERS. - Dans le jeu de 1808, la case première est consacrée à l’afficheur. ll est représenté muni d’un immense tablier. D’une main, il tient un pot à colle et porte sur l’épaule une longue échelle indispensable à l'exercice de sa profession. Dans la série des Métiers de Carle Vernet, on a représenté l’afficheur occupé à placarder sur un vieux mur des affiches relatives plus spécialement au théatre. On peut apercevoir également les affiches mentionnant des jugements rendus dans telle ou telle affaire, des effets à vendre, les meubles perdus ainsi que les livres imprimés ou nouvellement réimprimés. A Paris, les affiches ordinaires devaient être autorisées par le lieutenant de police. Les afficheurs, au point de vue corporatif faisaient corps avec les colporteurs et devaient, comme eux, porter au-devant de leur habit une plaque de cuivre sur laquelle était gravée le mot “afficheur”. La politique n’a pas tardé a se mêler à ce genre de publicité et cette industrie dut être réglementée. “On a mis tant de surveillance à la poursuite des afficheurs, écrit Mercier, que cette petite industrie est devenue presque impraticable. Pour arriver à placarder clandestinement des affiches, voici le subterfuge que les afficheurs employaient: un homme chargé d’une grande hotte, s’arrête sur la borne contre laquelle il reste appuyé, la hotte restant toujours fixée sur son dos. Il prend alors un air las et fatigué et, pendant ce temps, un petit garçon accroupi dans le fond de la hotte n’a plus qu’à prendre la peine de passer les deux mains hors de la hotte pour plaquer contre la muraille l’affiche préalablement enduite de colle. Son travail fait, il se renfonce vite dans la hotte, et l’homme part à pas lents laissant l’affiche à la vue des curieux. Les afficheurs sont quarante ainsi qu’a l’Académie française et, pour une plus grande similitude, nul afficheur ne peut être reçu s’il ne sait lire ni écrire. Un afficheur est l'emblème d’une parfaite indifférence, il affiche également le sacré et le profane, l’arrêt de mort et les chiens perdus. Il ne lit jamais ce qu’il affiche, ne s’inquiétant que de la permission du magistrat.” Les afficheurs étaient obligatoirement présentés par le syndicat des libraires et imprimeurs pour être admis par lui sur les conclusions du procureur du roi. Deux exemplaires de chacune des affiches à apposer devaient être signés par eux à la Chambre des libraries. Ils devaient s’abstenir de placarder des affiches profanes sur les murs des établissements religieux. MEDECINE ET CHIRURGIE EN PLEIN VENT. - Dans les Tableaux de Paris de Marlet, je croirais volontiers que c’est un charlatan qui, déguisé en grand pretre, donne des conseils médicaux à des clients placés devant lui. Pour mieux se faire entendre, il utilise un porte-voix dans le pavillon duquel il prodigue des conseils à une jeune personne qu’accompagne un bourgeois ventru. La scene a été, par l’artiste, placée à Tivoli. On aperçoit au dernier plan un théâtre en plein air où évoluent des personnages empruntés à la comédie italienne. Ce médicastre est coiffé d’un bicorne empanaché, un grand sabre pend à son coté. Pour fructueusement exercer le métier de charlatan, il faut arborer une tenue susceptible de frapper l'imagination de ses futures victimes. La seconde condition, exige que le charlatan monte sur un banc ou sur une petite estrade, de façon à dominer la foule qui entoure sa table. L’un des subterfuges les plus usités pour réaliser un soi-disant miracle, consiste à arrêter apparemment la circulation du sang chez le compère servant à l’expérience. Un ressort dissimulé sous la manche permet de comprimer la veine et d’ arrêter ainsi le mouvement du cou. Rien n’est plus simple ensuite, après l’absorption d’une pilule ou d’un breuvage et la liberation du garrot, de faire constater par le public la libre circulation du sang. Parmi les opérateurs en plein vent, étaient les arracheurs de dents. Chamarrés d’or, assistés d’un pitre qui leur donnait la réplique, ils attiraient autour d’eux une foule empressée. Aussitot après le boniment obligatoire, on apercevait un compère se dégager de la foule, son visage était à moitié caché par une mentonnière, le dentiste faisait alors le simulacre d’arracher quelques dents et pour compléter l’illusion, le soi-disant opéré crachait aussitot un liquide rougeatre préalablement enfermé dans sa bouche. Un de ces industriels de plein vent avait imaginé de se promener à cheval et s’arrétant au milieu des badauds, il entretenait avec sa monture le dialogue suivant: “Viens, çà, dis, mon cheval. – Pourquoi venons-nous en cette place. - Si tu savais parler, tu me répondrais que c’est pour render service aux honnetes gens. Mais, dira quelque gentilhomme, à quoi peux-tu nous servir?... - A vous arracher les dents, messieurs, je vous en remettrai d’autres avec lesquelles vous pourrez manger comme avec les naturelles. “Et avec quoi les otez-vous? - C’est avec ce que je tiens dans la main, la bride de mon cheval.” Il ne faudrait pas déduire de ce qui précède, qu’il n’y eut pas au XVIIIe siècle, en dehors des charlatans, des dentistes sérieux. “Le plus étonnant dans son art, écrit Mercier, se nomme Catalan et il habite rue Dauphine. A la légèreté de la main, il a réuni les observations les plus judicieuses, il vous fera un ratelier complet avec lequel vous pourrez broyer tous les aliments sans gene et sans effort. “Les cabinets dentaires étaient signalés par une enseigne représentant une dent molaire. Le dentiste fait alors monter son client, tire votre dent d’une main leste, et vous offre ensuite un gargarisme et vous continuez votre chemin sans douleur”. CARRELEUR DE SOULIER. - Dans les lithographies de Carle Vernet, une vignette représente un cordonnier en vieux portant à la main un soulier qu’il vient de réparer. Le carreleur de souliers est ce savetier ambulant qui parcourt les rues en criant: “Carreleur d’souliers... qu’est-ce qui a des souliers à réparer?...”. Le savetier est la dernière classe des artisans s’occupant de la reparation des chaussures. Il s’appelait également: “Courvoisier”, “cataneur “, “rataconneur”, “rapetasseur”, “sueur de vielle”. Dans le commerce des chaussures neuves, les cordonniers devaient imprimer une marque spéciale sur la semelle près du talon. La même marque devait se retrouver à l’intérieur du quartier pour les souliers et à l’intérieur de la genouillère pour les bottes. Parmi les réparateurs de souliers ambulants, il faut signaler ceux qui s’occupèrent plus spécialement des semelles. Ils parcouraient les rues en criant: “Semelles à bouter sur les bottes, elles sont bonnes pour la froidure ...” On ne peut manquer de rappeler ici l’histoire du financier et du savetier et Mercier y fait une allusion discrète: “Pourquoi, écrit-il, le savetier a-t-il l’air plus content que le cordonnier?- C’est sans doute que le savetier a toujours plus d’ouvrage qu’il n’en peut faire, tandis que le cordonnier est toujours obligé d’aller le chercher plus loin. Le savetier vivant sous l’oeil de tout son quartier, ne connait point cette fausseté hypocrite qui se cache dans les boutiques. Il se marie encore comme les bourgeois et dépense le jour de ses noces, le produit d’une année de travail.” DECROTTEURS AMBULANTS. - Ce petit métier était, au XVIIIe siècle, exécuté par des jeunes gens qui n’avaient pas encore atteint leur vingtième année. Carle Vernet reproduit ce modeste artisan devant sa boite à cirer. Il tient à la main une brosse à reluire, et à coté de lui, est le pot au cirage. “C’est sur le Pont-Neuf, écrit Mercier, qu’on y est mieux décrotté que partout ailleurs. La célérité et la propreté distinguent ces artisans. Ils sont réputés maitres, car ailleurs vous risquez de confier votre jambe à un apprenti ignare qui étend sur un bas de soie blanc une cire noire gluante. Quel désastre pour celui qui ne possède que cette paire de soie blanche et qui est invité à diner chez une duchesse. Les décrotteurs sont libres, ils peuvent exercer partout leur talent qui leur appartient en propre. Les honoraires de la brosse sont fixés: on paie invariablement deux liards pour se faire oter la crotte des bas et des souliers. Les décrotteurs jouent quelques fois le role de figurants dans les théâtres”. Sur une ancienne gravure on montre que ces décrotteurs ambulants ne manquaient pas d’astuce. L’un d’eux avait dressé un chien à patauger dans le ruisseau boueux pour couvrir de boue les pieds des jeunes seigneurs que leur mauvaise étoile amenait auprès de son échoppe. PORTEURS D’EAU. - A une époque où l’eau était distribuée dans les rues de Paris par les fontaines publiques, le précieux liquide était transporté chez les clients dans des seaux qu’un solide Auvergnat coltinait à l’aide de récipients en métal ou en bois. Ils étaient maintenus par des arcs de cercle robablement en jonc et une forte courroie placée sur les épaules du porteur, facilitait sa pénible tache de distributeur. Marlet a représenté une fontaine publique, la Fontaine Saint- Eustache dont le corps principal est formé par une amphore de style antique munie à sa base de deux mascarons par où s’échappe le liquide. (La reproduction de cette scène se trouve page 172.) Le porteur d’eau représenté par Carle Vernet dénote, à n’en pas douter, son origine auvergnate. Ce modeste industriel est coiffé d’un large feutre noir et un double cerceau dont il occupe le centre lui permet de maintenir à distance raisonnable les deux seaux dont il assure le transport. Dans le jeu de 1808, on le retrouve tel à la case 29. Les porteurs d’eau à Paris allaient le plus souvent s’approvisionner dans la rivière de Seine ou dans les fontaines. Ils doivent porter le liquide chez les habitants à quelque étage qu’ils demeurent, moyennant six liards par voie d’eau, c’est-à-dire pour deux seaux. Voici le portrait que Jaubert fait du porteur d’eau: “Le porteur emploie une sangle de cuir large de trois doigts qu’il met diagonalement sur son épaule et à chaque extrémité de la sangle, se trouvent deux crochets en fer supportant des seaux en bois de hetre fendu extremement mince (bois mérin), La partie supérieure du seau est munie d’un morceau de bois rond nommé nageoire qui empeche, dans une certaine mesure, l’eau de s’échapper lors de son transport.” TONNEAUX DES PORTEURS D’EAU. - Pour simplifier le transport de l’eau, certains industriels ont eu, de bonne heure, l’idée, d’adapter sur une voiture un baril, lequel a un entonnoir carré à l’endroit de la bonde et un robinet sur le fond arrière. “La Ville de Paris, ajoute Jaubert, est tellement peuplée, qu’on ne dépense pas moins de vingt mille livres pour acheter l’eau ainsi coltinée. Les tonneaux destinés à transporter l’eau qu’on était parvenu à filtrer, étaient peints en jaune à l’extérieur et marqués aux armes du roi et de la Ville de Paris. Les porteurs étaient revetus d’une veste et d'une culotte bleues garnies de boutons jaunes, ils portaient sur leur bonnet une plaque de cuivre sur laquelle étaient gravées les armes de la Ville de Paris. Les charretiers d’eau avaient un petit cor au moyen duquel ils avertissaient le public du passage de leur voiture. Les seaux dont ils se servaient étaient marqués à l’intérieur de quatre clous dorés placés à la hauteur nécessaire pour donner exactement la mesure de trente-six pintes que devait contenir la voie d’eau ordinaire. “Cette voie était tarifée au prix de deux sous et six deniers. La premiere entrepxise fut faite par M. Duffaut qui eut pour successeur M. Heppey qui faisait distribuer, en toute saison et à toute heure dans tous les quartiers, l’eau clarifiée au prix de dix centimes la voie. On faisait une forte diminution de prix lorsqu’on utilisait le contenu total du tonneau d’eau monté sur roues.” EAU GLACEE. - En 1827, une société entreprit de fournir pendant l’été, moyennant une légère retribution, de l’eau glacée. Toutefois, cette industrie trouvait une opposition irréductible de la part des marchands de coco qui, jusque-là, avaient eu seuls le privilège de désaltérer le Parisien de condition modeste. De cet antagonisrne entre les porteurs d’eau glacée et les marchands de coco, naquirent de fréquentes querelles. Heureusement l’hiver intervenant mit un terme aux hostilités et l’année suivante les esprits s’étant calmés, chacun reprit tranquillement son commerce à la grande satisfaction des consommateurs. La confrérie des porteurs d’eau tenait ses assises à l’église de la Magdeleine située dans le quartier de l’Ile Saint-Louis et de la Cité. Cette église, à la fin du XVIIIe siècle, avait été démolie en partie et il n’en restait plus qu’une sainte chapelle qui fut vendue au moment de la Revolution. Elle était située au coin de la rue Marmouset et avait été au milieu du XIXe siècle transformée en boutique de marchand de vin. LA BOUQUETIERE. - Le cri des jeunes personnes qui s’adonnaient à cet élégant commerce peut se résumer ainsi: “Des bouquets pour Margot, Marguerite”, ou bien encore “Des bouquets pour Toinon”. La gravure reproduite en tête du chapitre “Cris et Tableaux de Paris” représente une jeune femme, la tête recouverte d’un haut bonnet et portant un col de dentelle. Sur sa poitrine est un fichu croisé à la Marie-Antoinette, elle est abritée par un large parapluie et est occupée à lier une gerbe de fleurs. Avant la Révolution, les bouquetières formaient à Paris un corps de communauté qui avait des statuts datant de 1677. Elles étaient qualifiées de maitresses bouquetières et marchandes chapelières en fleurs. ll était défendu à tout marchand chapelier, confiseur, et autres personnes sans qualité, de faire des bouquets de fleurs naturelles et artificielles sous peine d’amendes et de confiscation. Au XVIIIe siècle, les bouquetières venant de la rue de la Bouquetière, près de Saint-Julien-le-Pauvre, descendaient de grand matin dans Paris. Vers 1769, elles s’installaient tout à l’entour du cheval de bronze d’Henri IV sur le Pont-Neuf. Le commerce de ces bouquetières s’adressait plus spécialement aux petites bourses. Par contre, les fleurs rares étaient réservées aux marchands de fleurs qui arrivaient par la rue de l’Arbre-Sec. Le plus souvent, elles avaient renouvelé leur provision dans les jardins des “Fréres Provençaux” qui vendaient à la fois des oignons, des tulipes ou des fleurs coupées dont on composait de beaux bouquets. L’étalage des fleuristes occupait les banquettes de pierre du Pont-Neuf et debordait souvent jusque sur le sol du quai de la Ferraille, qui, agrandi en 1830 devint le quai de la Mégisserie. Le marche de fleurs et d’arbustes se tient depuis 1809 sur le quai de la Cité et la petite place qui longe la rue Aubé ouverte sur l’emplacement de l’ancienne église Saint-Pierre-des Arcis, construite vers 926. LES GAGNE-PETIT. - L’usine ambulante de ce petit ouvrier urbain, est constituée par une meule montée sur un petit chassis portatif; la meule reçoit un filet d’eau qui s’echappe de l’extrémite d’un vieux sabot ou d’un vase de métal placé à la partie supérieure de cette rudimentaire installation. Comme la chose se pratique encore de nos jours, la meule est actionnée par une pedale latérale. La profession de gagne-petit a donné lieu à de longs discours en prose ou en vers celebres un peu à toutes les époques. Il était parfois désigné sous le nom de “petit-jean, le gagne-petit des temps presents”. Dans d’autres circonstances, il est qualifié d’auvergnat ou bien de rémouleur de Bar-le-Duc en Lorraine. Dans “Les cent et sept cris des rues de Paris” on trouve les vers suivants: Puis se avez appétit, D’entendre crier ung chascun, Tantost orrez gaigne petit, Dint suis suppost sans nul dessain. Le cri du gagne-petit était: “Couteaux, ciseaux à repasser.” LA PETITE LOTERIE. - D’apres Carle Vernet, nous voyons que le marchand qui, sous la forme d’un petit carré de papier, vous vend de l’espoir, est habillé d’une sorte de longue redingote. Il porte dans la main des billets de loterie dont il a mis en réserve une liasse sous son bras droit. Il est qualifié de richard. Son cri habituel est: “Aux derniers les bons, cinquante louis d’or pour douze sous.” La loterie fut introduite en France en 1533 par les Italiens venus à la suite de Catherine de Médicis. A cette époque, les loteries étaient désignées sous le nom de bianques ou blanques. En 1660, la loterie ne fut plus seulement un jeu réservé aux particuliers, elle commença à être exploitée par les gouvernements. En Angleterre et à Venise, la loterie servait à payer les troupes en temps de guerre, ou à fournir des fonds aux grandes entreprises. Au XVIe siècle, on a fait des tirages au sort d’objets en nature. Une gravure de cette époque est intitulée “Nouvelle et plaisante loterie.” Cette légende est gravée sur le sol de la salle ou allait tourner la roue de la fortune: J’ai la fantaisie d’une loterie, Qui bonheur apportera Un chacun y mettra, Selon son envie, L’argent qu'il voudra, Le gros lot sera Sylvie. Et de fait, l’image représente des lots en nature exposés au fond de la salle du tirage, disposés sur une étagère. On voit là de la vaisselle plate d’argent, des chandeliers et une buire du même métal, un réchaud et même des chenets. Le fameux gros lot, Sylvie, est serré de près par un seigneur, peut-étre heureux gagnant et futur possesseur de cette belle personne. Le produit de la loterie fut souvent employé pour l’urbanisme. En 1658, c’est l’hopital général de Paris qui en fut l’heureux benéficiaire. Certains édifices religieux, notamment l’église Saint-Sulpice ont eu la même origine. En 1701, vingt quartiers de Paris furent dotés de pompes à incendies grace à cette bien heureuse institution. En 1776, par son édit du 30 juin, Louis XVI supprima toutes les loteries à l’exception des suivantes: celle des Enfants trouvés, de la Pitié et celle de la Loterie royale de France. En 1793, Chaumette, procureur général de la Commune de Paris, fit voter l’abolition de la loterie, abolition qui fut confirmée par la Convention, le 16 novembre 1794, sous le prétexte que c’etait là une institution immorale. Le gouvernement du Directoire, cependant, réagit, et la loterie de France fut rétablie. De tout temps, l’espoir d’un gain facile a engagé les hommes, à quelque condition qu’ils appartiennent, à prendre un billet de loterie, dans l’espoir de participer à la distribution plus ou moins problématique de la fortune. Marlet a consacré un de ses tableaux de Paris à la representation du public varié qui vient ainsi se rendre compte si son choix a été heureux. On voit parmi le public des gens de toutes les conditions jeunes et vieux, fonctionnaires et midinettes. Dans un coin du tableau, un groupe de personnages entoure une jeune femme qui vient probablement d’apprendre qu’elle avait gagné la forte somme. FALOTS. - Dès le milieu du XVIIe siècle, un guide patenté portant à la main une lanterne triangulaire numérotée, avait la charge de conduire les Parisiens pour leur permettre de regagner leur demeure quand la nuit était tombée. L’insuffisance de l’éclairage public rendait indispensable le service de ces modestes fonctionnaires. Les falots étaient constitués par des lanternes en bois garnies d’une corne transparente. Dès la chute du jour, les porte-falots se montraient de tous les cotés, tenant des lanternes allumées et criant: “Lanternes, mes bonnes lanternes”, ou bien encore: “Falots, falots”. MERCERIE. - Cette petite industrie, si nous nous en rapportons à Carle Vernet, était exercée par des jeunes femmes portant une légère table en bambou maintenue par une courroie de cuir passée autour de leur nuque. Cette mercière ambulante annonçait ainsi sa marchandise: “Des lacets, des épingles, des rubans, du fil...”. M. Kasner, dans sa remarquable étude sur la vocalise des cris de Paris, note ainsi le caractère musical des inflexions de la voix de la marchande de fil et de ruban, quand sur un air ironique, elle s’écrie pour rallier d’avance l’incorrigible cliente marchandeuse: “N’en prenez pas, c’est trop cher, c’est trop cher...”. Le ruban de quelque espèce qu’il soit, se distingue des tissus ordinaires parce qu’il est beaucoup plus étroit. En outre, on en varie à l’infini les façons, les couleurs et les dessins. Les rubans d’or et d’argent se fabriquent principalement à Paris et à Lyon. Saint-Etienne-en-Forez est aussi un centre important de rubaniers. La manufacture de Saint-Chamond, petite ville du Lyonnais, fabrique des rubans qui sont vendus sous le nom de “rubans de Lyon”. Les principales fabriques de rubans de laine sont en Picardie et surtout à Amiens. Les rubans appelés “Padous” sont faits de fleurettes de filoselle ou de bourre de soie. Les marchands merciers de Paris tirent le ruban de fil des manufactures d’Ambert en Auvergne. EPINGLES ET AIGUILLES. - Au XIIIe siècle, en France, la fabrication des épingles était déjà une industrie prospère et le Livre des Métierr d’Etienne Boileau rapporte qu’en 1290, il y avait déjà dix ateliers ou l’on fabriquait des épingles. Ces ateliers furent au nombre de vingtcinq en l’année 1300. Les épingles se vendaient au poids, au quarteron, c’est-à-dire le quart d’une livre. On dit que ce fut Catherine Howard qui introduisit en France en 1543 I’usage des épingles qui était déjà courant en Angleterre quelques années plus tot. L’Encyclopédie des Gens du Monde s’exprime ainsi: “Les deux sexes se servaient de cordons, de lacets, d’agrafes et de boutons. Dans les provinces, les pauvres gens utilisaient des brochettes de bois pour attacher leurs vêtements.” Nous avons trouvé quelques renseignements sur la fabrication des épingles au XVIIIe siècle: “Les épingles, écrit Jaubert, sont formées d’un fil composé de différents alliages, car le cuivre rouge est trop mou, on emploie pour cela des laitons qui procluisent un fil de couleur blonde et qui n’est point pailleux. On se sert également de fer ou d’acier, celui qu’on tire de Normandie est préférable à celui qui provient d’Allemagne.” A cette époque, chaque tete d’épingle était formée de deux brins de laiton tournés en spirale. Lorsque les tetes étaient coupées, il fallait les metre au bout des épingles. Pour ce faire, on utilisait un appareil appelé l’enteteur. Une fois terminées, les épingles étaient mises en cartes et livrées au commerce sous cette forme. Outre les épingles blanches, on faisait également des épingles noires pour le deuil. Les aiguilles et les épingles étaient autrefois importées d’Angleterre. Aussi, au début du XIXe siècle, la Société d’Encouragement proposa-t-elle un prix pour la meilleure preparation d’un fil d’acier propre à la fabrication des épingles et des aiguilles. Au point de vue du commerce parisien, les aiguilles et les épingles les plus estimées, se vendaient rue de la Huchette à l’angle de la rue du Chat-qui-Péche, dans une maison qui avait pour enseigne “A l’Y”. Les marchands d’aiguilles et d’épingles vendaient aussi des lunettes et leur cri était ainsi proféré: “Marchand de lunettes, marchand d’aiguilles, marchand d’épingles, voila le petit marchand de lunettes ....”. OISEAUX ET CAGES. - Carle Vernet a consacré une des estampes de la série des Métiers au marchand de cages et d’oiseaux. Ce petit industriel vendait aussi des souricières. Le commerce des oiseaux captifs était assez florissant au XVIIIe siècle et peut-étre méme à une époque bien antérieure. Les marchands proposaient à leurs clients éventuels d’échanger des oiseaux contre du pain. Dans Le Dit d’un Mercier, un vers est consacré à ce petit commerce: “Oiselet, pour du pain donneroit.” Au XVIIIe siècle, l’amusement des oiseaux attachés a été représenté dans bien des gravures et dans beaucoup de tableaux de maitre. LANTERNE MAGIQUE. - Carle Vernet a représenté le montreur de lanterne magique comme étant un personnage portant sur son dos un mystérieux appareil destiné à provoquer l’admiration des spectateurs. Ce personnage est qualifié de joueur d’orgue, mais la légènde spécifie l’objet de cette petite industrie en ces termes: “Lanterne magique, pièces curieuses à voir...”. Au XVIIIe siècle, l’abbé Nollet et le physicien Charles mirent au point cet appareil: “C’est un opéra sur roulettes qu’on porte à dos d’homme.” “En réalité, écrit Mercier, c’est une cassette où sont adaptés des verres d’optique qui grossissent les objets." Jaubert donne également la description d’un appareil d’optique qu’il nomme: “Microscope solaire”. “C’est, dit-il, à proprement parler, une lanterne rnagique éclairée par la lumière du soleil et dont le porte-objets est une petite lame de verre blanc qu’on charge d’une goutte de liquide dans laquelle il y a des insectes, mais rien n’est si beau que la circulation du sang dans le mésentère d’une grenouille, on croirait voir une carte géographique dont les rivières seraient animées par un écoulement réel.” MARCHAND D’ALMANACHS. - Au XVIIIe siècle, on colportait clans les rues de Paris des almanachs montés sur carton ou simplement présentés comme de petites brochures. Pour annoncer sa marchandise, le commerçant ambulant s’exprimait ainsi pour vanter le contenu de son panier: “Almanachs curieux, almanachs nouveaux, véritables liégeois ....”. Ces libraires ambulants se tenaient volontiers sur le Pont-Neuf et fraternisaient avec les pauvres chanteurs qui, pour vendre leurs poésies, interpellaient ainsi les bonnes et les cuisinières par cette apostrophe singulière: “Avez-vous rêvé de chien, avez-vous rêvé d’eau trouble, voilà l’explication de tous les rêves, un volume broché avec des figures.” Ces libraires ambulants vendaient aussi des images, des découpures en couleur qui, collées sur des boites et couvertes d’un vernis jaune, formaient une spécialité de l’industrie parisienne connue sous le nom de “travail à la Secrétan.” MARCHAND DE PARAPLUIES. - Le Pont-Neuf était, savons-nous, le domaine réservé à une clientèle assez speciale. Marlet a représenté dans cet ordre d’idées, un groupe de quatre mendiants dont les attitudes et les figures grimaçantes semblent avoir été empruntées aux compositions de Callot. On voit là des boiteux, des culs-de-jatte et des estropiés de tout genre qui, pour exciter la commisération du public, ne craignent pas d’exhiber leurs plus repoussantes infirmités. Tout en parlant du Pont-Neuf il est bon de rappeler ici qu’à une époque où les voitures publiques circulant dans Paris étaient fort rares, les piétons pour pérégriner dans la capitale, ne dédaignaient pas de s’abriter sous un dome d’étoffe tendue sur de véritables baleines. Ce service des parapluies publics a tenté le crayon de Marlet. Il a représenté un personnage portant sur son épaule un parapluie largement ouvert et tenant sous son bras un volumineux paquet de “riflards” munis de poignée en forme recourbée. On louait des parapluies pour la traversée du Pont-Neuf et on pouvait se procurer un de ces ingénieux dispositifs à l’entrée du pont et on devait rendre le parapluie à la sortie en ajoutant quelques liards pour prix de la location. LA CLIQUETTE. - C’est toute l’histoire de la poste aux lettres qu’on pourrait faire à propos de cette gravure de Marlet représentant une élégante jeune femme empanachée s’apprétant à glisser une enveloppe dans une boite aux lettres portant l'inscription “pour Paris et les départements”. La charmante personne qui vient d’accomplir ce geste, est vetue d’une longue robe aux plis savamment distribués, sa coiffure soignée indique qu’elle appartient à un certain milieu social. C’est en se cachant deson mari qu’elle est venue apporter “un poulet” destiné à quelque amoureux transi. On remarquera sur le coté droit de la scène, la figure quelque peu grimaçante de l’épicier qui semble exprimer cette réflexion amère: “Il y a longtemps que pour moi ce petit manège n’est plus intéressant.” Dans la scène que nous venons de décrire, le facteur qui se chargera de la distribution de ce courrier, est représenté par un postillon porteur d’une large besace en cuir et tenant à la main une cliquette agrémentée d’une poignée mobile battant sur une planchette cloutée. La poignée est disposée de façon à frapper alternativement sur deux clous pour indiquer aux clients éventuels le passage de l'employé des postes. On a parfois qualifié les lettres intimes de “poulets d’amour”; ce nom est du à ce que, en Italie, c’étaient les vendeurs de poulets qui se chargeaient volontiers de porter des billets doux aux belles dames. Ils glissaient le billet sous l’aile du plus gros poulet. Toutefois, un jour ce geste ne porta pas bonheur à un de ces marchands de volaille, car pour s’être transformé ainsi en entremetteur, il fut puni du supplice de l’estrapade et il dut se promener avec des poulets vivants attachés aux pieds. VITRIER. - C’est un homme encore jeune coiffé d’un chapeau de haute forme qui porte sur son dos une modeste construction de bois léger maintenue par des bretelles de cuir. L’industriel tient à la main une régle plate et il a du cacher dans l’une de ses poches le diamant avec lequel il coupera en petits morceaux l’une des grandes feuilles de verre qu’il coltine ainsi et qui est destinée à clore l’une des croisées qu’un malicieux ouragan aura privé de sa transparente cloison. L’emploi du verre remonte à une haute antiquité et c’est à Venise qu’on avait formé les ouvriers les plus habiles à travailler le verre. Henri II attira en France quelques-uns des artisans faisant partie des verreries vénitiennes et il leur confia le soin de construire une verrière destinée à l’une des grandes fenêtres de la chapelle de Saint-Germain-en-Laye. Le coulage des glaces fut inventé par Abraham Thévart en 1676 et ce fut lui qui fonda plus tard le célebre établissement de Saint-Gobain. Voici reproduits avec leur orthographe quelques vers extraits d’un imprimé de colportage, datant probablement de 1820, sans nom d’auteur et intituled: LES CRIS DE PARIS Quel tonnerre et quel bruit Je ne puis dormir dedans cette ville Car l’on entend crier Des cris différens dans tous les quartiers. L’un crie et l’autre pialle, Tous ces cris, point je ne raille, M’empéchent de reposer, Dedans mon logis je suis désolé. Qui veut du rot tout chaud? Voilà le gros lot! Ramoner les cheminées, Des radis, des raves pour les déjeuners; Des cerises, des groseilles, Du cerfeuil et de l’oseille... Achetez des bons oeufs frais, Des colifichets, voilà la laitière; A mon beau quart de navets, Des choux, des poireaux, carottes et panet, Du verjus, des concombres, Le potiron est du nombre, Passe-pierre et cornichons, Persil et ciboule, ma botte d’oignons... J’entends le porteur d’eau, Le gagne-petit, marchand de tisane; A raccommoder des vieux seaux Soufflets, parapluies et des souricières; Paillassons et goupillons Petits pains de seigle; qui veut des cartons, Achetez de la faience, Arréts, édits et sentences, Almanach curieux et beaux La bible, des noels tant vieux que nouveaux. Dans Paris, tout partout On crie à deux sous de la marchandise Boucles, couteaux et ciseaux Tabatières, salières, étuis des plus beaux Peignes de cornes, de bois et de buis L’ornement de tete à bien des maris. Un autre crie tout haut: Petits grils, pelles, pincettes L’hiver aux blondes et brunettes Il vend des grilles et chaudrons De peur qu’elles ne brulent chemise et jupons. Habits et vieux galons, Lacet et coton, des rubans, du fil Aiguilles à quatre pour un liard... A récurer les puits, Le plaisir des dames, lire la gazette La petite loterie, Qui veut des macarrons, aussi des oublies, OEillet double et jasmin Lanterne magique, la belle catin. Du mouron pour les oiseaux, Appetit nouveau, du beurre à la livre. Sucre de toutes les façons, Drap d’Elbeuf, toile fine, huile, orge et son, Velours futaine et mousseline Bois flotté, de la farine, Liqueurs, bonbons et sabots Paille d’avoine à vendre et des vieux chapeaux.. Un autre crie d’une voix alègre: Moutarde, verjus et vinaigre; Et moi je vends des chansons C’est pour réjouir les filles et garçons. CONCLUSION DES “CRIS DE PARIS” Les cris de Paris ont eu de tout temps leur utilité pour éviter aux modestes artisans de payer la location de boutiques qui étaient déjà autrefois d’un prix élevé. Ces boutiques étaient meme souvent peu enviables en raison du peu de lumière solaire dont elles jouissaient. Certains auteurs du XVIIIe siècle, notamment Jean-Jacques Rousseau et Rétif de la Bretonne, ont célébré l’utilité des cris de Paris. D’autre part, au XVIIIe siècle, bien des peintres et meme des meilleurs, n’ont pas craint de mettre leur crayon et leur pinceau à la disposition des scènes les plus ordinaires de la vie courante.
		Le Noble Jeu de l'Oie. Préface (Guillaume Janneu)
		C’EST UN JOLI JEU QUE LE JEU DE L’OIE... (Regnard). En leur compétition passionnée mais pacifique, les joueurs de l’Oie ne songent guère à philosopher. Les inventeurs des mille variations du thème triséculaire y ont-ils, eux, songé? Cette récréation cache-t-elle un sens profond? Et ces amusants tableaux sont-ils des documents? L’un d’eux l’affirme: c’est l’estampe de Surugue, d’après le “Jeu de l’Oie” de Chardin. C’est “l’image de la vie” dit sa légende. Qui donc se fut avisé de supposer un fonds si solide à ce jeu de société? Il fallait, pour découvrir en lui la valeur d’un témoignage, la puissance d’attention d’un érudit et l’imagination d’un savant. C’est en effet la révélation d’un domaine nouveau qu’on doit à M. Henry-René D’Allemagne. Assembler des oeuvres illustres, constituer un musée de pièces d’exception est à la portée de quiconque, s’il est favorisé des “biens de fortune”. Réunir des objets dont le groupement meme comporte une leçon est déja plus original. Mais discerner un tel mérite en des catégories d’éléments subalternes ordinairement négligés est infiniment plus rare: c’est là l’essentielle qualité des collections qu’a formées, avec autant de patience que de sagacité, l’éminent initiateur du présent ouvrage. Depuis bien des années, M. D’Allemagne le préparait, poursuivant ses recherches, guidé par la conception qu’il se faisait à l’avance, et lui seul, de l’étude qu’il met enfin au jour. Lui seul: car il nous faut bien avouer qu’au premier examen, son projet d’un tel ouvrage nous avait paru fort amusant mais assez court et léger. Toutefois le sérieux du travail de M. D’Allemagne, son vaste savoir et la sincérité de son esprit nous avertissaient qu’une apparence frivole devait en cette occasion cacher une réalité substantielle. Et c’est vrai. Une véritable philosophie se dégage de cette suite de pièces, parfois charmantes en elles-memes, et toujours pleines de sens. C’est la chronique populaire, la petite histoire, la confidence des réactions de l’opinion publique à l’endroit des événements du jour: tantot conformistes et visiblement inspirées, tantot rétives, et parfois satiriques, fertiles en allusions parfaitement saisissables. Moralités, actualités de toute nature, inventions, succès du jour, modes, événements politiques alimentent ces feuilles en thèmes ingénieusement traités. C’est bien une image de la vie que ce cheminement obstiné, hérissé d’obstacles et de dangers, coupé d’accidents et de coups de fortune, avec des retours en arrière, des chutes, des délivrances, des recommencements, et cette leçon de persévérance et meme de résignation. Avec quelle habileté les éditeurs de ces calvaires placent l’idée morale dans la réalité pratique! L’accident, heureux ou funeste, est naturellement lié au sujet choisi. L’anecdote s’en développe logiquement, dans la chance et dans l’infortune. Aussi bien est-on bientot séduit par la saveur de ces images. L’émouvante présence d’un esprit, d’un auteur et d’un exécutant, s’y inscrit avec force. Elles n’ont rien d’une production industrielle et mécanique - du moins les anciennes. Elles ne sont pas les répétitions sempiternelles de modèles antérieurs. Chaque jeu nouveau est positivement une création. A la vérité la technique meme de son exécution devait assurer son originalité. Son tableau dut etre, d’abord, un travail de dominoterie, lequel est une autre chose que l’estampe, tout en étant parente. Les dominotiers procédaient par impression typographique sur papier, et rehaussaient l’image tirée en noir de couleurs à la détrempe: ainsi opéreront plus tard les producteurs de papiers peints. Papillon, au début du XVIIIe siècle, n’avait pas d’autre méthode. Nous sommes d’ailleurs assez mal renseignés sur l’oeuvre de ces praticiens. Sans doute leur outillage nous est-il connu par les figures emblématiques et jumelles de la Dominotière et du Dominotier, gravées environ 1735 dans le précieux “Assemblage nouveau der Manouvriers habiles”, de Martin Engelbrecht, d’Augsbourg. Le godet aux couleurs, la brosse à frapper, la potence à faire sécher les feuilles fraiches ne pouvaient servir qu’à certain traitement. Mais l’image meme, comment l’exécutaient-ils? Sur ce point, ce ne sont qu’hypothèses. Il n’y avait toutefois, du XVIe au XVIIIe siècle, que deux moyens de reporter sur le papier un dessin qui ne fut pas entaillé dans le métal: l’un était le travail de taille d’épargne, sur bois, l’autre l’emploi des pochoirs. Il est probable que ce procédé fut, dans le passé, très largement exploité. ll devait, d’ailleurs, faciliter l’intervention du peintre. Telle était la dominoterie. Son nom singulier tenait à ses origines: les dominotiers avaient d’abord appliqué leur talent à l’édition des images pieuses, des prières au Seigneur, à Domino. Leur collectivité professionnelle formait corps avec celle des patenostriers. La plus ancienne table du Jeu de l’Oie qu’on sache, le joli jeu vénitien daté de 1640 et dont M. D’Allemagne possède une épreuve, est encore gravée sur bois. La taille-douce va lui succéder. Il est évident que ce moyen d’exécution, plus économique, permettait de plus grands tirages. On voit d’emblée les éditeurs l’adopter. Les collectionneurs s’attacheront donc à rechercher les épreuves particulièrement nuancées et nettes, imprimées sur des planches encore incisives, avant l’écrasement des aretes que détermine un long usage. Puis, dès l’invention de Senefelder, au début du XIXe siècle, c’est la lithographie qu’utilisent les éditeurs. Du point de vue technique, ces amusantes pièces posséderont parfois un véritable mérite; mais ce ne sera pas toujours la mieux et plus correctement faite qui présentera le plus de caractère. Leur essentiel intéret leur vient d’elles-memes, du choix de leur sujet, de la nature et de la portée des allusions, c’est-à-dire de la valeur de la déposition qu’elles proposent. Le domaine sur lequel s’étend leur critique est immense: sur quoi l’opinion publique n’a-t-elle son mot à dire? On s’en rend compte à l’examen non seulement des pièces conservées mais des trouvailles iconographiques de notre érudit confrère René Poirier. C’est une revue des actualités, une encyclopédie du nouveau, mais à la mesure populaire, et c’est là son trait physionomique. C’est du point de vue du public que sont présentés les thèmes exploités; par rapport à leurs incidences pratiques, au degré de connaissance que peut en acquérir la foule, qu’ils sont interprétés. Il y a, dans les jeux de l’oie, quelque chose qui les apparente aux pasquinades romaines, aux graffiti pompéiens, aux complaintes des rues et aux tracts de propagande. Quiconque ironise Voltaire, “quiconque, Maréchal de France ou pendu, n’a pas été chansonné, n’a pas connu la gloire”. Et c’est vrai. La gloire n’est pas une adhésion confidentielle de spécialistes; elle est l’expression d’un élan populaire. La vraie gloire est ce souvenir qui se prolonge en échos infinis, fussent-ils déformants, dans l’amour ou dans l’horreur des hommes: celle de Duguesclin ou celle de Barbe-Bleue, celle de saint Vincent de Paul ou celle de Mandrin. Dans chaque secteur, c’est pareillement la longue résonance d’un nom qui est la gloire. On vénère encore Turenne, père du soldat, Napoléon, cher au grognard, Vauban, ménager des hommes: qui donc, hors les historiens, connait Berbier du Mets qui créa l’artillerie de Louis XIV et Puységur, le stratège? On chérit Pasteur; à peine connait-on l’oeuvre de Claude Bernard. Les grandes oeuvres dépassent ordinairement l’appréhension commune. On aime les figures légendaires, d’accès facile. On préfère assurément le bonhomme Franklin, qui n’a pas inventé grand-chose, à Pascal, qui domine de trop haut. Lui aussi donne le vertige, comme les espaces infinis. Tout est moyen, comme il convient à ce qui s’adresse au grand nombre, dans le choix des thèmes issus du jeu traditionnel, et dans leur interprétation. Et cela encore est un signe des temps: le Moyen Age, la Renaissance, eussent traité des sujets plus dramatiques avec une énergie d’expression plus fière. Voici, parmi tant d’autres, le tableau qui s’intitule “Récréation spirituelle”; les religieuses jouaient, sur ses cases meublées de sentences, une sorte de Jeu de l’Oie. On conçoit très bien qu’un tel divertissement, très innocent, servit les fins pieuses; tous les accidents qu’il comporte rappellent les pièges du malin. Embuches et tentations, erreurs et péchés commandent la contrition: les pénitences prévues par le jeu faisant penser à de plus hautes rédemptions. Mais, on l’observera, ce sont de menus péchés qu’imagine l’éditeur du jeu, des péchés de saintes filles confites en dévotion, des péchés douillets, ouatés, mollets. Tel autre jeu, fort joliment gravé, daté de 1640, porte une dédicace a M.me de Rouvil, abbesse de Saint-Julien. De meme inspiration, curieusement intitulé “Jeu du Point au Point pour la fuite des vices et la pratique des vertus”, il est toutefois plus réaliste en ses amusantes naivetés. Le joueur est-il conduit par le sort au mariage? Il devra séjourner sur la case où l’attendait cet accident: le temps, précise la règle du jeu, “d’acquitter la dime à son curé”. C’est là descendre à la verticale des hauteurs mystiques. Le “Jeu du Chemin de Croix”, édité vers 1830, s’élèvera-t-il au niveau qu’il est permis de concevoir? Pas davantage. Le thème, fertile en allusions, en correspondances, en leçons morales, et meme, traité pour lui-meme, en accents dramatiques, reste étrangement stérile. Il n’est que le prétexte à figurations, d’ailleurs excellentes, de personages sacrés et de solennités cultuelles. Quel écart entre ces pompes officielles et les estampes médiévales interprétant des sujets analogues, l’”Ars Moriendi”, le “Dict des trois morts et des trois Vifs”, la pathétique “Danse macabre”, échos des “mistères” qui poignaient d’une immense pitié les foules bouleversées! Mais sur ce point meme, le contraste est révélateur. C’est une révolution qui sépare des suites gravées du XVe siècle cette imagerie, non moins populaire et tout aussi soignée d’exécution. Le vieux langage, le vieux style expriment une émotion directe, humaine, jaillie du coeur; l’académisme à la Népomucène Lemercier traduit le conformisme d’un monde embourgeoisé. Sa polémique meme reflète l’esprit démocratique dont l’Eglise ne s’est pas défendue. Il y a, dans la collection D’Allemagne, un tableau dont le sujet n’est autre que la “Constitution”. La Constitution, comme on l’appelait en 1721, c’est l’ensemble des propositions jansénistes qu’une décision de concile finit par condamner: en ces temps heureux, les conflits en lesquels se heurtaient les passions avaient pour motif une glose évangélique. Le “Jeu de la Constitution” ressortit nettement à la controverse; il est une manière de tract, un instrument d’action et d’influence et, de ce point de vue documentaire et critique, une des pièces cardinales de la collection. On y voit s’opposer les solides raisons qu’on défend à la fragilité de la doctrine adverse; on y relève un appel à la modération qui condamne par corrélation la violence du parti contraire; le sujet meme de la discorde y est déclaré “digne des contes de ma mère l’Oye”. Autres indices remarquables du caractère tendancieux du document: avec un irrespect qui n’est pas sans surprendre, les cases normalement réservées aux oies sont occupées par les apotres, qui, insiste le règlement du jeu, “en tiennent la place”. D’autre part, décorant le chapiteau des deux pilastres qui cantonnent la composition, se voit une assemblée de treize oies mitrées et cravatées d’une croix. Le moyen de contester la signification de ce jeu, dont l’élégante facture favorisa sans doute la diffusion! La conclusion de son texte explicatif suffirait au reste à l’attester, puisqu’elle annonce la victoire finale des “appellants”, minorité du début, sur les “Acceptans, dont le grand nombre est la règle”, mais qui perdront cette force au bénéfice de leurs adversaires. Où diantre la politique va-t-elle se nicher? Mis en garde par un tel exemple, faudra-t-il désormais suspecter de desseins ténébreux ces tableaux d’aspect si bénin qu’a recueillis M. D’Allemagne? Qu’allons-nous apprendre d’eux? Voici des jeux à thème littéraire: et depuis Hésiode, nous le savons, “le poète porte envie au poète, comme le potier au potier”. Auront-ils répandu par le monde l’éloge perfide ou l’”éreintement” brutal? Que peut bien cacher le nouveau jeu des aventures de Télémaque, cette véritable mine d’allusions? Mais on respire. L’alerte n’est pas suivie d’effet. Télémaque fait paisiblement sur les traces du héros son père, son voyage instructif de brillant élève de l’école d’Athènes. C’était environ 1814. L’Antiquité régnait dans les lettres, dans l’architecture, dans le mobilier, dans les modes. En meme temps qu’une édition complète de Fénelon venait de paraitre l’Anacharsis de Barthélémy. Erudits et archéologues reconstituaient à force d’analyses et de confrontations une Hellade authentique, jusqu’alors offusquée par son démarquage romain. Une méthode critique s’élaborait. Comment la curiosité passionnée qu’éveillait une telle découverte n’eut-elle gagné la foule? Le public ignorait, cela va sans dire, les savants travaux de Winckelmann, les premiers relevés architecturaux des grands monuments grecs, faits par Soufflot et par Huvé, mais on publiait avec succès les comptes rendus des fouilles pompéiennes, et les récits des voyageurs. A l’audition des pièces tirées de l’antique, la foule se pressait. Crébillon avait déjà réveillé le gout d’une espèce de sauvagerie primitive. Après Lekain, Talma tentait d’en évoquer le climat par le costume antique dont l’apparition sur la scène avait d’abord scandalisé. Et coup sur coup, l’on jouait la Mérope, l’Oreste, le Catilina de Voltaire, les Troyennes de Chateaubrun, l’Iphigénie de Guimond de la Touche, l’Hypermnestre de Lemierre, la Briseis et l’Ajax de Poinsinet, dont le “vérisme”, comme nous disons aujourd’hui, fait la principale beauté. Tout ceci, de 1743 à 1762, coincide avec l’établissement du style “à la grecque”: il devait évoluer dans un sens de plus en plus austère, et de plus en plus pédant. Le cénacle des Penseurs, élèves de David quelque peu dissidents, postulait un art entièrement dépouillé, purgé des coquetteries "Pompadour". Il fallait en revenir à l’étrusque, rude et nu. Et l’architecte des Barrières de Paris, Ledoux, élaborait le style cyclopéen dont il subsiste quelques vestiges. Comment le sentiment public n'eut-il pas subi l’empire de cette massivité grandiose et sans mystere? L’ameublement lui-meme s’en inspirait. Les lits et leurs mortiers de veille imitaient les modèles étudiés sur les sarcophages. Les meubles reproduisirent ceux qu’avaient exhumés les fouilles, le bronze remplaçant l’acajou. Et pour conjurer les erreurs archéologiques, on consultait l’Anacharsis et le Télémaque. Le rapport de causalité qui lie le succès de ces ouvrages à la publication du “Jeu du Télémaque” vers 1814 est direct et certain. Sans doute l’histoire du gout français n’avait-elle pas besoin de ce document nouveau: il n’en a pas moins sa valeur. En cette matière, il n’est rien de surérogatoire. C’est encore une actualité qui explique l’édition du Jeu de “Cendrillon”, paru vers 1812. Une féerie avait, deux ans auparavant, remis en vogue le joli conte de Perrault. Un succès théatral a toujours été l’occasion d’une mode: ainsi le Panurge de Grétry déterminait-il, non seulement certaines formes vestimentaires, témoin les chapeaux clabauds, mais tout une ornementation du mobilier. L’Histoire générale a moins bien inspiré les éditeurs des Jeux de l’Oie. D’où vient qu’en somme cette richesse n’ait pas été mieux exploitée? Celle de la Grèce fournit, vers 1815, le thème d’un jeu, celle de Rome en fournit trois, dont les deux premiers parurent la meme année 1773 et l’autre vers 1810, la chronologie des Rois de France une dizaine. La suite des grands événements eux-memes se résume en trois ou quatre tableaux. L’esprit de polémique aurait-il fait défaut aux Français? Car le passé, perpétuel renouvellement des memes illusions, des memes déboires et des memes fautes, est singulièrement fertile en allégories, et le public singulièrement habile à saisir le sens actuel d’apologues placés en les temps reculés. Or, quelque attention qu’on apporte à détecter des allusions dans les vignettes du “Jeu de l’Histoire de France”, publié par Basset en 1837, il faut se résigner à n’en trouver aucune. Ce beau document n’en est pas moins révélateur. Il atteste l’immense curiosité du Moyen Age qui s’était emparée du public. On remarque en effet, la disproportion numérique des images relatives aux deux fractions de notre histoire: le Moyen Age et les temps postérieurs à la Renaissance: des 63 cases du jeu, 52 représentent des actes antérieurs a Francois Ier. Le XVIe siècle obtient quatre cases, le règne de Henri IV, une, celui de Louis XIV, une autre. Par contre les plus minimes incidents de l’ère médiévale, le meurtre de Childéric III, la répudiation d’Ingeberge, le couronnement de Louis le Bègue, sont élevés au niveau d’événements cardinaux. Erreur d’optique historique? Intention critique? En aucune manière. L’étrange déséquilibre, la démesure frappante de ces commémorations décèlent simplement le vif intéret qu’en 1837 on portait aux choses du Moyen Age. N’oublions pas qu’il se manifesta dès la fin du XVIIIe siècle. Il n’est nullement apparu subitement à l’époque romantique, associé aux poèmes allemands: le romantisme lui-meme dominait depuis longtemps les esprits: de l’Ossian, Napoléon n’avait-il dit qu’il lui faisait oublier Homère? Le gout gothique s’était manifesté dès 1786 dans le décor de l’hotel du "ci-devant Beaujon". En 1790, Hanry avait construit, rue Pigalle, une maison en forme de chapelle ogivale; en 1795, Brunau suivait son exemple en élevant, faubourg Saint-Honoré, la maison Fortin, à décor gothique. Bientot s’élaboraient le style "troubadour" et l'ornementation "à la cathédrale". Mais ces symptomes annonçaient une rénovation profonde des idées. En fait, les archéologues venaient de découvrir un art non moins méconnu que l’était encore, à la fin du XVIIIe siècle, celui de la Grèce. Trois siècles de classicisme avaient recouvert l’oeuvre du génie proprement national, aussi bien dans les lettres que dans les arts. Il avait fallu l’initiative trop oubliée d’Alexandre Lenoir, abritant pendant la Révolution dans son musée des Monuments Francais les témoins d’un passé suspect pour que s’en révélat aux esprits objectifs l’admirable originalité. “Je me rappelle encore, écrira Michelet, l’émotion, toujours la meme et toujours vive, qui me faisait battre le coeur quand, tout petit, j’entrais sous ces voutes sombres, et contemplais ces visages pales... Que d’ames ont pris, dans ce musée, l’étincelle historique, l’intéret des grands souvenirs, le vague désir de remonter les ages!” Peut-étre le “Génie du Christianisme” est-il sorti de ces muets colloques. Par ce chef-d’oeuvre, si neuf, en 1802 Chateaubriand inaugurait l’ère moderne. Il éveillait la passion des études historiques et le respect des ruines, non plus comme au temps d’Hubert Robert pour le pittoresque, mais pour la valeur documentaire. En 1810 Alexandre de Laborde et le comte de Montalivet obtenaient, arrachaient des pouvoirs publics la réglementation conservatoire qu’en 1833, Montalembert par sa courageuse “Lettre sur le Vandalisme”, fera renforcer: Guizot, lui-meme historien, grand historien de la civilisation médiévale, instituera en 1835 le Comité des Travaux Historiques, avec lequel, deux ans plus tard, la Commission des Monuments historiques partagera la lourde mission de sauvegarder le patrimoine architectural et technologique français. Dès 1825, l’intelligente vulgarisation du baron Taylor, puis les savants défrichements scientifiques des Vitet, des Arcisse de Caumont, des Emeric David, précédant Viollet-Le-Duc et Mérimée, avaient initié le public à la résurrection d’un art qui éveillait en lui de lointaines résonances. Amédée Thierry publiait en 1828 son “Histoire des Gaulois”. Son frère Augustin Thierry préparait ses “Récits des Temps mérovingiens”. En 1831, une voix retentissante réveillera brusquement tout ce passé qui surgira dans sa diversité, haut en couleur, spontané, prompt à l’émotion comme à l’action, dans le décor magnifique de “Notre-Dame de Paris”. “De l’histoire sous le roman”, disait Hugo de son chef-d’oeuvre: c’en est le roman qui remua la foule: l’histoire n’y avait pas suffi; mais il habitua les esprits à l’objet meme qui l’avait inspiré. On va s’intéresser à l’histoire pour elle-meme. A ce gout répondra le jeu que publia Basset en 1837. Il n’a rien d’un apologue ou d’une fiction romanesque: c’est une énumération didactique de faits historiques. Beaucoup plus limités sont les autres thèmes de cette catégorie. Ils n’en déposent pas moins des tendances du moment. En 1835, coup sur coup, se sont imprimés deux jeux: celui du “Grand Homme”, chez la V.ve Turgis et, chez Langlumé, celui de la “Vie de Napoléon”, dont M. D’Allemagne possède une épreuve. Aucun événement contemporain n’explique leur publication; l’Empereur était mort en 1821, le Retour des Cendres s’effectuera seulement en 1844. Les incidents qui pensèrent opposer la France à l’Angleterre, tels que l’affaire Pritchard se produiront après 1835. Mais la nation, cruellement humiliée en 1815 et qui aspirait à recouvrer la grandeur qu’elle avait connue, associait à son réveil militaire, à ses premiers succès en Algérie, le souvenir prestigieux et symbolique du chef qui l’avait conduite à la gloire. Les officiers réformés, les “demi-soldes”, pour la plupart encore jeunes, amers, agressifs, professaient avec intransigeance leur culte de l’Empereur, que Louis-Philippe, soucieux d’asseoir la monarchie constitutionnelle en lui ralliant ces opposants, affectait de partager. La Couronne avait besoin d’hommes de guerre: aussi bien les instruments de propagande que laisse paraitre sa censure célèbrent-ils la science militaire, le courage personnel, la diplomatie d’autorité de Napoléon, voire sa politique intérieure axée, comme celle des Rois, sur l’adhésion populaire. Un piège était tendu sous les pas de l’éditeur: la politique religieuse de Napoléon s’était montrée nettement gallicane. Mais une remarquable inadvertance a fait oublier à Langlumé la captivité de Pie VII à Fontainebleau, de meme que l’incident du couronnement. On peut s’étonner de l’absence de jeux à caractère commémoratif qui fussent contemporains de l’événement, pendant la période révolutionnaire et impériale, alors que l’infaillible érudition de René Poirier signale quatre tableaux de la formule traditionnelle parus entre 1806 et 1815. Car le jeu classique, “renouvellé (sic) des Grecs”, s’est constamment réédité, de faìbles variantes marquant ses versions successives. L’on sait meme de beaux meubles anciens dont le dessus de marqueterie présente le dispositif originel avec ses oies jalonnant le cheminement des joueurs: la célèbre collection Doucet comportait une table ainsi décorée, oeuvre de Denis Genty, lequel avait pris la maitrise en 1754, et mourut en 1762. On trouve seulement un “Jeu de la Révolution française”, daté de 1791, intéressant document publié rue des Mathurins, à Paris, sans nom d’éditeur. Il exprime ouvertement les sentiments du Tiers, hostile tout d’abord aux Parlements de province, organismes de police autant que d’administration, cordialement détestés pour ces deux raisons: ces assemblées, résumées par quatre volatiles en robe rouge ou noire, occupent, dans le tableau, la place réservée traditionnellement aux oies: l’intention caustique est indubitable. Moins significative est l’énumération, case par case, des actions évoquées, encore qu’on y trouve entérinées certaines conquetes auxquelles nous n’attachons plus beaucoup d’importance, mais que nos pères, eux, jugèrent essentielles. Ainsi la case 3 annonce-t-elle l’affranchissement de la chasse: c’etait un des voeux les plus pressants et les plus unanimes des cahiers du Tiers. La libération générale du travail sera sur le meme plan que la sécularisation des biens de main-morte. Une analyse minutieuse de ces vignettes, facilitée par le relevé descriptif qu’a fait d’elles M. D’Allemagne, nous révélerait les principales directions des idées populaires avant la grande crise de 1793. Hormis la satire des Parlements provinciaux, aucun accent caricatural ou violent ne trahit la division intestine qu’allait aggraver l’affaire de Varennes. Celle-ci meme, de l’arrestation de la famille royale au retour à Paris, est présentée comme une anecdote, objectivement et sans passion. Pour la raillerie des “rats de cave” précipités dans un puits, ou celle du clergé réduit à la besace, depuis le Moyen Age ce sont là les objets classiques de l’ironie populaire. La France de 1791 était encore euphorique. Le ton ne s’echauffera, semble-t-il, qu’un peu plus tard; deux jeux de “La Poule au Pot”, édités l’année suivante, rappellent à Louis XVI la bonne administration de son ancetre. Ce sont des espèces de pamphlets. Les jeux allégoriques ou meme figuratifs à caractère historique ne reparaitront qu’en 1814, pour commémorer un des événements les plus singuliers des annales de Paris, son occupation par les Cosaques. Pour la première fois depuis les grandes invasions barbares, la France voyait camper sur son territoire les hordes des rives cimmériennes. Mais celles-ci ramenaient et consolidaient la contre-revolution. Elles étaient les alliées du roi légitime, contre la nation révolutionnaire, terrassée. L’autorité recouvrée par les monarchistes ne pouvait que ménager les agents de leur restauration. En ces conditions, ce n’est pas la relative modération du portrait des occupants dans le jeu qui les représente, c’est la vigueur de sa critique qu’il y a lieu de noter. Le mépris du peuple civilisé pour le barbare s’y manifeste à dix reprises: le tableau montre le Cosaque maraudant, forçant les portes pour voler, détroussant les prisonniers, dépouillant les blessés, ravissant meme une jeune fille. Ce n’est certainement pas là le certificat de bien vivre que s’honoraient de recevoir, à l’étranger, les armées de la République. Le “Jeu des Cosaques”, tout publié sous l’occupation russe, apparait donc nettement comme une protestation populaire contre la loi de la force. A la vérité l’actualité politique, sous l’Empire comme sous la Terreur, avait été pour les éditeurs, un terrain dangereux. Les nouveautés qu’ils publièrent en ont en effet prudemment évité les abords. Ce sont des thèmes généraux et purement anecdotiques, monuments, enseignes, cris de Paris que traitent les jeux publiés entre 1803 et 1815. De cette catégorie, celui des “Monumens” est le plus inoffensif. Il n’en est pas moins intéressant pour nous. D’une excellente facture, il nous présente un Paris de 1810 fort complet, dont cent quarante années de destructions stupides et de constructions horribles ont dénaturé la physionomie. Le caractère d’unité qui devait à la predominance dans l’architecture d’une échelle, d’une proportionnalité, d’un rythme communs ou de faible écart, s’est trouvé détruit par l’abominable prétention des architectes du XIXe siècle de se distinguer. Le caractère incohérent, désordonné, décousu, grimaçant de toute cette batisse avide de trancher sur le voisinage, cette négation du gout, de la raison, du style, de la paix spirituelle, s’accusent avec une force étonnante par le contraste que nous offrent ces représentations du Paris monumental ancien, toujours calmes et claires. On n’en considère qu’avec plus d’intéret les images des édifices disparus, les fontaines des Saints Innocents, de la place de la Bastille, du Grand Chatelet, des Invalides, le Chateau-d’Eau, le théatre Italien, le vieil Hotel-Dieu, la Barrière de la Gare, la Halle aux Blés, Sainte Pélagie; il n’est jusqu’à l’Obélisque du Pont-Neuf et les Bains chinois qui n’aient apporté leur contribution pittoresque à l’aspect du vieux Paris. D’autres monuments ont été modifiés, qui n’ont pas toujours gagné au change: ni la fontaine de la place Saint-Sulpice, ni le monument de la place des Victoires ne sont aujourd’hui ce que le jeu de 1810 montre qu’ils étaient: on peut en regretter la simplicité. Sans doute, le graveur de ces jolies vignettes n’a pas entendu nous donner une leçon de style: son trait cursif, son croquis résumé, vont au plus court. Il nous dit cependant très bien ce qu’il a vu. Avec un sens fort juste de l’effet, peut-étre simplement conduit par l’expérience, par l’habitude de voir des formes architecturales heureuses, il place chacun de ses motifs dans la situation la plus propre à suggérer son échelle, son rapport avec l’extérieur. Il était certainement sous l’influence esthétique du grandiose codifiée par Ledoux: il n’en pouvait aller autrement. Il se montre donc sur et compréhensif dans l’interprétation des architectures nouvelles. Par contre, il est étrangement vague, approximatif et superficiel en traçant, de mémoire ou d’après un croquis expéditif la façade de Notre-Dame. La censure accueillait avec bienveillance des publications aussi peu suspectes. Il en allait de meme du “Jeu des Enseignes”, un des plus intéressants, du point de vue documentaire, qui soient dérivés du type traditionnel. Il est, par bonheur, un des plus copieux, comportant quatre vingt-dix cases: toute la physionomie de Paris de 1803. Mais les enseignes n’y sont plus remarquables que par leur texte. C’en était fait, depuis vingt ans, de cette extraordinaire végétation dont le vieux musée Carnavalet, avant qu’il fut devenu académique, rassemblait les spécimens: Gabriel de Sartine, lieutenant de police de Louis XVI, avait mis bon ordre à leur proliferation. Les enseignes de tole découpée, de bois taillé, de fer battu, étaient auparavant si grandes, grosses et lourdes qu’elles obscurcissaient les rues, par elles-memes étroites, et menaçaient, par grand vent, la sécurité des passants. Elles avaient, témoigne Sebastien Mercier, “un volume colossal et en relief (sic). On voyait une garde d’épée haute de six pieds, une botte grosse comme un muid, un éperon large comme une roue de carrosse, un gant qui aurait logé un enfant de trois ans dans chaque doigt, des testes monstrueuses, des bras armés de fleurets, qui occupaient toute la largeur de la rue... quand le vent soufflait, toutes ces enseignes devenues gémissantes, se heurtaient et se choquaient entre elles, ce qui composait un carillon plaintif et discordant, vraiment incroyable pour qui ne l’a pas entendu”. C’est cet étrange orchestre que baillonna M. de Sartine. Le pittoresque y a perdu. L’art décoratif aussi; car la nécessité qui s’imposait aux enseignes de se faire lire de loin, nettement, avec esprit, déterminait l’élaboration d’un véritable style simple et vigoureux analogue à celui de l’affiche. De l’affiche, mais aussi de l’étalage. L’écart n’est pas des plus grands qui sépare l’enseigne classique du mannequin moderne en tige de fer coudée, silhouette à peine cernée laissant à l’imagination du spectateur le soin de terminer l’indication qu’elle esquisse. Et les Pandores dont parlera plus en détail René Poirier, poupées de bois ou de son, sur le corps simplifié desquelles s’en allaient hors de France, fut-ce à travers les lignes ennemies, en vertu d’un remarquable privilège, les modes parisiennes; et les “Sidonies” des perruquiers, coiffées au gout du moment, ressortissent au meme formulaire esthétique que les figures d’enseigne des marchandes de frivolités. La rue de Paris, en 1803 encore, avait d’autres particularités originales que ses boutiques. Une faune particulière l’animait qui, depuis le Moyen Age, s’annonçait par ses appels, de texte et de modulation consacrés par une longue tradition. On imagine volontiers qu’en ces villes resserrées sur elles-memes et piquetées de jardins, chaque maisonnée formait une communauté complète; il n’en était rien. Nombre de besoins ne pouvaient étre satisfaits que de l’extérieur. L’eau manquait: le porteur, escorté des deux seaux accrochés à sa palanche, pièce de bois courbe qui emboite les épaules, ou bien à l’appareil reproduit plus loin, d’après Vernet, par l’habile et scrupuleux crayon de Jean Kerhor, le porteur montait à domicile, moyennant six liards, la “voie” tirée aux fontaines ou bonnement à la Seine. Le lait, la marée, les produits maraichers venaient de loin. On les signalait par des cris. Dès le XIIIe siècle, Guillaume de la Villeneuve faisait des “Crieries de Paris” le sujet d’un poème. Environ 1660, un texte de meme nature attestera la longévité de ces coutumes populaires. Imprimé à Troyes, reproduisant, très fautivement, un document d’un siècle antérieur, on le connait par la réédition qu’en a faite Paul Lacroix dans son précieux “Paris ridicule et burlesque”. L’estampe n’a pas été moins diligente à recueillir ces traits de la vie parisienne. L’Arsenal en conserve une suite, du XVIe siècle. Abraham Bosse, Pierre Brebiette, Callot, Larmessin, Nicolas Cochin, Bouchardon, gravé par Caylus, Carle Vernet, ce Marlet qu’étudie ici M.lle Juliette Niclausse, identifieront tour à tour les sonorités que “lançait par-dessus les toits” l’organe aigu des gagne-petit et qu’harmonisera finalement le musicien de Louise. Il n’est jusqu’au tissu d’ameublement qui n’y ait trouvé son décor: dans la succession de Catherine de Clèves, duchesse douairière de Guise, veuve de Henri de Lorraine, qui mourut en 1633, figurait une tenture de satin de Bruges blanc où, note l’inventaire, “sont représentés les cris de Paris”. La collection D’Allemagne possède un jeu “bruiant” de cris de Paris, qu’édita Basset en 1800, d’après un original de 1795 et sa réplique de 1805: il apporte une contribution substantielle à l’histoire de ce curieux sujet. Il nous montre, par exemple, la laitiére de Gonesse arrivant, chargée d’une hotte où s’échafaudent plusieurs pots. Elle s’annonçait impérieusement: “C’est la laitière, allons vite”! Deux siècles auparavant, Perrette parlait autrement: non moins fermement, mais en un langage plus direct: “Ca! tost le pot, nourrices!” clamait-elle. ll y eut évidemment succession des deux formules. L’énergie du vieux texte n’eut plus été comprise à la fin du XVIIIe siècle. A la vérité, les cris dont résonnait le ciel de Paris étaient plus curieux par leur tonalité, que par leur sens. Rares sont les formules qui contiennent une espèce de philosophie: la plupart se bornent à signaler le passage du praticien: “Bouquets pour Margot! “ crie la fleuriste ambulante. “Ciseaux, couteaux à repasser” annonce le rémouleur. La fripière, coiffée de plusieurs chapeaux d’homme était certainement plus pittoresque sous cet accoutrement que par son mélancolique “habits à vendre?” Il en va de meme aujourd’hui. Par contre les marchands d’alphabets ouvraient d’amples perspectives: “Beaux A.B.C. en parchemin, chantonnaient-ils: le premier livre des docteurs”. Et les bouquetières allaient psalmodiant un verset qui n’est pas plus sot qu’un autre: “A mon pot d’oeillets Il est plantureux Pour faire bouquets Pour les amoureux”. “Excellent vin de Bourgogne, qui rougit la trogne” recommandait le “sacavin”. “Les éguilles pour les femmes et les filles” offrait le mercier itinérant, et le marchand de jouets donnait à ses jeunes clients une première leçon de tactique: “Pleurez, pleurez, petits enfans, Vous aurez des moulins à vent.” Voilà d’agréables exceptions dans la banalité des cris du gagne-petit. Deux traits en caractérisent la primitive éloquence: d’une part sa bonhomie; d’autre part l’instinct verbal qui s’y manifeste. Un obscur sentiment d’art induit les marchands ambulants à composer leur appel. Ils le riment, du moins par le son. Ils le scandent suivant un certain rythme ordinairement pair. En somme ils obéissent à l’impératif psychologique que Baudelaire a si fortement défini: “l’immortel besoin de monotonie et de symétrie”. Mais ils ne le savent pas, et cela vaut mieux ainsi, car ils feraient de la littérature. D’ailleurs, cette bigarrure haute en couleurs de la rue parisienne s’est éteinte. Les derniers ambulants sont rarement pittoresques. Le magasin, grand et petit, voire l’éventaire réglementé de Crainquebille ont tué le gagne-petit, réduit à la sauvette. La verve comique de la rue souffre de cette promotion bourgeoise. Il faut parcourir les marchés de quartier pour y saisir au vol ces reparties instantanées et saisissantes qui sont le sel de la langue populaire. Il y aura là, pour les éditeurs de jeux de l’oie nouveaux un fonds inépuisable. Fort judicieusement, leurs devanciers ont tiré, d’une autre mine, la mode, un parti qui dépasse aujourd’hui l’importance qu’eux-memes lui pouvaient preter. Ce sont d’authentiques documents comparatifs que ces jeux sur le tableau desquels voisinent, fort exactement dessinés, les coiffures, les vetements, les atours au gout du jour. On en est à déplorer que, découragés par le volume de la matière, les éditeurs se soient résolus à choisir entre les modèles: de quel prix en serait l’encyclopédie! Et quels horizons pour le reve! Mais la règle du “Jeu des Modes Françaises, imprimé pour Sayer, de Londres en 1780, se résigne à n’évoquer qu’une “faible partie des coeffures inventées depuis environ trois ans... parce qu’au lieu des soixante-trois cases qui composent ce jeu, il en aurait fallu près de mille si on avait prétendu n’en exclure aucune des inventions relatives aux ajustemens du sexe qui fait le bonheur et l’agrément du monde”. On savait dire les choses. Il est impossible de mettre plus de grace à consoler le joueur des accidents qui vont troubler son cheminement: les dés conduisent-ils à la case numérotée 22? La règle banale le condamne à rester deux coups sans jouer. Mais comment le regretterait-il? On va loger dans la case fatidique la Petite Maitresse: le joueur, on ne dira plus malchanceux, “s’y attardera à lui conter fleurette pendant que chacun jouera deux coups.” Dans la case 33, c’est l’Elégante qu’il rencontrera: le meme retard le punira de séjourner près d’elle. Atteint-il la case 50? Il s’arrétera pour “dire des riens” à la Pimpante, et n’y sera supplanté que par un autre joueur. Mais un incident plus grave menace sa sécurité. Le sort le conduit-il à la case 59? C’est une Nymphe tirant son bas sur “une jambe faite au tour” qu’il y surprend. “Il paiera quatre jetons pour ce plaisir” mais recommencera la partie. Et, derechef, c’est la revue des ajustements de téte qu’il va passer: chapeaux minuscules perchés sur un himalaya touffu, plumets jaillissant d’un ballon, panaches monumentaux, “poufs au sentiment” formés d’un coussin de crin, de masses de gaze et de cheveux d’emprunt, melés aux meches naturelles et supportant les accessoires les plus inattendus, poupées, fleurs, légumes, volatiles rares, selon les préférences de l’élégante qui s’en parait. Or, c’est à partir de 1775 qu’apparait dans la coiffure féminine, cet extraordinaire caprice. Le règne de Louis XV avait, jusqu’à son déclin, observé une certaine simplicité. Mais l’influence d’une bourgeoisie fort coquette et non soumise aux règles du cérémonial officiel, peut-étre aussi l’exemple des modes anglaises alors extrémement fastueuses, témoin les portraits de Gainsborough et de Reynolds, allait déchainer les génies de la fantaisie. Tout d’un coup règnent en profusion les modèles inédits, souvent exquis, quelquefois saugrenus, toujours ingénieux, féminins, merveilleusement adaptés à la grace physique de la personne. La duchesse de Lauzun parut un jour à la cour coiffée d’un pouf que toutes jugèrent “délicieux”. La comtesse d’Adhémar le décrit en ses “Souvenirs”: “Il offrait tout un paysage en relief: une mer agitée, des canards nageant sur ses bords, un chasseur à l’afflut prét à les coucher en joue; sur les sommets, un moulin dont la meunière se faisait courtiser par un abbé, et dans le bas le meunier conduisant son ane”. Par quel miracle une jolie femme est-elle encore plus jolie, en un tel équipage? N’est-ce pas sa volonté d’étre belle et de plaire qui la rend plus émouvante et plus charmante encore? On cherche en vain des coiffures aussi surprenantes en la suite des soixante-trois chefs-d’oeuvre du jeu de 1780. Mais l’éditeur n’avait pas d’imagination; c’était une manière d’érudit. Il prend son sujet très au sérieux. C’est pourquoi nous lui devons beaucoup. Langlumé, publiant le ravissant “Jeu des Costumes des Dames Françaises” n’est ni moins précis ni moins fidèle. Le tableau qu’il dresse est d’un vif intéret documentaire. On y relève une amusante particularité. Habilement, le Sayer avait éludé le problème de la figuration des oies; ce sont des effigies féminines en pied qui séparent les suites d’effigies en buste. L’attention dispersée, absorbée par les vignettes et les coiffures, se détourne de ces importuns volatiles. Langlumé, lui, l’attire sur la solution qu’il a trouvée. Ce sont des figures masculines qu’il utilise pour scander la marche de son jeu. Elles occupent donc la place des oies. On n’est pas sans en sourire. Mais un ensemble de détails, plus importants, attendu leur caractère chronologique, appelle un examen critique plus sévère. Les modes qu’introduit l’éditeur en son tableau nous apparaissent d’emblée comme tout à fait nouvelles: c’est la collection de l’année. La cour de Louis XVI avait jusque-là porté ces robes dont un système ajusté sur les hanches, le panier, déterminait un ample rebondissement, accusé par des falbalas brodés. En 1786, le “Cabinet des Modes” signalait une veritable révolution du gout, sans d’ailleurs en indiquer les causes qui sont l’expansion de l’anglomanie, et celle de l’humanisme de Rousseau, que venait d’exhausser la publication des “Confessions” en 1782. La mode tourne à la saine simplicité. Les paniers sont abolis, les robes à traine démodées. C’est est fait des polonaises, des circassiennes, des chemises à la Reine, des justes à la Figaro, des caracos, des robes à la Suzanne. Les femmes adoptent une sorte de redingote masculine, complétée par le chapeau de castor, la cravate et les deux montres. Or, aucun modèle de cette sorte ne figure dans le tableau de Langlumé. Sans exception, les robes qu’il publie comportent la taille haute et la jupe lache, que l’on considère communément qui régnaient en 1795. En 1795 seulement. Nombre des figurines qui voisinent ici portent le shall à l’anglaise, mode qui semble apparue sous le Directoire, et dont l’insistante représentation atteste la nouveauté. Le shall se portait flottant, couvrant négligemment les épaules et tombant simplement par devant. Il est donc une autre chose que l’écharpe de 1788, croisée dans le dos pour revenir se nouer par devant, laquelle l’avait précédé. Détail à noter: l’un des shalls représentés ici, le n° 41, est dit “égyptien”. La vogue de l’Egypte n’a certainement pas pour origine les absconses recherches de Champollion. Elle date de l’expédition de Bonaparte, en 1798. Autre detail: la toilette feminine occupant la case de départ est un “spincer”. Or, le “spencer à l’anglaise”, courte veste à manches, n’est connu du “Journal des Modes” qu’en 1799. Les habits des hommes ne sont pas moins insolites: garriks anglais, chapeaux hauts de forme et massifs, et ce curieux bicorne à coiffe haute et longues pointes appelé chapeau russe que rien ne permettait de penser qu’on eut porté avant le Directoire. Voilà une étrange accumulation d’indices. L’hypothèse d’un parachronisme n’est pas à retenir. Il eut été possible, à la rigueur, que le jeu de Langlumé eut enregistré quelque détail vestimentaire encore inconnu des grandes gazettes spécialisées; un détail, soit. Mais pas une mode entière. Ce très beau document daterait de 1796. Soit. Mais au plus tot. Le “Jeu des Modes” s’adressait aux grandes personnes. Celui des Ecoliers, édité par Jean vers 1810, est fait pour la jeunesse. Il représente les vicissitudes de la condition scolaire: études qui ne s’effectuent pas sans peine, exercices mondains et militaires, jeux variés qui paraissent occuper une part notable de l’activité des élèves, sanctions assez dures de leurs fautes: exhibition du coupable coiffé du bonnet d’ane, cachot et finalement exclusion. On est quelque peu surpris du ton badin, satirique meme qui singularise ce document: la formation de la jeunesse est une chose grave. Le “Jeu de la Civilité” qui paraitra vers 1815, teinté d’esprit confessionnel, est évidemment beaucoup plus soucieux de pédagogie réfléchie. Il se garde de railler les usages et meme les routines, redoutant d’éveiller l’insidieux esprit de critique et de scepticisme. C’est un véritable traité d’éducation puérile et honnete; aussi bien les préceptes de bonne tenue, que les vieux ouvrages appelaient “le maintien “ en occupent-ils, mis en action par d’aimables saynettes, nombre de cases. Un garçon bien élevé n’aura pas l’air, en marchant, de compter ses pas. Il n’ira pas balançant ses épaules, ni sautillant, mais non plus sur la pointe des pieds; se promener les mains derrière le dos “n’est pas honnéte”. Marcher les bras pendants fait niais, les épaules voutées fait laid, le chapeau “sur le coin de l’oreille” fait indécent. Remuer ses pieds quand on est assis est “incivil”; pareillement de poser ses poings sur ses hanches “comme les poissardes”. Il ne convient à l’homme bien élevé ni de croiser ses jambes l’une sur l’autre, ni de souffler sur sa soupe: il attend qu’elle ait perdu sa chaleur. Comment ces conseils rappelés par le jeu, confirmant ceux que répétaient inlassablement les précepteurs, n’eussent-ils pas laissé dans les jeunes tetes une empreinte profonde? Mais les belles manières ne suffisent pas à former un honnete homme; il y faut joindre le savoir. Basset s’en préoccupe; il publie en 1814 le “Jeu Instructif des Merveilles de la Nature et de l’Art”, bon travail de vulgarisation. De ces merveilles du monde qui s’élèvent à soixante-trois, le choix, bien qu’inégal, n’est pas absolument mauvais. C’est la commune mesure, l’instrument de calcul et d’appréciation de l’intéret relatif qui manque. Les grottes de Fingal et d’Antiparos, les chutes du Niagara, sont assurément de grandes et superbes singularités physiques. Une aurore boréale, un phénomène sismique n’ont tout de meme pas ce caractère. La grande Pyramide, la Tour de Canton, le Colisée, sont des chefs-d’oeuvre du travail humain. Mais bien d’autres monuments insignes les égalent au moins, auxquels l’éditeur substitue d’agréables constructions d’un mérite plus ordinaire. Du moins le choix des sujets suggère-t-il des réflexions critiques, et c’en est assez pour remplir en partie le programme qu’on s’était donné. Basset fut moins bien inspiré quand l’année suivante, il publia son “Jeu instructif des Peuples et Costumes des Quatre, parties du Monde”; la gravure en est fine, la coloration délicate, les thèmes amusants. Les récits des voyageurs et leurs témoignages graphiques ont inspiré ces jolies vignettes, mais on sait ce que valent ces dépositions: l’incertitude des notions générales et l’inexactitude des relations elles-memes privent le document de toute valeur pédagogique. Dans la notice qu’il consacre à cette pièce de sa collection, M. D’Allemagne en a relevé les erreurs; il en est d’énormes. Au lendemain du succès de l’Anacharsis ne place-t-il pas la Grèce en Asie? A la vérité, pour nous, ce sont de telles bévues qui font le prix de ces publications: nous ne leur demandons pas des informations scientifiques, mais l’écho de ce qu’on croyait et qu’on répandait au début du XIXe siècle. Basset n’avait pas à craindre de telles méprises en publiant son “Jeu universel de l’Industrie Humaine”, aussi physionomique dans le détail des actions représentées qu’adroitement gravé. Trait caractéristique de l’esprit du temps, aucune hiérarchie n’y distingue les occupations des hommes. Sans doute, aujourd’hui, composant un tableau de cette nature, y placerions-nous le mécanicien, le vernisseur, l’électricien, sur le meme plan que l’ingénieur et l’artiste. Ce sont là, en effet, des valeurs sociales égales, si leur valeur spirituelle est inégale. Mais nul ne s’aviserait de faire voisiner, comme le fait Basset tout naturellement, l’astronome, le médecin, l’architecte, l’imprimeur, le chimiste, le musicien, le laboureur, avec le baladin de carrefour, l’homme-orchestre, Polichinelle et l’arracheur de dents. Sans doute, cette Babel de situations offre-t-elle une image de la vie réelle, mobile et diverse, indifférente aux hiérarchies inventées par les hommes: mais c’est là une philosophie bien haute. Plus vraisemblablement faut-il discerner dans ce curieux nivellement par le bas des industries humaines l’aveu naif du mépris en lequel restait tenue l’activité professionnelle, fut-elle transcendantale, dans une société qui, récemment encore, “n’avait pas besoin de chimistes”. Elle appréciait, par contre, l’homme de lettres: peut étre parce que l’écrivain donne la forme aux aspirations plus ou moins confuses qui l’animent, qu’il l’éclaire sur elle-meme et souventes fois exalte en les objectivant ses émotions. On sait la puissante influence de Jean-Jacques sur les moeurs de son temps, celle de Beaumarchais sur l’état d’esprit public, celle de Voltaire enfin, sur la conscience universelle. L’un des jeux que reproduit ici M. D’Allemagne, daté par la mort du grand homme en 1778, est un curieux hommage à sa gloire. Ce “Jeu de la Vie Humaine” se joue sur quatre-vingt-quatre cases, nombre des ans que vécut le poéte. C’est une suite de physionomies d’expression et de types humains, peut-etre suggérée par l’apparition de la “Physiognomique” de Lavater en 1775, laquelle souleva des débats passionnés. Mais le distrait, le studieux, le malin, le bourru, l’ambitieux, qui sont des caractères y coudoient l’auteur tragique, le prosateur, l’historien, le romancier, le poète, l’orateur, l’auteur comique, le “dramatiste”, le géographe, le philosophe, le savant, le satirique, promus à cette dignité, voire le célibataire, qu’on ne savait pas qui constituat une forme de tempérament. Sont-ce les multiples aspects de la carrière de Voltaire qu’a voulu rappeler l’éditeur? Et cette variété des tendances psychologiques qu’il énumère signifie-t-elle le domaine immense que parcourut son observation? Le graveur, lui, n’a pas laissé de consulter aussi les modèles contemporains: de notables réminiscences des “mises en place” de Chardin, de Latour, d’Aved, de Greuze, de Raphael Mengs se discernent sous l’apparente liberté de ses vignettes. Mais il n’y avait alors là rien d’incorrect. Le démarquage de l’oeuvre d’autrui n’était nullement illicite. Aussi bien l’une des vignettes - la 51e - du “Jeu de la Fortune” qu’édita Basset, vers 1812 reproduira-t-elle sans vergogne le Prud’hon fameux, la “Justice et la Vengeance divine poursuivant le Crime”, exposé en 1808 avec un éclatant succès. Ce jeu de la Fortune, à la vérité, n’est point des mieux équilibrés; il n’en est pas moins des plus intéressants pour les amusantes saynettes qui en occupent les cases. Est-ce l’esprit moralisateur qui suggérait à Jean, vers 1805, une charmante mise en vignettes des “Fables de La Fontaine”? Plutot la recherche d’un thème général où la censure impériale ne trouvat rien à reprendre: on est surpris, en effet, du caractère anodin des images, d’ailleurs soignées, qui forment le jeu. Mais peut-etre Jean qui était surement homme de gout était-il aussi paisible. C’est à lui qu’était du le “Nouveau jeu d’Histoire Naturelle” de 1786, de fort belle exécution, et des moins chargé d’intentions polémiques. Du tigre au chat domestique, de l’hyène au rat, la faune classique y défile. Pour piquer l’attention, l’éditeur a seulement recherché des figures d’animaux rares: tamanoirs et carajous, isatis et cabieris, ancouberts et ratels, unaux et moriax, nagors et palatouches, hotes de la ménagerie royale peu familiers au Français moyen, en dépit de l’”Histoire naturelle” de M. de Buffon, que justement on publiait. C’est encore Jean qui produira, en 1809, le très “Joli Jeu des Fleurs”, un des joyaux de la présente collection. Par quel symbole y remplacer les oies? Développer en “gros plan” l’image de la fleur choisie, comme il avait fait celle des animaux du jeu precedent? Jean eut une idée charmante: il jalonna le jeu de corbeilles de sensitives, taillées en pyramide. Ce choix est symptomatique. La tourmente politique, les guerres, la misère, n’avaient pas détourné de son orientation romantique la “sensibilite” du XVIIIe siècle: l’ame humaine est ainsi faite qu’elle ne retient des événements qu’une impulsion dans son propre sens. Elle n’examine pas les contingences pour obéir à leur loi, mais pour prendre conscience des réactions qu’elles provoquent en elle, et se manifester. Jean aurait pu chercher, pour signaler les accidents classiques du jeu, les fleurs qui emprisonnent, ou les vénéneuses, ou les trompeuses. Il opta pour la sensitive, et son public, certainement, l’en approuva. Si l’analyse critique trouve à s’exercer meme à l’occasion d’un “Jeu des Fleurs”, comment ne s’appliquerait-elle pas avec plus d’efficacité à la composition de ce “Jeu de Melpomène, Momus et Thalie” publié par Basset en 1810, et dont le titre, académique et quelque peu pédant, se ressent des pompes oratoires du temps? M. D’Allemagne en a commenté la grande valeur documentaire; c’est toute la “tradition” des attitudes, des entrées, des costumes, qu’enregistrent ses vignettes précises et joliment gravées et c’est une vive lumière qu’il projette sur le théatre et son public à l’époque où triomphait officiellement le drame préromantique de Lemercier et de Pixérécourt. Talma, traité par l’Empereur avec une véritable familiarité, dominait la scène classique, dont sa conception du réalisme et de la couleur locale avait, non sans incidents, rénové les routines. Or, le grand tragédien n’est représenté qu’une fois dans cette suite d’effigies; il en occupe la seizième case, drapé du manteau de Manlius Capitolinus et le poignard levé. Par contre, le comédien populaire qui jouait les jocrisses, Brunet, fait l’objet de treize mentions; Thiercelin, son compère, de six; Joly, qui caricaturait les Anglais, de quatre. Ainsi vont les choses humaines. Le Jeu de l’Oie, voire sous ses formes dérivées, est en principe un jeu populaire, qui parle au commun de ce qui lui plait et de ce qu’il connait: et ce n’est pas l’oeuvre de l’esprit qui intéresse la masse. De nos jours, la renommée de telle chanteuse rauque ne dépasse-t-elle pas infiniment, sur le plan quantitatif celle d’André Gide? D’ailleurs, il faut beaucoup de talent pour jouer bien quoi que ce soit: le malheur est qu’il ne reste rien de ce talent, déployé sur les petites scènes, parce que le public auquel il s’adresse jouit de ses effets sans en admirer les ressorts. Il advient meme qu’on garde un souvenir plus durable des célébrités du cirque, parce qu’une certaine ostension de la technique y est inséparable de la réussite. La collection D’Allemagne possède un document inappréciable sur les grandeurs et servitudes de l’acrobatie, le “Grand jeu des Danseurs de corde, sauteurs et voltigeurs” très bien édité par Basset en 1812. Les habiles et courageux artistes qui pratiquent cette originale profession étudieraient certainement avec fruit les postures représentées dans ses soixante-trois vignettes, attendu l’extréme précision de leur dessin. Culbutes comiques, exercices de souplesse, de force, et d’équilibre, tours de funambules, jongleries, toutes manifestations d’un merveilleux sang-froid se succèdent de case en case, en un pittoresque et feint désordre, sans se commander l’une l’autre, dans un tumulte adroitement réglé, dans l’entrain savant des gestes inattendus et des cris multicolores. Selon toute apparence, le jeu publié par Basset représente les prouesses du fameux cirque monté, dans les premières années du siècle par les frères Franconi, gloires du chapiteau. On eut aimé qu’un discret hommage à leur talent l’eut rappelé, mais le passé ne pensait pas encore à la postérité. L’examen comparatif des jeux de l’oie, s’il pouvait porter sur un nombre suffisant de pièces, permettrait certainement de dégager de l’indécision qui la voile, la personnalité respective de ces vieux éditeurs. Ainsi Basset parait-il réserver ses préférences aux productions de caractère documentaire: ses thèmes, ce sont, on l’a vu, l’Histoire de France, les Cris de Paris, la Nature et l’Art, l’Industrie humaine. C’est encore lui qui publie, en 1812, un jeu des “Fortifications” dont l’opportunité dut assurer le succès et justifie encore aujourd’hui, autant que sa qualité, l’intéret qui s’y attache. Ses plans de bastions, de redoutes et de demi-lunes, apparemment tirés d’ouvrages spéciaux, ne pouvaient laisser d’intéresser non seulement la jeunesse mais le grand public, en une époque où les guerres découlaient l’une de l’autre comme des conséquences. Mais elles dévoraient les effectifs. Le recrutement des armées devenait une des préoccupations majeures de l’Etat. En exhaussant de la sorte la science militaire, Basset, peut- etre à son insu, servait la politique impériale, comme son devancier Crépy fit en 1768, par ses moyens, celle de Louis XV en publiant son très beau “Jeu de la Marine”. Il est vraiment intéressant d’y relever, dessinées avec gout, et meme avec un sens décoratif élevé, les silhouettes des beaux vaisseaux gréés de diverses manières, selon leur vocation: caravelles d’escadre et frégates, galères et galions; les activités du batiment, ses comportements à la mer, en rade, au feu; la nomenclature des pavillons; la terminologie navale, tout y est réuni pour éveiller ou fomenter l’attrait de la mer. Ce précieux document est dédié au duc de Penthièvre, amiral de France. Mais il est plus qu’un hommage au chef supreme de la flotte: il est d’une portée tout autre. Le traité de 1763 avait avantagé l’Angleterre; Choiseul, chargé du ministère, s’appliquait énergiquement à relever la puissance militaire et navale de notre pays, pour reprendre à la grande rivale au moins une partie de ce qu’elle venait de nous arracher. Il “travaillait” l’opinion, suscitait dans la jeunesse un réveil de fierté nationale, ranimait la passion des hommes pour l’honneur des armes et pour l’aventure. Habilement, agréablement présenté, le “Jeu de la Marine”tenait sa modeste partie dans ce concert. Sous sa forme bénigne, c’est un tract. On va voir se répéter le meme phénomène à la chute de l’Empire; nous étions battus, occupés, humiliés: conditions favorables à un redressement militaire quand les pouvoirs publics le désirent. La France de Louis XVIII et surtout de Talleyrand ne se tenait pas pour écrasée. Elle va reforger l’instrument d’une autorité politique. Et c’est, pour l’infatigable Basset, l’occasion de lancer un nouveau “Jeu des Troupe Françaises” dont les quarante-trois vignettes coloriées représentent, non sans gout, les uniformes au prestige invaincu. Il n’a garde, on le remarquera, de faire aucune allusion aux éventualités funestes de la guerre, plus discret en cette occasion qu’il ne l’avait été dans son “Jeu des Fortifications”, semé d’évocations meurtrières, embuscades, explosions de mines, assauts, mort du général. Cette fois tous ses brillants figurants, cavaliers, canonniers, sapeurs, seront dynamiques et surs d’eux-memes. C’est là l’esprit de l’imagerie de propagande, celle que perpétuera Pellerin, d’Epinal, dans son “Jeu du Conscrit”, d’environ 1860. Cette pièce n’est sans doute pas des plus parfaits: ses couleurs sont dures et bouchées, ses silhouettes sans grand esprit. Mais elle est certainement des plus significatives. Elle montre au jeune homme la voie qu’il faut suivre: d’étape en étape, gravissant avec regularité les échelons de la hiérarchie, le conscrit va gagner en Afrique, puis en Crimée, la croix, les galons, les étoiles jusqu’au baton de maréchal de France que recélait sa giberne. Sans doute quelques vilaines taches pourront-elles altérer la sérénité de cette carrière: il y a de mauvais soldats, des déserteurs, qui seront punis, mais ce sont les autres. ll y a, aussi, dans la bataille, des blessés et des morts; mais ce sont les ennemis: quelle expérience de la psychologie! Quelle efficace formation du complexe de supériorité! C’est évidemment un appel de meme espèce que lança Gangel, en 1864, en publiant son intéressante lithographie d’un “Jeu du Chemin de fer”. Certes, le tableau s’en produit comme purement anecdotique: la “rame” telle qu’on la concevait alors, avec sa diligence, le wagon de première classe actuel, et sa locomotive à poumons étroits; la station et ses guichets, l’aménagement de la voie, le “télégraphe électrique” , l’accident meme, figuré par le corps sectionné d’un cheval représentent bien ce dont dépose toute la documentation graphique de l’époque. Mais une raison d’opportunité tout à fait sérieuse explique le soudain intéret qu’on s’efforce de fomenter dans le public en faveur des chemins de fer. Depuis 1832 qu’avait été construite la petite ligne de Paris à Saint-Germain, l’incrédulité des esprits forts, dont était M. Thiers, s’était dissipée. En trente ans, l’immense réseau des grandes voies s’etait achevé; l’on en était aux lignes de rocade, et les compagnies qui les entreprenaient, émettaient coup sur coup les emprunts qui devaient leur en assurer le moyen. Précisément, l’ingénieur en chef Hanry venait d’inventer un systeme de traverses expérimenté sur la ligne de Sarrebruck à Nancy. On en voulait généraliser l’emploi dans l’Est; il y fallait intéresser le public. Gangel s’y emploie: il ne négligera pas de signaler, dans sa notice, la valeur technique de l’invention Hanry. Le “Jeu du Tour du Monde”, publié par Coyen en 1875 ne parait pas avoir, lui, d’autre motivation que le sens de l’actualité. Il était simplement inspiré par la publication du fameux roman de Jules Verne, en 1873. Fertile en accidents, aucun sujet ne se prétait mieux aux complications qui retardent le cheminement des pions jusqu’à la dernière case. Il appartient en somme à la catégorie des jeux de l’oie classiques plutot qu’a celle des dérivations, sous la seule réserve que l’oie fatidique est remplacée par quelque aventure de Philéas Fogg lui-meme. Mais le développement de la vie publique qui s’accomplit alors détermine toute une prolifération de jeux inspirés par elle. La savante iconographie qu’en a dressée René Poirier mérite d’étre méditée. Sans doute, sur un plan traditionnel, inoffensif et quasi technique, nombre de jeux se publieront-ils, qui ne sont “renouvelés des grecs” et des formules antérieures que par le sujet de leurs saynettes. Mais la plupart d’entre eux sont entièrement allégoriques, allusifs ou satiriques. Ce sont naturellement les plus intéressants, étant les plus chargés d’intentions contemporaines. On en relève de toutes sortes. Il n’est jusqu’au prix Goncourt, qu’on s’étonne un peu de trouver mélé à cette affaire, qui n’ait fourni le thème de deux tableaux édités en 1935 et 1949. Mais le prix Goncourt ne serait pas seulement comme nous le croyions bonnement, un hommage d’ainés illustres au talent d’un cadet. Il serait aussi le couronnement de ténébreuses intrigues de librairies rivales, une victoire aux points dans un ring un peu truqué. Du moins les jeux qui l’interpretent font-ils de lui l’occasion d’une humoristique mais assez cruelle étude des moeurs littéraires modernes. La faune politique n’est pas épargnée: depuis les démocraties grecques, on est las d’entendre appeler Aristide le Juste, et l’on sait combien d’Aristides les événements récents ont révélés ! D’ailleurs, l’obscur instinct de meute qui rassemblait au pied de la machine de Samson les foules saoulées du sang aristocrate assure toujours une large audience aux appels à la curée. La fameuse Thérèse Humbert imagine-t-elle cette colossale escroquerie dont la société parisienne fournit les dupes, le “Jeu du Lapin de la Grande Thérése” brocardera, non la coupable, mais les victimes. Celui de la Casserole est une critique acerbe des lois laiques de 1905; celui de l’Escargot, en 1934, celle, non moins apre des momeries, des tergiversations, des lachetés judiciaires de la triste affaire Stavisky. Ces deux derniers jeux ont des auteurs avoués: Fernand Fau pour le premier, Lucien Boucher pour le second. Ce n’est en effet qu’en ces dernières années qu’on a nommé les compositeurs de ces jeux: Madeleine Luka, pour le “Jeu de Paris”, Lucien Métivet, qui fit du Cirque le motif de “Miousic”, Guy Arnoux, illustrateur du “Jeu du Pas de l’Oie”, publié pendant la Grande Guerre; toutefois Allard et Laval avaient signé, dès 1889, le curieux “Grand Jeu de la Tour Eiffel”, à cent et une cases. Pour le “Jeu du Cinéma”, qui date de 1949, il offre la particularité d’etre illustré par la photographie. La polémique est la littérature des périodes troubles. En 1905, l’horizon se chargeait de menaces. L’opinion voulait encore se les cacher; mais, plus alarmée qu’elle ne se l’avouait, elle retrouvait un intéret au “Jeu du Soldat” que publiait Pellerin, d’Epinal. Et la crise éclatait. Pendant l’héroique bataille, on verra paraitre le jeu du “Jusqu’au bout”, celui du “Soldat Français”, d’autres encore, également animés de l’instinct national brusquement réveillé. Puis, à la veille de la dernière guerre mondiale, alors qu’expirait la longue permission de détente qui durait, toujours précaire, depuis 1919, l’esprit défaitiste éclate, profond découragement des hommes devant l’inéluctable retour du meme drame, lassitude de Sisyphe. Le “Jeu des Décrets l’Oie” parait en 1938, celui de la “Francisque” en 1942, celui du “Rutabaga” qui recommandent la résignation. Nous en verrons certainement publier d’autres, inspirés des memes mobiles, et qui tendront également à notre démission. A leur tour, ils enrichiront le musée de M. D’Allemagne; ils y justifieront la passion des collectionneurs et des historiens pour ces feuilles volantes de la vraie chronique, celle qui déforme les faits non par des arrangements postérieurs, mais par des intéréts présents, et de la sorte, par une antinomie paradoxale, crée le vrai en mentant. Guillaume Janneu
		HISTOIRE DES JEUX DE L'OIE (Réné Poirier)
		Le Jeu de l’Oie dans l’Histoire, la Littérature et l’Art Si nous n’avons pu déterminer le qualificatif de “noble” qu’on accole si souvent à notre jeu, nous pouvons dire, cependant, que ce jeu a ses lettres de noblesse dans l’Histoire, la Littérature et l’Art. Nous le voyons cité pour la première fois dans les “Mémoires” d’Héroard, médecin et mentor du futur roi Louis XIII. Héroard nous dit qu’au milieu de ses jeux bruyants, l’enfant royal aime à se reposer en jouant à l’oie (Heroard: Mémoires, T. II. Année 1612), mais il ne donne aucun détail sur ce jeu qui, vraisemblablement, lui est naturel. Bornons-là nos suppositions en nous transportant à la petite cour de Savoie. Les chroniques du temps nous content qu’au début du XVIIe siècle, le duc Thomas de Savoie-Carignan fit exécuter pour son usage personnel et pour celui de ses commensaux un “Laberinto dell’Ariosto giuòco heroico di cavalieri et dame” (Menestrier). Ce jeu s’inspirait d’un vers du “Roland furieux”: “Ils faisaient, en s’asseyant en cercle, un jeu divertissant”. C’était une grande table ronde capable de recevoir douze personnes (six cavaliers et six dames) qui, sans se lever, pouvaient porter la main jusqu’au centre du jeu. On y jouait avec des petites figurines sculptées, que l’on déplaçait au hasard des dés. Celui-ci ne comprenait pas moins de 339 cases retraçant les principaux épisodes du chef-d’oeuvre de l’Arioste. C’étaient des Roger, des Renaud, des Mandricard, avec cette différence qu’ils ne combattaient qu’avec des cornets et des dés, et l’on nous pardonnera de supposer que leurs partenaires, sous les noms d’Angélique et de Marphise, ne les soumettaient pas à des épreuves aussi rudes que celles des fiers cavaliers du Moyen Age tout bardés de fer et d’enchantements. Là, le palais d’Alcine devient le symbole de la vie humaine et le magicien Atlas n’est autre que le monde qui nous déçoit de mille manières; Roger erre dans son palais et Bradamante cherche à le délivrer, ce qui devait probablement arriver à la case 339 et obliger les joueurs à passer une bonne partie de la journée ou de la nuit. Mais, vers la meme époque, à la cour de Louis XIV, si le tableau du jeu se réduit à d’aimables proportions, la qualité est la mesure du roi, et un inventaire de la couronne, dressé en 1673, mentionne la pièce suivante: “Un jeu d’oye peint en miniature à petits personnages vers le milieu duquel est représentée la veue du chasteau de Versailles, du costé de l’Orangerie, doublé de tabis vert”, ce qui nous fait supposer que le jeu devait étre bien précieux. Mais en 1711, dans les tristes années de la fin du règne, tous les jeux cessent à Marly après la mort du Dauphin, fils ainé du roi, et Saint-Simon nous dit que la “dauphine, enfermée dans ses appartements, demanda des consolations au jeu de l’oie” (Memoires de Saint-Simon, t. VIII, p. 440), lequel, évidemment, présente des endroits de méditations insignes. Pourtant, Louis XIV pratiqua ce jeu dans son enfance et son gouverneur, le Comte de Brienne, nous raconte qu’il lui offrit “des jeux de cartes de géographie, de blason et d’histoire, qu'on faisait faire exprès, d’apres les plus habiles géographes et historiographes du royaume”. Bien qu’en pleine faveur au XVIIIe siècle, nous ne voyons point figurer le Jeu de l’Oie dans les chroniques, mémoires du temps ou inventaires royaux. Il nous faut arriver à Napoléon pour apprendre que ce jeu était apprécié du vainqueur d’Austerlitz, comme le poète Arnaud (Arnaud, Antoine-Vincent: Souvenirs d'un sexagénaire) nous le raconte ainsi dans ses “Souvenirs”: “Il s’y donnait avec une ardeur toute méridionale, comptant les cases avec sa marque comme un écolier, se dépitant quand les dés lui étaient contraires, n’entrant au “cabaret” qu’avec humeur, trichant de peur de tomber dans le “puits” ou d’aller en “prison”, affrontant la “mort” avec témérité, révélant tout entier, dans les péripéties de cette lutte puérile, son caractère plein de grands contrastes”. Car l’Empereur ne devait point oublier Brienne où il apprit l’Art de la Guerre ou des Fortifications sur le nouveau jeu inventé par le Père d’Anglade, supérieur de l’Ecole militaire de Tournon. Si nous n’avons trouvé aucun rapport littéraire entre les “Contes de ma Mère l’Oye” et notre noble jeu nous pouvons assurer qu’il a les honneurs de notre plus brillante épistolière lorsque M.me de Sévigné écrit à l’exilée de Grignan: “Il y avait longtemps que vous étiez abimée, j’en étais toute triste, mais le jeu de l’oie vous a renouvelée, comme il l’a été par les Grecs. Je voudrais bien que vous n’eussiez joué qu’à l’oie et que vous n’eussiez point perdu tant d’argent” (Lettre à Madame de Grignan, 9 Mars 1672). Au théatre, notre jeu a bonne apparence et Molière le fait figurer dans l’inventaire que la rouerie d’Harpagon propose à la naiveté de Cléante: “Plus un jeu de trou-madame et un damier, avec un jeu de l’oie renouvelé der grecs, fort propre à passer le temps, lorsqu’on n’a que faire” ( L’Avare, acte II scène II). L’Hector du Joueur, de Regnard, opinait dans ce sens: HECTOR “Tous ces jeux de hasard n’attirent rien de bon. J’aime les jeux galans où l’esprit se déploie (A Géronte) C’est, Monsieur, par exemple, un joli jeu que l’oie” (Le Joueur, acte I, scene VII ). Après les désastres de la Guerre de Sept ans, au moment du Pacte de Famille, Voltaire écrivait ironiquement à un ami: “La Paix!... La Paix! Il n’y aura point de paix, c’est un labyrinthe dont on ne peut se tirer. Ah, pauvres français, réjouissez-vous, car vous n’avez pas le sens d’une oie”. (Lettre au comte d’Argenta1, 14 Septembre 1761). Jean-Jacques Rousseau aimait aussi l’oie, et sans doute échafaudait-il à son endroit de multiples combinaisons pédagogiques lorsqu’au retour de ses promenades solitaires, il s’y adonnait en agitant le cornet ou en comptant les dés. Les aimables soirées de Nohant étaient aussi consacrées quelquefois à ce jeu, nous dit un contemporain (Laur, Francis: “La Bonne Dame de Nohant”, Paris, 1898), et George Sand devait se plaire à évoquer silencieusement les avatars de son existence en poussant sa marque sur le jeu établi par son fils Maurice. C’etait un jeu en biscuit orné dans le style pompéien mis à la mode par la princesse Mathilde, et sur lequel était gravé ce quatrain: “N’entre point qui veut dans le Jardin de l’Oie Nombreux empéchements le molestent bien fort, Qui en prison demeure, qui dans le puits se noie, Heureux qui pret d’entrer, ne trouve point la mort.” Le prince Jérome Napoléon y faisait sa partie et l’enjeu était de 1.000 francs ou de 10 centimes, selon les partenaires, ce qui nous parait beaucoup ou bien peu, car l’argent n’est guère de mise dans ce jeu. Mais il est toujours tentant d’en gagner, car La Belle Hélène, la fameuse opérette de Meilhac et Halévy qui se donnait vers ce temps, nous montre le grand-pretre Calchas escamotant les drachmes ou les oboles mises au tableau d’un jeu de l’oie, évidemment anachronique. On ne parle plus guère du jeu de l’oie de nos jours, cependant le délicieux poète Francis Jammes a écrit quelques jolies phrases à son sujet, lorsqu’il s’adresse au gracieux peintre Madeleine Luka qui lui envoyait un tableau représentant une gardeuse d’oie (Lettre reproduite avec l’aimable autorisation du correspondant). “A la bonne heure!... une vraie oie, une bonne oie, une oie blanche, une oie qui court et qui, dans la campagne d’été qui sent la rivière, permet à sa petite gardeuse de lui jeter lex jeux dessus. Car, vive le jeu de l’oie renouvelé des grecs! Voici le pont que vous franchissez, le puits où vous buvez sans y choir, la prison que vous évitez, voici enfin l’arrivée de Madeleine Luka. Gagné!....” Dans l’art pictural, nous ne connaissons vraiment que le fameux tableau de Chardin: “Le Jeu de l’Oye”, exposé au Salon de 1745, et qui faisait le pendant au “Tour de Cartes” bien connu. Ce tableau fut acheté par le Chevalier Despuechs en 1745, puis fit partie du cabinet de M. Marye de Merval à partir de 1780. Depuis, nous ne savons ce qu’il est devenu, car il ne parait plus guère figurer dans aucun musée ni collection particulière. Mais il nous reste de ce tableau une fine et délicieuse gravure de P. L. Surugue le fils (reproduite au début de ce volume) et soulignée d’un quatrain de Danchet bien dans le gout de l’époque: “Avant que la Carrière à ce jeu soit finie, Que de risques à craindre et d’ecueils à franchir. Enfants, vous ne pouvez trop tot y réfléchir, C’est une image de la vie.” Cependant il reste deux répliques du tableau de Chardin. L’une fut trouvée après la mort du peintre et figure à sa vente après décés; elle est légérement plus grande (hauteur 32, largeur 38 cm) et est dénommée: “Des enfants jouent au Jeu de l’Oye”. Elle fut adjugée 35 livres en 1780, puis 40 livres deux ans plus tard dans une vente publique à Toulouse. L’autre réplique appartient a la collection Strauss à Paris et mesure 33x41 cm (Wildenstein, Georges: Chardin. Paris, 1933 ). Il existe aussi une variante de l’oeuvre de Chardin au musée de Chartres, mais qui comprend cinq personnages. M. Gobillot, l’aimable conservateur de ce musée, nous fait part de ses doutes quant à l’authenticité du tableau qui parait plutot une composition influencée. Nous l’admettons bien volontiers. Physiologie de l’Oie et Physionomie du Jeu de l’Oie Nous avons longtemps cherché quels rapports existaient entre cet épais volatile et le jeu gracieux auquel il a donné son nom. Sa démarche claudicante, sa voracité qui l’a fait qualifier par les Anciens de “cochon de la basse-cour”, encore que le canard puisse lui contester ce titre, ne semblent offrir qu’un rapport lointain avec ce jeu aimable qui fit les délices des veillées d’antan. L’oie ne figure point dans le bestiaire mythologique à l’instar de ses nobles congénères, le paon ou le cygne. Cependant les Romains l’offraient en sacrifice à Junon et c’est pour ce rite qu’ils en élevaient des troupeaux à l’intérieur du Capitole, mais non pour le garder, comme on a accoutumé de le croire, cette surveillance étant dévolue à des chiens spécialement dressés. On sait comment l’intrusion de nos vaillants ancétres dans cette basse-cour tonitruante échoua et nous valut, plus tard, la conquéte des Gaules par César et les conséquences que l’on sait. L’oie était, parait-il, vénérée par les Egyptiens; elle était l’embleme de la piété filiale et le symbole du dévouement maternel, mais ne sont-ce pas là des traits communs à bien des animaux? Les Grecs l’ont connue, comme en témoignent de nombreux documents, et l’on peut dire en définitive, que l’oie est un animal domestique qui n’offre guère de particularités ésotériques ou fabuleuses à l’instar du phénix, de l’aigle ou de la harpie, pour ne citer que des oiseaux. Plus prosaiquement, l’oie jouit d’une renommée gastronomique incontestable et l’hypertrophic de son foie, qu’on lui inflige artificiellement au surplus, n’est pas le moindre plaisir qu’elle offre à notre gourmandise. D’ailleurs, c’était une coutume fort ancienne dans toutes les classes de la société de manger de l’oie aux grandes fétes et à l’occasion de certaines cérémonies. L’oie avait meme ses rotisseurs spécialisés, et la rue aux Ours à Paris n’est que la corruption de la rue aux Oues où se tenaient ces aimables maitres-queux. Certains auteurs émettent meme l’hypothèse que c’est à cause de ces qualités que l’oie a été prise comme enjeu, ou tout au moins pour l’objet de la cagnotte recueillie au cours des multiples parties de ce jeu, et qu’elle lui a donné son nom pour cette raison. D’ailleurs, nombreux sont les tableaux où notre palmipede s’offre tout roti aux joueurs à la derniere case (voir pl.1). L’oie avait aussi, hélas! le triste privilège de servir à un jeu cruel, encore en usage au siècle dernier, lorsque suspendue à une corde, on la tirait à l’arbalète ou lorsqu’on la pourchassait à coup de baton à travers champs et rivieres. Compagne de notre sommeil, sous la forme de duvet, ses plumes finement préparées et affinées ont été longtemps l’ornement de la coiffure féminine et l’apanage des bicornes guerriers. Quant à ses grandes rémiges, elles furent pendant des siècles les fidèles auxiliaires des écrivains et des artistes, et nous lui devons d’immortels chefs-d’oeuvre du dessin et de l’esprit, jusqu’à ce que le fer, l’or ou la bille d’acier viennent la remplacer sans la faire oublier. Quels plus beaux titres de gloire pouvait-on demander à cet oiseau si, sous son nom, il n’avait patronné l’un des jeux les plus anciens du monde par sa simplicité et son amabilité. En effet, ni calculs, ni roueries à ce jeu: le sort commande. On jette les dés, l’oie chemine, s’arréte, avance, recule, inexorablement, cherchant à atteindre la fameuse case 63, son jardin. Si bien qu’on peut dire, o paradoxe, que le jeu de l’oie est un jeu de hasard tempéré par une fatalité à regles fixes. “Malgré la simplicité de ses combinaisons, nous apprend le Magasin Pittoresque, le jeu de l’oie en effet, plus de distraction et de retours que beaucoup d’autres. Il est égayé par les images grossières, mais reconnaissables, qui le composent. Il prete à une série continuelle de jeux de mots, de surprises, d’espérances remplies ou trompées; il a l’avantage de procéder du hasard et d’égaliser, par conséquent, la force des joueurs. Il donne une leçon aux ambitieux, en leur montrant que celui qui va trop loin peut se trouver forcé de revenir sur ses pas; il devient enfin l’occasion de mille enseignements familiers”. Qui pourrait alors se facher, crier, ergoter à ce jeu qui ne peut préter à la moindre discussion ou immoralité, raisons supérieures qui l’ont fait admettre dans les familles, collèges ou couvents. Et voilà pourquoi ce jeu qui fut d’abord de grand plaisir et récréation, devint peu à peu et sous de multiples influences, jeu pédagogique dans les écoles, jeu de méditation dans les maisons religieuses puis, vers le début du XVIIIe siècle, moyen de propagande à des fins politiques, religieuses et commerciales. (Ce n’est pas sans une certaine émotion que nous avons découvert à la bibliotheque de l’Association Valentin Hauy, un jeu de l’oie à l’usage des jeunes aveugles. Ce jeu, au format 40x50 cm environ fut établi vers 1910 par M. Hirschauer, professeur aveugle d’Angers. De forme traditionnelle, les cases sont numérotées en Braille et les accidents marqués en relief. Ce jeu est également imprimé en caractéres normaux pour que les voyants y puissent jouer avec les aveugles. Certaines difficultés, surtout d’ordre financier, empéchérent la diffusion de ce jeu qui n’a été tiré qu’à quelques esemplaires, vendus 5 francs à l’époque par l’Association.) Aussi quelle diversité dans sa forme et sa présentation. On l’a mis à toutes les sauces et plié à toutes les fantaisies. Quel jeu y résisterait ? Et bien, malgré tout, il est resté humble d’apparence et demeure populaire. Il n’est pas de mois sans que la publicité ou les journaux nous offrent un nouveau jeu sur lequel les véritables amateurs, secte assez discrète, se penchent avec joie et curiosité. Aussi présente-t-il un véritable intéret pour l’étude de l’histoire, des moeurs et coutumes, des sciences et de l’industrie, qu’il s’agisse des extravagantes coiffures de l’époque Louis XVI, des aérostats ou automobiles, des révolutions ou régimes politiques, il n’est rien qu’il ne nous fasse ignorer. Débonnaire, satirique, astucieux, naif, grandiloquent, censeur ou meme simplement stupide, disant un jour: “Vive le roi”, puis: “Vive l’Empereur”, ou: “A bas la République”, vantant les bienfaits du vin, pour en accuser les méfaits le lendemain, il est l’image meme de la variété et de la versatilité humaines. C’est pourquoi ce jeu “mouvant”, qui se rattache étroitement à l’imagerie populaire, méritait son histoire à l’instar des échecs, des cartes à jouer ou des vues d’optique. L’Antiquité supposée et vraie du Jeu de l’Oie Il est un préjugé dont il faut absolument se débarrasser dès qu’on veut aborder l’origine du Jeu de l’Oie: c’est la haute antiquité à laquelle on veut le faire remonter. Nous démontrerons qu’il ne date guère que de la fin du XVIe siècle et que le renouvelé dex Grecs n’est que la réminiscence d’un hellénisme du milieu du siècle, mais dejà passé de mode à cette époque. L’origine du Jeu de l’Oie est certes une énigme historique, les ouvrages les plus récents effleurent à peine le sujet; Grand-Carteret, Claretie, Dillaye, Parmentier et autres, se gardent bien d’en discourir et renvoient le lecteur à d’improbables références qui s’accordent toutes à montrer: de Conrart, le silence prudent. Aussi devant de telles “omissions”, nos recherches ont-elles duré longtemps, et nous prions le lecteur de croire que nous n’avons rien négligé pour approfondir le mystère de cette naissance, puisque mystère il y a. Cette lacune avait été observée par M. Henry D’Allemagne, et son considérable ouvrage sur les jeux (Récréations et passe-temps. Paris, Hachette, 1906) lui parut toujours si incomplet sur ce sujet que trente ans après, il se remettait à colliger les importantes notices du présent ouvrage. Il voulut bien nous en faire part et mettre sa magnifique documentation à notre disposition. Si nous avons compulsé à peu près tous les nombreux ouvrages tant francais qu’étrangers sur les jeux anciens et modernes, nous n’avons pas manqué de consulter oralement ou par écrit, d’éminents archéologues, folkloristes, conservateurs de bibliothèques et de musées, qui de nos jours se sont intéressés à cette question (Nous remercions vivement ici: Mrs Bing, Conservateur du Warburg Institute de Londres, et le Pr Frankfort de l’Université de Londres, MM. Arnold Van Gennep, directeur de la Revue des Traditions populaires et Roger Lecotté, secrétaire de la Fédération Folklorique de l’Ile-de-France qui nous ont donné oralement ou communiqué de précieux renseignements). Certes, les Grecs ont imaginé beaucoup de jeux, et nous savons que le mot qualifie encore de nos jours les joueurs qui “aident le hazard”. Ne soyons pas méchants! Hérodote raconte que les Lydiens inventèrent le jeu de dés que Sophocle attribue à Palamède, qui par ailleurs -dit-on - inventa le jeu des échecs alors que Platon fait de ce jeu le régal des dieux d’Egypte. Mais disons tout de suite que le jeu de dés n’est qu’un perfectionnement du jeu des osselets (l’ancien jeu de l’abacus chez les Grecs ou des astragales chez les Romains), mais qui devait étre pratiqué par les enfants memes des hommes de Cro-Magnon! Quoi qu’il en soit, le jeu de dés fut très en honneur dans l’antiquité gréco-latine et nous savons qu’aux pieds du Christ mourant, les soldats de Ponce Pilate se partagèrent la “Tunique sans couture”. Ils donnaient à chaque combinaison heureuse ou malheureuse un nom emprunté le plus souvent à la Mythologie ou à l’Histoire; c’est ainsi qu’ils faisaient le coup de Venus, d’Aphrodite ou de Jupiter, le coup du Chien ou du Vautour, images qui peuvent preter à quelque analogie avec les accidents de notre Jeu de l’Oie. On a dit aussi que ce jeu fut inventé par les soldats grecs pour se délasser des fatigues toutes relatives du siège de Troie, et que c’est à la configuration des murs de cette ville que nous devons la forme circulaire du tableau du jeu de l’oie. Des recherches récentes dans les tombeaux egyptiens ont fait découvrir un “Jeu du Serpent” qui pourrait avoir quelque rapport avec le notre. C’est une tablette rectangulaire, sur laquelle est gravé un serpent dont la tete figure au centre. On y jouait avec des lions et des lionnes sculptés, ainsi qu’avec des boules blanches et noires, mais certainement pas avec des dés car, quoiqu’en dise Platon, les Egyptiens ne connaissaient point les dés ou du moins il n’en fut trouvé aucun vestige jusqu’ici. Ce jeu est analogue à un jeu fort ancien pratiqué en Chine et longuement décrit dans Hyde. Intitulé “Jeu de la Promotion ou du Mandarin”, il se compose de 89 cases rectangulaires placées en spirale, et dont le centre figure le Palais de l’Empereur. Dans chaque case, sont décrites les promotions (et Dieu sait si les Chinois aiment la complication!) auxquelles doivent accéder successivement: Officiers, Medecins, Philosophes et Mandarins. Les partenaires jouaient chacun à leur tour avec des tessères placées dans un vase, en déplaçant de petites figurines le long du tableau. Mais ces deux jeux ci-dessus, s’ils ont quelque analogie avec le jeu des échecs, prefigurent tout au moins le Jeu de l’Oie, par leur forme, auquel il ne manquerait que les dés, remplacés par ces figurines dont le hasard du maniement nous reste inconnu. Rich, ni Becq de Fouquières ne citent de jeux qui, meme de loin, pourraient se rapprocher du Jeu de l’Oie, tout au plus parlent-ils du jeu des “latroncules”, ancetre du jeu de Trictrac, lui-meme père du jeu de Jacquet. Le Musée du Collegio Romano conserve encore une petite tablette de marbre, sur laquelle on jouait avec des dés et qui porte gravée une étoile à six branches avec l’inscription: “Retirez-vous si vous étes battu, vous ne savez-pas le jeu; cédez la place à qui le sait”. Quoi qu’il en soit, le jeu de dés fut probablement rapporté en France par les Croisés au XIIIe siècle et Joinville raconte qu’un jour “saint Louis se leva du lit où le retenait la maladie et jeta à la mer les dés, les tables et une partie de l’argent qui servait d’enjeu”. Aussi, de retour en France, prohiba-t-il les dés; défense qui n’eut aucun effet, puisque les déciers, fabricants de dés, avaient dejà leurs statuts dans le “Livre des Metiers” qu’Etienne Boileau présenta lui-meme au Saint Roi. Inspirés du célèbre Labyrinthe de Cnossos de l’Ile de Crète, les architectes des cathedrales du Moyen Age avaient souvent placé ces figures compliquées sur les dallages des nefs, et que nous voyons encore dans les cathédrales de Chartres ou d’Amiens. Ce n’est pas ici le lieu de dire si ces mosaiques labyrinthiques furent établies à l’image du Temple de Jérusalem, comme le soutiennent les Francs-Maçons, ou s’ils sont la “figure moralisée” de la Voie Douloureuse du Christ; mais ces constructions ne sont pas particulières aux monuments religieux, puisque dès le XVe siècle, les jardiniers et architectes-paysagistes s’en étaient inspirés aussi bien dans le parc du roi René à Baugé que dans celui de Louis XIV à Versailles. Aussi connaissons-nous cette application du Labyrinthe à un jeu de tableau connu des le XVe siècle, sous le nom de “Jeu de Dédale” ou “du Dédalus”, comme nous le lisons dans Gay qui nous dit que c’est un jeu “dont la marche présente avec le jeu de l’oie beaucoup d’analogie”. Nous le supposons bien volontiers avec cet auteur, qui cite dans un compte daté de 1491: “A Jacques Basnier, la somme de 262 10 s pour les choses ci-après... La maison de Dédalus, aux quatre bouz de laquelle y en a chascun une tour... au milieu une haye où est Mynesthaurus (le Minotaure) et huit personnages qui jouent avec Dédalus, 6 dez, et 13 tumbreaux marquez à 12 carrez chascun”. En effet, ce jeu où ces personnages qui se déplacent avec des dés pourrait bien préfigurer le Jeu de l’Oie, mais si nous avons quelques précisions sur les “tumbreaux”, nous n’en savons aucune sur le jeu du Dédalus, et nous ne connaissons au Musée de Cluny aucun jeu ayant cette apparence, sinon un “merellier” ou jeu de marelle. Or, ce jeu de marelle à main n’est que la transposition sur table du jeu de marelle à pied, qui offre de grands points de comparaison avec le Jeu de l’Oie. Nous en rappelons brièvement la construction et les regles: “C’est un tableau de forme rectangulaire ou souvent en spirale, tracé à meme le sol à cases bénéfiques ou maléfiques (le Paradis, l’Enfer, le Reposoir, la Lune) et qui figure un circuit que l’on doit parcourir à cloche-pied en poussant un palet qui ne doit point s’arréter sur les lignes de separation des cases, qui représentent assez bien les accidents du Jeu de l’Oie, l’adresse du joueur remplacant ici le hasard des dés. L’un de nos correspondants, Mme Marty (M.me MARTY, attaché à la British University de Hong-Kong, Chine) nous dit que les enfants chinois jouent depuis des temps immémoriaux à une sorte de “Jeu du Dragon”, à peu près semblable à notre jeu de marelle. Elle nous dit que ces enfants savent très bien retracer la forme de ce jeu sur un papier, et qu’ils y jouent avec des dés assez analogues aux notres, mais a douze faces comportant non des points, mais des figures qui correspondent à celles du jeu. Les renseignements complémentaires que nous lui avons demandés ne nous sont pas parvenus. Il est vrai qu’à l’exemple de Byzance, on a en ce moment à Hong-Kong d’autres préoccupations que “celles du sexe des anges!” De nos jours, nous dit Arnold Van Gennep, les écoliers jouent encore dans le Midi de la France à un jeu de billes appelé par eux: “Jeu du Serpent”. Ils font rouler, en les choquant du pouce et de l’index, une bille d’agate le long d’une petite rigole, creusée en spirale à meme le sol. Le gagnant est celui qui, après avoir éliminé les billes de ses partenaires en les choquant, arrive à la fin du tracé, l’enjeu étant les billes elles-memes. Mais tels que, ces jeux de marelle aux cases ou de serpent, peuvent fort bien “remonter aux Grecs”. Un fait à retenir enfin, c’est que de très nombreux jeux portent un nom d’animal: “Jeux de la Truie, de la Guepe, de la Chèvre”, et l’on a fort bien pu, antan, nommer Jeu de l’Oie la marelle au pied, parce qu’on la joue en sautant sur un pied et en se déhanchant comme font les oies (il est à noter que le “Jeu du Serpent”, désigne couramment en Angleterre et aux Pays-Bas, notre propre jeu del’oie, mais probablement en raison de sa forme spirale et par analogie à cet animal lové sur lui-méme). De là à supposer que notre jeu de l’oie n’est que l’adaptation sur tableau de la marelle à pied, il n’y a - si nous osons dire - qu’un pas à franchir. Mais quand, où, et par qui fut-il fait? Il faudrait le demander à l’inventeur de la roue, ou à celui qui imagina les étriers pour se mieux tenir à cheval. Mais si nous ignorons ces hommes géniaux, nous pouvons determiner par l’archéologie et l’histoire, les dates qui en fixent l’emploi, de leurs creations à nos jours C’est cette méthode que nous appliquerons à notre Jeu de l’Oie. Nous ne connaissons aucune représentation ni de scènes à son propos, dans les miniatures des manuscrits, à l’instar des jeux d’échecs, de dames ou de trictrac, si souvent figurés. Les traités des Jeux, aussi bien que ceux de l’époque incunable que ceux du XVIe siècle sont muets à ce sujet, alors qu’ils parlent d’abondance de toutes sortes de jeux de sociétés ou de tableaux. Rabelais l’ignore parmi les deux cents et quelques divertissements du jeune Gargantua, qui joue cependant à la marelle. Le premier ouvrage sur les jeux mentionnant le Jeu de l’Oie est celui de De la Marinière paru en 1654. Il comprend un important chapitre dont l’intitulé fait penser que le jeu est nouveau pour l’époque: Le “Jeu de l’Oye comme il se joue à présent”. Sans refaire l’histoire de l’Imagerie Populaire en France, nous savons que les premières xylographies (Le Bois Protat, le plus ancien bois connu, date de 1390) ne remontent pas au delà du XIVe siecle, sont toutes d’inspiration religieuse, et que les premières images profanes n’apparaissent guère que tout à fait à la fin du XVIe siècle. Le premier catalogue d’imagerie connu est en effet, celui de Michel-Ange Vaccari (de Rome), paru en 1614 et qui mentionne pour la première fois un “Jeu de l’Oie” et un “Jeu de la Chouette” (Ce catalogue est conservé à la Bibliothéque de Mantoue. Cité d'apres A. Bertarelli).Or, le tableau de l’oie est l’instrument essentiel du jeu, les dés n’étant qu’accessoires connus de tous temps comme nous l’avons dit. Aussi, dès l’invention de l’imprimerie et la diffusion des images populaires, le Jeu de l’Oie “nouvellement inventé” devenait-il le moins couteux des jeux de table, puisque les cartes à jouer avec leurs nombreuses couleurs et leur façonnage étaient déjà d’un prix dispendieux. Aussi pouvons-nous affirmer que le Jeu de l’Oie sous sa forme graphique généralement connue ne peut remonter au delà de la création de Gutenberg. Psychologiquement, voici d’autres arguments qui sembleraient étayer notre these. Transformer un jeu de plein air en jeu d’intérieur offre de nombreux exemples: tennis et croquet de table pour ne citer que ceux-ci. Transporter sur table à la portée de tous, un jeu qui n’offre ni réflexion ni calcul, et auquel on peut associer des partenaires de tout age, ne sachant meme lire, ni meme compter puisqu’il suffit de lire les points des dés un à un, en suivant les cases du jeu, en faisait la panacée des divertissements. Y prendre un plaisir sans restriction à une époque où l’Etat et l’Eglise surveillaient de près les jeux de hasard (cartes et dés), outre les moyens de propagande qu’il pouvait offrir, faisaient du Jeu de l’Oie un divertissement de tout repos à l’égard des moeurs et de la tranquillité publique. Enfin, son prix peu élevé, la facilité avec laquelle on pouvait le remplacer et meme en modifier la règle et la forme, pouvaient faire espérer que le Jeu de l’Oie allait avoir un immense succès à une époque où l’Imagerie Populaire connaissait la réussite que l’on sait. Ces arguments historiques, psychologiques ou archéologiques, s’ils démontrent que les jeux de l’Antiquité ou du Moyen Age n’approchent que de très loin le Jeu de l’Oie, ne prouvent aucunement l’existence de celui-ci au delà de ceux qui sont venus à notre connaissance, c’est-à-dire fin XVIe ou début XVIIe siécle (Le jeu cité par Héroard est antérieur à 1612, et les jeux édités par Vaccari à 1614). Il faut donc admettre une bonne fois, contre toute tradition, que notre jeu est d’invention relativement moderne, et que le fameux renouvelé des Grecs qu’on lui a toujours accolé, n’est qu’un argument sans valeur sinon plaisant, ou encore une astuce commerciale tendant à donner a un jeu effectivement nouveau, une parenté supposée bien dans le gout des “classiques” et dont Palamède et le siège de Troie sont certainement innocents! La Règle et la forme classiques La règle et la forme du Jeu de l’Oie Classique n’ont guère évolués depuis sa création, Ce jeu se compose, on le sait, d’un tableau de dimensions fort variables, de deux dés et accessoirement d’un cornet ainsi que de plusieurs jetons ou marques, qui sont quelquefois de petites oies sculptées ou moulées. Le tableau se divise en 63 cases alignées en spirale comme un long ruban où les oies furent d’abord disposées de 9 en 9 cases, puis de 5 en 4, les accidents étant au nombre de huit, et la case 63 représentant le Jardin de l’Oie. Les autres cases sont muettes (c’est le cas de la plupart des jeux du XVIIe siécle) ou figurées par des animaux, plantes, objets inspirés de l’actualité, n’ayant pour la plupart aucun rapport avec le jeu. On s’est demandé pourquoi on avait ainsi dédoublé le nombre des oies en les posant de 5 en 5 et de 4 en 4, alternativement. Le P. Ménestrier en donne une explication quelque peu embrouillée qu’il étaye d’une fumeuse mathématique, mais nous croyons que c’était plutot pour rompre la monotonie des cases muettes. La règle figure traditionnellement au centre et quelquefois dans les coins, ou bien elle est imprimée au verso du jeu et meme quelquefois à part comme c’est souvent le cas dans les jeux publiés par les journaux ou revues. Le “Jardin de l’Oie” est un lac, ou un étang, ou évolue notre gracieux palmipède, à moins que celui-ci ne soit parfois posé sur un socle ou un coussin, et couronné de fleurs. Les coins sont ordinairement ornés de petits tableaux, de fleurs ou d’entrelacs, ou encore soulignés de vers ou de maximes. Les accidents sont Le Pont, au n° 6 souvent répété au n° 12, l’Hotellerie ou l’Auberge, au n° 19, les Deux dés (par 6 et 3) au n° 26, répétés au 53 (il est bien évident que le joueur chanceux qui fait neuf au début de la partie gagnerait automatiquement la partie en redoublant ses points; aussi la règle du jeu l’arréte-t-elle sagement à ces deux endroits), le Puits, au n° 31, le Labyrinthe au 42, la Prison au n° 52, la Mort au n° 58. Nous ne donnerons pas la règle du jeu qui est dans toutes les mémoires, mais ajoutons cependant que la première case représente généralement une porte, un portique, une entrée de chateau, un arc de triomphe, etc. Cependant la question nous a été souvent posée. Pourquoi ce nombre fatidique et consacré de soixante-trois cases? C’est que le Jeu de l’Oie est un peu l’image de la vie humaine, dont la porte liminaire est l’allégorie et dont les “accidents” figurent les péripéties, sinon les vicissitudes. Or, il était une croyance fort répandue dans l’Antiquité aussi bien qu’au Moyen Age, c’est que la métamorphose de l’individu avait lieu tous les sept ans, et l’on avait arbitrairement divisé la vie par tranches septénaires dont l’année finale se nommait climatérique. Si l’age de sept ans était celui de la Sagesse, celui de quatorze était celui de l’Adolescence, celui de vingt et un, celui de la Jeunesse, ainsi de sept en sept ans comme nous l’avons vu figurer dans les nombreux “Degrés des Ages” contemporains des Jeux de l’Oie. “A 63, c’est l’année critique et climatique, dit le P. Ménestrier, laquelle, quand on peut passer, il semble que l’on n’ait plus rien à craindre, etc, que l’on peut atteindre une douce vieillesse, jusqu’à la décrépitude”. Aussi nos ancetres s’inquiétaient-ils particulièrement d’enjamber la septième et dernière année d’un age qui pouvait leur laisser quelque regret ou leur donner des espoirs. Ainsi croyaient-ils franchir sans trop d’appréhension les huit premiers cycles. Mais la neuvième climatérique, c’est-à-dire la soixante-troisième année, dite la “grande climatérique” était particulièrement redoutée, et ce produit de 7 par 9 qui, comme on le sait, sont des nombres cabalistiques, entrainait pas mal de superstitions dont on n’est pas encore débarrassé de nos jours (l’Empereur Auguste craignait particuliéremeut cette Grande Climatérique et l’un de ses historiens (Aulu-Gelle) nous raconte qu’il envoya des lettres à ses amis pour se féliciter d'étre entré dans sa soixante-quatrième année. On sait qu’il en vécut soixante-dix-sept!). Cette explication des années climatériques si ingénieuse que nous la croyons, n’est toutefois qu’une hypothèse, mais on sait combien est grand le nombre des jeux anciens qui semblent s’inspirer d’un certain ésotérisme, parfois bien difficile à expliquer. Quant aux accidents au nombre de sept, (si nous ne comptons les deux cases de dés que pour une figure), ils représentent encore le nombre 7 magique et sont maléfiques, alors que les sept oies ou leurs doubles figurent les chiffres bénéfiques, puisqu’elles font redoubler les points. Ces accidents, qui n’ont aucun rapport entre eux, ni avec aucun autre jeu connu, ne sont que des symboles très simples de quelques-uns de la vie, et dont le plus grave est évidemment le dernier. Toutefois le Labyrinthe pourrait rappeler l’ancien “Jeu du Dédalus”. On pourrait évidemment épiloguer longtemps sur ces chiffres et leurs symboles, mais nous nous contenterons de ces raisonnables suppositions pour rester dans la tradition d’un jeu qui s’offre avant tout “plaisant et récréatif” et non point abscons et mystérieux. Outre les dés, on pouvait aussi jouer à l’oie avec un toton à douze facettes, tel celui que nous voyons dans le célèbre tableau de Chardin, ou avec un dé à douze facettes, dit aussi tumbreau (au Moyen Age), dodécaèdre, cochonnet ou pirouette (aux XVIIe et XVIIIe siècles). Ces derniers accessoires sont simultanément en usage, meme jusqu’à nos jours, et seront plutot utilisés pour les jeux moraux et religieux employés dans les collèges et les couvents puisque les dés y étaient interdits. Certains Jeux de l’Oie étaient vendus collés sur toile de maniere à étre repliés dans d’élégantes pochettes de carton ou de cuir permettant de les transporter aisément avec soi lorsqu’on allait faire sa partie dans les veillées. Comme nous l’avons vu on en fera des représentations peintes ou gravées mais évidemment à l’usage d’amateurs riches et somptueux. De nos jours on a imprimé des jeux sur tissu soit pochettes pour le veston ou foulards enserrant la téte qui ne sont naturellement que de simples prétextes décoratifs, mais démontrent l’indéniable vitalité du Jeu de l’Oie. Variations sur la Règle et sur la forme Jeu “mouvant” à l’instar de tous jeux et d’ailleurs de toute imagerie, celui de l’oie devait connaitre de par son propre succès les modifications et innovations plus ou moins ingénieuses que la mode apporte en toutes circonstances. Le hasard qu’on lui proposait par le truchement des dés, cette spirale inscrite sempiternellement à l’intérieur d’un rectangle et tracée à peu près selon les foyers d’une ellipse, allaient éveiller l’imagination de nombreux inventeurs. Aussi ceux-ci lui imposèrent-ils des variations de règle et de forme dont il est extrémement amusant de constater l’habilité et qui n’ont que le mérite d’une érudition laborieuse. C’est ainsi qu’on adapta au Jeu de l’Oie les “cartes à jouer”, les “dominos” et le “loto”, ce dernier devant lui-meme succéder à notre jeu avec une vogue inimaginable dès la fin du XVIIIe siècle. VARIATIONS SUR LA REGLE Les Jeux avec cartes à jouer sont de forme rectangulaire, comprenant 52 cases correspondantes aux 52 cartes d’un jeu et placées selon la formule spirale. (Voir “Carte méthodique pour apprendre le Blason” (pl. 30), ou “Jeu de la Guerre” (1697)). On y joue avec des dés comme au Jeu de l’Oie, ou bien avec un jeu de 52 cartes, et qui donne à gagner ou à perdre un enjeu, lorsque chacun des joueurs tire une carte au hasard du paquet. Dans les “Jeux avec Boules de Loto” (Voir “Jeu de la Pagode”), chacune des six pistes est coloriée et l’on joue comme au jeu de Loto, le gagnant étant celui qui couvre entièrement les cases numérotées de sa piste. Sur le “Jeu de Paris en Miniature” (pl. 24), on peut jouer aussi avec des boules de loto que chaque partenaire tire à son tour, chacun des numéros de celles-ci correspondant à une case amenant un gain ou une perte, mais le n° 90 sorti en cours de jeu rafle tous les enjeux du tableau. Variations sur la forme En dehors de la forme elliptique traditionnelle, on peut classer à peu près les tableaux “à l’oie” sous ces trois variantes essentielles: - Les Jeux Composés ou à Suites: voir “Nouveau Jeu d’Histoire Universelle” (1745). La spirale est divisée en deux séries de numéros, les deux parties se jouant à la suite; ou bien encore, voir “Tableau chronologique de l’Histoire Universelle” (1715), il y a un autre jeu à l’intérieur que l’on continue après avoir terminé celui de la grande spirale. - Les Jeux Figuratifs: voir “Le Vrai Jeu de l’Oie” (Moronval, 1900), “Jeu de la Tour Eiffel”. Les cases sont figurées sur l’objet lui-meme au moyen de petits cercles de couleurs marqués d’un numéro que l’on doit parcourir comme au Jeu de l’Oie avec les accidents expliqués. Ou bien encore, il y a deux pistes marquées de cercles rouges ou bleus (“Jeu de la Forteresse”, v. 1880) et sur lesquelles avancent les partenaires, le gagnant étant celui qui arrive le premier au n° 63, commun aux deux pistes. - Les Jeux Mi-Partis (voir “Jeu de l’Oie parlementaire”). Le jeu est en forme d’éventail divisé en deux parties, “Jeu de la Droite et Jeu de la Gauche” sur lesquels on peut jouer alternativement ou indifféremment, a moins qu’on ne fasse la compétition en meme temps par deux groupes de joueurs. Le “Jeu de la Redoute” est un jeu figuratif et mi-parti dont nous donnons à sa place l’essentiel de la règle. Mais toutes ces règles et formes sont tres variables et bien souvent encore particulières à chaque jeu. Les Jeux Assimilés et Dérivés Certains jeux de table s’apparentent nettement au Jeu de l’Oie et ont fourni eux-memes de nombreuses variantes sous leur titre générique. Nous les y avons incorporés, comme jeu avec dés sur un tableau à figures. Si les Jeux assimilés ont en réalité des règles très voisines de celles du noble jeu, celles des Jeux dérivés s’en éloignent sensiblement comme on le verra. Néanmoins, et malgré des observations qui nous ont été faites, nous n’avons pas cru devoir les éloigner de nos descriptions et nomenclatures en raison de leur caractère pictural et graphique de memes inspiration et origine imagière que les Jeux de l’Oie. Les Jeux Assimilés Le “Jeu des Singes”, formés de 63 médaillons circulaires assemblés eux-memes selon une spirale circulaire avec une scène de singes au milieu n’est, en réalité qu’un jeu de l’oie avec les memes accidents, les singes placés au lieu des oies aux endroits habituels. Il en parut de nombreux spécimens et variantes vers 1850 dans l’imagerie lorraine qui semble en avoir le monopole ainsi que l’imagerie alsacienne et allemande. Le “Jeu du Steeple-chase” (voir pl. 48) ou encore les Jeux de Voyage, de Course ou de Chasse out sensiblement la meme configuration circulaire ou ellipsoide; ils représentent invariablement un hippodrome à plusieurs pistes comportant numéros et vignettes figurant des accidents (haies, fossés et autres obstacles à franchir). Chaque joueur occupe une piste, et le premier arrivé au poteau ou au but est le gagnant. Nous en connaissons des quantités au Cabinet des Estampes depuis 1860-1865, dates de leur apparition et de la vogue des courses en France. Les Jeux Derivés Le “Jeu de la Chouette” (voir pl. 4), est aussi ancien que le Jeu de l’Oie. C’est plutot un jeu de loterie où l’on met ou retire un enjeu selon la valeur faciale de trois dés indiquée dans chaque case; celui qui amène 3 fois 6 ramassant tous les enjeux. Ce jeu, qui fut aussi populaire que le Jeu de l’Oie aux XVIIe et XVIIIe siècles, disparait complèternent dès le début du XIXe siècle. Il se peut qu’il ait été alors interdit en raison de son caractère speculative, puisqu’on pouvait remplacer les jetons par un enjeu d’argent. Le “Jeu des Juifs” est le prototype de nombreux jeux des XVIIIe et XIXe siècles (voir “Jeu du Cheval Pégase”, des “Héros de l’Empire Français” (pl. 32), des “Aérostats” (pl. 41) ). C’est plutot un jeu de loterie à onze cases alignées sur un rond, ovale ou un rectangle. On met sur chaque numéro un enjeu correspondant à la valeur faciale de deux dés, et celui qui amene 12 ramasse tous les enjeux. Nous ignorons l’origine et la raison de l’intitulé de ce jeu. ESSAI ANALYTIQUE SUR LES JEUX DE L’OlE DES ORIGINES CONNUES A NOS JOURS Véritable Protée, le Jeu de l’Oie a revetu, comme nous l’avons dit, et dès son origine, toutes les formes possibles du divertissement, de l’enseignement et de la propagande. Nous en analyserons succinctement chaque forme, en indiquant les plus intéressantes et les plus caractéristiques cependant que, par ailleurs, chacune des planches présentées dans cet ouvrage fait l’objet d’une notice détaillée qui fait suite à la présente étude générale. Nous avons complété cet essai analytique d’une importante iconographie, comportant la description de plus de 450 Jeux de l’Oie venus à notre connaissance et que nous croyons la plus complète, parue jusqu’à ce jour. Toutefois, il n’est pas inutile de dire que certains titres de ces Jeux de l’Oie semblent s’inspirer des jeux de sociétés venus de l’Italie mis à la mode vers 1550 et qu’a décrits longuement Rhingier, dans son amusant ouvrage. Ces jeux, souvent gracieux, quelquefois grivois, étaient pratiqués dans les salons ou en plein air par quelque noble assemblée de “Dames” et de “Cavaliers”, tels ces termes sont restés dans les figures de danse ou dans les petit jeux du siècle dernier. Prétextes à gages plus ou moins innocents, ou encore à quelques récitations de vers amphigouriques, propres aux Cours d’Amour de la Renaissance, ces jeux s’intitulaient: “Jeux du Héraut”, de la Paix, de la Guerre, de l’Epoux et de l’Epouse, de l’Amant et de l’Amante, du Pèlerin, de la Chouette”. Nous en retrouverons bien souvent le titre, l’accent et meme la règle dans les descriptions qui vont suivre. LES JEUX DIDACTIQUES, EDUCATIFS, ARTISTIQUES ET LITTERAIRES En s’adressant à de jeunes enfants, les éducateurs ont le naturel souci de leur ouvrir l’intelligence par l’image, l’exemple et la répétition. Aussi les règles peu compliquées du Jeu de l’Oie, son esprit de compétition et sa présentation amusante en firent par excellence un instrument attractif qui s’opposait à l’aridité de manuels qui n’avaient guère évolué depuis la sévère scholastique du Moyen Age. D’autre part l’”Emile” de Jean-Jacques Rousseau avait mis l’education à la mode à une époque où le Jeu de l’Oie connaissait sa plus grande popularité. C’est cette conjoncture qui fit que ces jeux didactiques eurent un extraordinaire succés à la fin du XVIIIe siècle. Sans examiner le bien-fondé ni le mécanisme de ces jeux particulièrement décrits dans les notices, on peut dire cependant qu’ils sont un peu le germe, sinon la base de nos meilleurs systemes d’éducation modernes par la vision directe et la mémoire des sens, Si le “Jeu des Epines changées en roses” nous parait encore un peu compliqué, il préfigure une méthode utilisée actuellement dans les écoles maternelles de négliger l’étude préalable de l’alphabet en sériant diphtongues et syllabes selon les difficultés de la prononciation. Si la “Pirouette instructive” est plutot un agréable monument typographique; le “Jeu Etymologique et Mnémonique” (qui ne comprend pas moins de 200 cases, sous un titre qui ne peut s’abstraire de pédantisme), est un véritable dictionnaire vivant, puisque avec le hasard d’un coup de dés, il permet de constituer de nombreux mots à l’aide des racines grecques et latines chères au “Jardin” du père Lancelot! Mais ces jeux pour enfants ne sont pas seulement didactiques, la bienséance et la conversation leur sont enseignées également par ces truchements, et on ne manque pas aussi d’y associer leurs jouets ou livres d’images comme dans ceux de “La Poupée modèle” ou du “Pingouin Alfred”. Les arts d’agrément étant le complément obligatoire d’une éducation parfaite, la Musique se met à l’oie et le “Jeu d’Apollon” nous enseigne l’art du contrepoint et de l’accord parfait, qui - on le sait - doit régner entre tous les joueurs. Les éléments d’une oeuvre littéraire, recueil de fables ou invention romanesque, pouvaient fort bien etre mis en jeu par figures à la manière des dessins animés ou des digestes tant à la mode. Aussi les “Fables” de La Fontaine ou d’Esope deviennent-elles prétextes à des petits jardins zoologiques, soulignés de distiques ou de moralités que les connaisseurs doivent énoncer au cours du jeu, les ignorants étant à l’amende. Mais quelle gloire que celle d’atteindre la case 63 le premier où l’on voit le fabuliste grec “composant ses oeuvres”, un livre à la main! Mais si les jeunes se peuvent mieux distraire en jouant à Don Quichotte ou au Philéas Fogg du “Tour du Monde en Quatre-Vingts jours”, leurs parents - nos propres aieux - aimaient mieux frémir aux aventures du Prince Rodolphe et de Dagobert sur les jeux des “Mystères de Paris” ou du “Juif errant” dont un siècle n’a pas encore épuisé le succés. La littérature actuelle se prend très au sérieux et nous ne sachons pas que la Scarlett d’“Autant en emporte le vent” ait été mise en jeu; mais nos humoristes ont spirituellement raillé les Prix Goncourt et nos officieux académiciens, moins à l’aise dans la spirale qu’autour de la table ronde du Restaurant Drouant! LA VIE HUMAINE, L’AMOUR ET LE MARIAGE La Vie Humaine faite à l’image du jeu de l’oie était un sujet qui devait naturellement se proposer à l’attention des imagiers. Cependant le premier jeu connu: “Le Nouveau Jeu de la Vie Humaine”, ne date que de 1775 et n’a aucun rapport comme on pourrait le supposer avec les nombreux “Degrés des Ages”, déjà répandus dans toutes les classes de la société depuis une centaine d’années. C’est un mélange assez hétéroclite de petites gravures sur les qualités, défauts et vices de notre terrestre comportement sans aucune logique, tout comme le “Jeu des Ages ou des Vices” (1810) qui nous présente plutot des bustes empruntés au cabinet phrénologique du Dr. Gall ou au Musée des Cires du Dr. Curtius. Cependant le “Jeu de la Fortune” est plaisant et badin en rejoignant agréablement les jeux sur l’Amour qui nous offrent d’excellents échantillons. “Les Etrennes de la Jeunesse” (petit jeu d’amour!) est formé de deux cercles à motifs floraux, l’un pour les Cavaliers, l’autre pour les Dames, ayant chacun des règles particulières “qui se gouvernent comme le jeu de l’oie”. Au lieu de gagner ou perdre les enjeux, les partenaires doivent se donner des gages plus ou moins innocents: “Le berger haisera le bas de la robe de la bergère et la brossera bien. - Le berger fidèle s’assoiera sur lex genoux de sa bergère et y restera jusqu’à ce que chacun ait joué deux fois. - La bergère présentera sa jarretière au berger qui la lui remettra proprement, etc... Le “Voyage de l’Isle de Cythère” et le “Jeu agréable et récréatif des Amours” sont de ravissants spécimens de gravure de l’époque et d’un cachet plus artistique que le “Jeu des Bons Enfans vivants sans soucy”, d’accent beaucoup plus populaire. Celui-ci emprunte ses accidents et ses personnages au fameux “Thèatre des Enfans sans soucis” qui montaient leurs tréteaux à Paris au début du XVIIe siècle; assez paillard, il nous apprend que nul ne peut arriver au n°63 “s’il n’est delivré du cocuage?” Les quelques jeux sur l’amour publiés au XIXe siècle, n’ont ni la grace, ni meme la franche grivoiserie de leurs ancétres: ils sont simplement grossiers! MORALE, RELIGION, OCCULTISME ET MYTHOLOGIE Est-il vain de dire que les jeux de l’oie moraux le sont hautement et qu’ils n’offrent guère d’autres caractéristiques que celles que l’on peut supposer à des divertissements établis pour les écoles ou les couvents? C’est ainsi que se présente “Le Nouveau Jeu des Vertus récompensées et des Vices punis” (1753) avec 77 légendes et maximes du style le plus rébarbatif: “Une morale nue apporte de l’ennui, Le conte fait passer le précepte avec lui!” disait le bon La Fontaine, c’est ce qu’essaya de faire Gangel dans son “Jeu moral et instructif” mais qui ne réussit en fait qu’à lithographier une image solennellement inspirée de la rue Saint-Sulpice et non de la rue Saint-Jacques. Les jeux religieux se divisent en trois catégories, les jeux historiques, les jeux édifiants, auxquels nous ajouterons les jeux de propagande. Les “JEUX HISTORIQUES”: Jeux de l’“Ancien, du Nouveau Testament ou de l’Histoire Sainte” s’apparentent à ceux sur l’histoire profane avec, bien entendu, des citations extraites de la Gènese aux Pères de l’Eglise, dont ils sont en réalité l’illustration. L’un de ces jeux: “Le Prix d’Histoire Sainte” réalise meme en cinq planches une somme historique et imagée farcie de lourds commentaires au recto et au verso. Mais nous devons citer à part le “Jeu historique de l’Ancien Testament”, belle gravure lyonnaise datée de 1763 due au P. Bernon, jésuite, pour le texte, et à Mathieu Ogier pour le dessin; la règle du jeu est décrite en quinze plaisants distiques débutant ainsi: “Du Jeu Sacré, voici les Loix L’on y sauroit jouer plus de dix, moins de trois.” et qui se terminent par ces vers cornéliens: “Enfin quoyqu’on soit prét à finir la Carriére, Si le point est trop grand, l’on retourne en arrière; Et celuy la tire tout, Qui par un dez heureux arrive juste au bout.” Les JEUX EDIFIANTS fort nombreux, spécialement destinés aux maisons conventuelles, en particulier à celles des religieuses, ne comportent pas pour la plupart de figures profanes qui pourraient induire nos recluses aux tentations du dehors. De meme, on se servira d’un toton à douze faces car l’usage des dés est officiellement interdit dans les couvents depuis saint Louis. Dans ces jeux dits de “Récréation Spirituelle”, on part du “Mépris du monde” ou de l’Entrée en réligion pour aboutir à la “Salle du Céleste Epoux” ou à la “Salle des noces de l’Agneau où sont reçues les Vierges”, sur un parcours de coeurs enflammés soulignés d’une maxime, d’une mortification ou d’une date de d’histoire monastique. Le “Jeu du Chrétien tiré de la carte emblématique” ne comprend pas moins de 144 cases d’un style gothique très Napoleon III avec une règle compliquée à faire palir les plus grands casuistes de l’ordre de saint Ignace de Loyola. On a voulu utiliser le Jeu de l’Oie comme un moyen de propagande pour amener à la religion ceux qui ne la connaissaient pas ou qui s’en étaient éloignés; nous trouvons à ce sujet dans Le Ber (Le Ber: “Voyage d’un missionnaire de la Compagnie de Jésus, en Arménie, en Perse... depuis 1688”. Paris, 1730) la curieuse anecdote suivante: “Le Père N..., jésuite en Arménie à la fin du XVIIe siècle avait fait éditer un jeu d’oie qui était un véritable catéchisme où il avait figuré les principes de la Doctrine Chrétienne réduits au nombre et aux proportions des cases de ce jeu. Ce tableau fait sur une feuille de papier assez forte, était composé de 46 ronds qui se suivaient en spirale redoublée; chaque rond-chiffre contenait un emblème au devise qui expliquait un mystère ou une des grandes vérités du christianisme et le joueur plaçait sa marque sur le rond portant le chiffre donné par son coup de dés” (Nous n'avons pas rencontré d'exemplaires de ce jeu). Ainsi le bon Père n’avait pas jugé nécessaire d’écarter de cette oeuvre de piété, les dés si sévèrement condamnés par l’Eglise, ce qui n’empécha point que son jeu n’eut le plus grand succès, relativement au but que se proposaient les missionnaires. On en grava le tableau à Paris sur l’original envoyé par l’auteur et des milliers d’épreuves “en furent répandues dans l’Orient où elles portèrent leurs fruits”. Comme autre jeu de propagande, mais plus spécialement destiné à l’intention des hérétiques, nous ne connaissons que le “Jeu de la Constitution” décrit longuement à sa notice (pl. 16), et publié à l’occasion de la fameuse bulle “Unigenitus” fulminée contre les jansénistes. Mais les missions protestantes ont édité, ces dernières années, des tableaux à l’usage de leurs catechuménes, et qui ne le cèdent en rien à la banalité des jeux catholiques romains de la rue Saint-Sulpice. L’histoire fabuleuse des Déesses, des Héros de l’Olympe nous a valu antan quelques beaux jeux sur la Mythologie finement gravés, mais qui ne présentent guère d’originalité; citons cependant le “Jeu des Antiques” et le “Jeu du Phénix”, qui sont de particulières réussites de Basset et de Jean. Bien entendu, il n’était pas question sous l’Ancien Régime d’éditer de jeux sur la sorcellerie, ni a une quelconque prétention esotérique. Mais comme il fallait que le Diable s’en mélat, nous devons à l’imagerie lorraine un “Grand Jeu du Sorcier”, bien anodin et qui ne vouera ses adeptes aux Ténèbres Extérieures. Plus humoristique est le “Jeu du Grand Etteila, oracle du destin”, jeu badin qui vaticine au hasard des coups de dés. Cet Etteila est le nom retourné d’Aliette, auteur supposé de quantités de petits ouvrages sur la cartomancie, répandus dans les campagnes par les colporteurs de la fameuse Bibliothèque Bleue aux XVIIe et XVIIIe siècles. L’HISTOIRE L’Histoire enseignée par le Jeu de l’Oie est d’une lecture moins sévère que celle des in-folio du Père Anselme ou du Dictionnaire des Dates. Divisée en cases ou en siècles, soulignés de légendes naives ou sans pédanterie, elle nous présente sans les critiquer: Clovis sur son pavois, saint Louis sous son chene, François I.er fait Chevalier par Bayard; événements tellement traditionnels qu’ils viennent sous le burin du point graveur comme le “Pont”, le “Labyrinthe”, l’”Auberge” ou la “Mort”! Dans le “Jeu chronologique” de Mariette (le plus ancien des Jeux de l’Oie français, date 1638), on fixe pour la commodité du jeu, la création d’Adam à l’an 4000 avant Jésus-Christ, la case 1 l’affirmant sans discussion possible: “Adam fut créé le 6e jour... vequit (sic) 930 ans et engendra Seth à l’age de 130 ans”, ce qui le fait contemporain de Noé, lequel naquit en 956... Notre ère commence avec Jules César (Cette deuxième partie du jeu qui comprend 17 cases ou siècles est la figuration d’un quatrain que l’on faisait apprendre par coeur aux jeunes élèves des collèges du début du XVIIe siècle et qui énumérait la suite de ces siècles sous des qualifications assez arbitraries); “qui se rendit Seigneur de l’Empire romain” et l’”Histoire merveilleuse de nos rois” débute sacramentellement à Pharamond, pour se terminer bien entendu au Roi régnant sous son qualificatif usuel: Louis XIV est “Grand”, Louis XV est “Bien-Aimé”, Louis XVI est “Bienfaisant” et Louis XVIII est “Desiré”. Il y a bien de-ci ou de-là quelques entorses à la vérité historique ou à la généalogie: Louis XV gagne en personne la bataille de Fontenoy, Louis XVII meurt au Temple et Napoléon disparait sous Louis XVIII, qui succède tout naturellement à l’Enfant-Roi. Certains de ces jeux comme le “Jeu des Français et des Espagnols pour la Paix”, ont par contre une réelle valeur documentaire et historique, en nous racontant sous forme de cartes et de courtes légendes la fin de la Guerre de Trente Ans jusqu’au Traité des Pyrénées. D’autres sont par ailleurs d’une fort belle execution, tel l’”Abrégé chronologigue des Rois de France”, qui est plutot une magnifique estampe du plus pur style Louis XV. Mais le Jeu de l’Oie, brulant ce qu’il a adoré, devient naturellement révolutionnaire en 1791 où les “jeux royaux” deviennent nationaux, les Parlements remplacent les “Oies”, le “Pont” devient celui de la “Liberté”, et la “Prison”, celle de l’”Abbaye”. Cependant le bon roi Henri trouve grace, il est vrai qu’il est l’inventeur d’une “Poule au Pot”, que l’on croyait enfin advenue. Son nom est alors souvent associé à celui du “père Gérard”, simple cultivateur de l’Ouest, membre de la Constituante et que son costume breton et sa naiveté avaient rendu fort populaire. La chaine symbolisant l’Ancien Regime de ces jeux révolutionnaires allait bien entendu disparaitre avec l’Empire qui verra la vogue des jeux militaires: pourtant nous ne connaissons point de jeux sur la biographie du vainqueur d’Austerlitz. Ceux-ci n’apparaitront surtout qu’après 1830, en méme temps que toute l’imagerie d’Epinal consacrée au Petit Caporal. Si vers 1815, Napoléon disparait de la liste des Souverains (pour reparaitre après 1830) les imagiers - surtout Basset - effacent peu courageusement de leurs cuivres l’Ordre de la Réunion (créé en 1812), remplacent les Aigles par les Lys, ou barbouillent les Trois Couleurs du drapeau d’une gouache blanche fort légitimiste. Le Second Empire annexera aussi l’histoire en y joignant bien entendu ses propres fastes guerriers, qui donneront à ses jeux un aspect plutot militaire qu’historique. Dès sa chute en 1871, le “Jeu de l’Oie parlementaire” - dit aussi le “Jeu de la Droite et de la Gauche” - offre un avant-gout de ce que sera désormais le Jeu de l’Oie historique: le vrai reflet de l’actualité politique. L’ACTUALITE POLITIQUE Le Seize-Mai, le Panama, le Boulangisme, l’Affaire Dreyfus, l’Alliance Franco-Russe sont autant de prétextes à promener les oies sur un jeu qui menaçait de s’anémier à la fin de la belle époque de l’Imagerie, et pretent à toute propagande chez des joueurs prompts à discuter entre deux coups de dés. Mais point de querelles quand l’ennemi est à nos frontières. Le jeu de l’Oie fait aussitot l’Union Sacrée et devient “jusqu’auboutiste”, un peu prématurément, semble-t-il, puisque l’un d’eux nous fait assister dès 1915 (à la case 63) à l’entrée des troupes russes à Berlin (aux cotés des Alliés). Le jeu sert aussi notre cause en Suisse et aux Pays-Bas où des éditeurs avisés et surs d’eux en font des images de propagande. Mais la satire ne perd pas ses droits et Guy Arnoux nous grave un “Jeu du Pas de l’Oie imité des Boches”, cependant qu’avec son “Jeu du Poilu”, Gus Bofa et Pierre Mac Orlan nous initient à la vie des tranchées non sans une bonne humeur ironique. Si l’affaire Stavisky évoque de pénibles et burlesques souvenirs dans le “Jeu de l’Escargot” de Lucien Boucher, le “Jeu de la Perme” évoque la “drole de guerre” qui s’achève, hélas! par l’“Occupation allemande”. Pendant celle-ci, le Gouvernement de Vichy édite pour sa propagande un “Jeu de la Francisque” largement répandu en zone libre et dans les camps de prisonniers en Allemagne, au moment où les civils affamés serrent leur ceinture d’un cran en poussant des oies - devenues rares au naturel - sur un “Jeu du Rutabaga” sous-titré sans ironie: “Noel du Maréchal, distribué par le Secours National!” En 1944, parait naturellement un “Jeu de la Libération” d’un bel optimisme... mais dès 1949, un journal d’extreme-gauche publie un “Jeu de Loi... électorale” farouchement anti-gaulliste et anti-américain, probablement inspiré d’un jeu soviétique de méme tendance et de la meme année dont nous avons ouii parler. Ceci est la preuve - s’il en faut une - de l’admirable neutralité du Jeu de l’Oie, objectivité que Voltaire n’eut point désavouée lorsqu’il écrivait à M.me du Deffand: “… et voilà comme on écrit l’Histoire, puis fiez-vous aux savants!” Mais la Marquise jouait-elle au Jeu de l’Oie? LA GEOGRAPHIE ET LES VOYAGES Les jeux de l’oie géographiques ne sont pas moins intéressants puisqu’ils nous nous présentent un état fort exact des connaissances cartographiques de l’époque. Les premières cartes gravées en France ne datent guère que du milieu du XVIe siècle et nous les devons à Oronce Finé qui fut, on le sait, hautement protégé par François Ie. Aussi l’un des premiers jeux qui nous soit connu est-il certainement le “Jeu du Monde” gravé par Pierre Du Val (1618-1683), géographe du Roi fort estimé et qui a laissé par ailleurs de précieux ouvrages cartographiques. Les jeux de Du Val sont caractérisés par la finesse de leur gravure, l’élégance de la mise en page avec l’exactitude toute relative des cartes de cette époque. Mais cent ans plus tard, Maurille-Antoine Moithey (1752-1810), mathématicien et géographe, publiera de fort belles cartes chez Crépy, gravées d’après les plus récents travaux des Cassini, et dans lesquelles apparaissent, longitudes et altitudes, pour la première fois. Ces jeux, ornés dans le gout du temps, sont de précieux documents et le “Jeu de la Mappamonde”, par exemple, est en réalité un atlas très complet de toutes les parties du monde connues alors que l’”Emulation française” nous indique avec beaucoup de précision les généralités, pays et provinces de France. Ces dernières sont naturellement remplacées par les départements en 1794 dès leur institution par la Convention, le nombre de ceux-ci subira quelques variations jusque vers 1850, époque à laquelle les jeux cartographiques semblent tomber en complète désuétude. Moins austères sont ceux sur les voyages et les monuments, mais ils offrent d’utiles renseignements sur l’architecture des villes et réalisent en fait, les premiers essais de cartes postales illustrées! Ville chère à tous les imagiers, Paris est leur sujet favori et l’étude attentive de ces tableaux nous restituent avec fidélité des monuments aujourd’hui disparus comme les fontaines de la place de la Bastille, du Chatelet, des Invalides ou du Gros-Caillou ou l’ancienne de la place Saint-Sulpice. Des 1889, la Tour Eiffel eut son jeu et de nos jours Madeleine Luka vient de graver sur pierre un jeu bien charmant sur le Paris moderne avec ses nouveaux monuments, ses moyens de transports, ses types populaires et ses coins pittoresques. Les “Enseignes et les Cris de Paris”, inspireront aussi bien entendu nos imagiers et nous en parlerons plus longuement au chapitre “Agriculture, Industrie et Commerce”. Nous connaissons encore quelques jeux sur les voyages qui furent remplacés vers 1860 par d’innombrables “steeple-chase” de peu d’intérét au point de vue documentaire, mais qui forment cependant une division assimilée importante des jeux de l’oie. L’HERALDIQUE, L’ARMEE ET LA MARINE Les jeux héraldiques et militaires étaient fort répandus dans les collèges nobles et les établissements qui formaient les futurs officiers, car ils offraient sous d’aimables aspects des rudiments de connaissances fort ingrats à de jeunes cerveaux. Déjà, au début du XVIIe siècle, on avait fait un “Jeu du Blason” à l’aide de cartes à jouer, mais les princes désignés sous le titre de “valets” valurent à son auteur “quelques affaires”, dit le P. Ménestrier, et ces jeux furent modifiés sinon supprimés. Les jeux héraldiques sont en général d’une grande finesse et d’une rigoureuse exactitude, ils enseignent l’art de blasonner et de reconnaitre les armoiries des nobles maisons, et les graveurs ne manquent jamais de les dédier à quelque illustre personnage dont l’écu figure en bonne place. L’un d’eux: “Le Chemin de l’Honneur” mérite une mention spéciale en raison de sa règle du jeu très particulière; les six faces des dés représentent chacune un métal ou un émail (1 pour or, 2 pour argent, etc.); les coups “bons” sont ceux qui offrent sur la face de chacun des dés, un métal ou un émail, tandis que sont “perdus” les coups qui donnent deux émaux ou deux métaux, suivant en cela la règle primordiale de l’art du blason. En parlant des Jeux de Blason “à l’oie”, le P. Ménestrier ajoute: “Ces jeux frappent d’abord par leur nouveauté et par leurs images, mais ils instruisent peu car, l’application que demandent quelques-uns empeche trop le divertissement pour ne pas les rendre ennuyeux.” Ces jeux disparurent complètement à la Révolution, et il est curieux de constater que nous n’en connaissons point à l’usage des nouveaux anoblis de la Cour Impériale. Il est vrai que l’Empereur ne laissait guère de loisirs à ses maréchaux pour se plonger dans les arcanes de la science chère à d’Hozier. Nous avons dit au début de cet historique, combien le Petit Caporal aimait se souvenir des années de Brienne en jouant aux Tuileries sur le “Jeu des Fortifications”, qu’il avait fort pratiqué dès que le Père de Langlade l’avait inventé à l’usage des Ecoles Militaires. Enseignement bien symbolique, cette technique de la guerre, faite sous les auspices d’un cornet à dés qui, selon Mallarmé “n’abolira jamais le hazard”! Ces jeux se présentaient sous la forme de tableaux à 52 cases sur lesquelles on pouvait jouer avec des cartes ou dés ou encore dans la forme traditionnelle à 63 cases qui présente peu ou prou les memes accidents que les jeux classiques. Nous y lisons par exemple: “que celui qui tombe au n° 58 est tué, on l’emporte pour recommencer”, formule qui illustrerait vraiment l’adage fameux dans toutes les armées du monde: “Ce sont toujours les memes qui se font tuer!” Dans la seconde moitié du XIXe siècle, signalons parmi les jeux originaux, le “Jeu de la Grande Redoute”, à la règle bien particulière: c’est un cercle divisé en quatre secteurs de couleurs différentes, occupés par chacun des quatre joueurs qui doivent s’efforcer d’occuper une redoute placée au centre. Un autre tableau: “Jeu de Forteresse”, figure un fort à la Vauban sur lequel on joue à deux pistes marquées de ronds noirs et rouges aboutissant au centre de la place. Ce système est imité dans le jeu qui lui fait suite dans notre iconographie. Les jeux sur l’armée ou à uniformes militaires sont fort nombreux et présentent un intéret plus documentaire que didactique. Les “Jeux de la Guerre” de Basset ou Chéreau à 12 cases ne sont pas des jeux de l’oie proprement dits, mais leur gravure et leur esprit s’apparentent à ces jeux. Notre bon imagier Guy Arnoux s’en inspira dans son “Jeu du Soldat français” (1917). Les jeux d’Epinal sont d’un accent tout autre que les jeux de Basset, Chéreau et surtout de Jean, lesquels sont d’une fidélité très réputée. Ils sont dans le ton de toutes les images militaires publiées sous le Second Empire à la gloire de l’Oncle ou du Neveu et ne sont que prétextes à propagande. Un jeu bien amusant est le “Jeu du Conscrit” (pl. 31), lequel franchit avec une male assurance - et toutes les neuf cases - les grades de l’armée jusqu’à la dignité de maréchal de France, carrière pas si extraordinaire et qui n’est que l’exemple imagé de celle de Bugeaud, “l’homme a la casquette” qui, simple grenadier à vingt ans, fut maréchal à soixante ans ! Les jeux sur la Marine sont moins communs, nous n’en connaissons qu’au debut du XVIIIe siècle; comme les jeux sur l’armée, ils sont d’ordre didactique et nous enseignent les parties du navire, l’ordre des officiers et l’art de la navigation avec, dans les coins, le légendaire Départ et retour du marin. Par contre, ils ne nous donnent guère de renseignements sur les uniformes, dont l’ordonnance est moins rigoureuse dans la marine que dans l’armée. LES SCIENCES Ces jeux, formant une partie distincte des jeux didactiques, sont peu nombreux. Le plus ancien en date et le plus intéressant que nous connaissons est le “Jeu de la Sphère et de l’Univers” (pl. 25) daté de 1661 et gravé par De Vouillemont. C’est une planche de belle facture et dont la forme elliptique essaie de figurer un univers symbolique inspiré des travaux relativement récents du grand astronome danois Tycho-Brahé, sans omettre, bien entendu, au centre, la vieille figuration de l’univers ptolémaique! Les autres jeux sont surtout consacrés aux sciences naturelles, en particulier aux animaux et aux plantes, représentées par de beaux spécimens de fleurs (pl. 36 et 37) et dans lequels l’imagier courtisan Basset - le bien nommé - ne craint pas selon sa coutume (voir le “Jeu instructif des Fleurs”) de faire figurer naturellement un lis à la case 63 souligné d’une fameuse légende: “Gloire au Lis”, qui sent son royaliste de fraiche date. La Géologie, avec avalanche, inondation, éruption vulcanique et tremblement de terre est représentée par le “Jeu istructif des Merveilles de la Nature” (pl. 38) du au meme ineffable Basset. Ces jeux disparaitront vers 1840, remplacés par des tableaux sur les inventions nouvelles beaucoup plus attractives. L’AGRICULTURE, L’INDUSTRIE, LES METIERS ET LE COMMERCE Si l’agriculture n’est représentée que par un peu commun “Jeu de l’Agriculture et du Commerce” (pl. 40), et qui n’est qu’un prétexte à belles images symboliques, les jeux sur les petits métiers et les “Cris de Paris” sont abondants, car Paris est, nous l’avons dit déjà, une ville chère au coeur des imagiers. Le “Jeu de Paris en Miniature” (pl. 27) est le plus intéressant en raison des précieux renseignements qu’il nous donne sur les Enseignes, dont quelques-unes existent encore de nos jours telles celles: “Au plat d’Etain, Aux forges de Vulcain, Aux Deux-Magots”, magasin de nouveautés aujourd’hui remplacé par le célèbre café littéraire du meme nom. Cependant, Fournier (Fournier Ed. , Histoire des Enseignes de Paris. Paris, 1885) nous cite un jeu sur les Enseignes de Paris, sans d’ailleurs préciser exactement le titre et qui aurait paru vers 1804, ce jeu comprendrait cent cases dont les dizaines seraient figurées par des couvents ou des monuments religieux, et dont la date correspondrait au rétablissement du culte officiel cette année-là. Il faudra attendre la fin du siècle pour voir le “Grand Jeu du Boeuf Gras”, jeu figuratif où cet animal est divisé en ses parties comestibles numerotées. Ce jeu, vraisemblablement de propagande est accompagné de recettes culinaires et de vers aussi savoureux que la viande bovine qu’il vante. “A cette loterie, Véritable moralité, Vous apprendrez l’utilité De cet animal dont la viande Est nourrissante et friande!” De nos jours, nous connaissons “La Place du Village” (1949) dont la règle s’inspire du moderne “Monopoly”, jeu encore inspiré du Jeu de l’Oie, mais qui n’a plus sa place ici, en raison de son caractère spéculatif au sens exact du mot. Les Grandes Inventions. L’Actualité Industrielle et la Publicité Les grandes inventions et l’actualité industrielle ne paraissent avoir inspiré les imagiers que lorsque l’engouement du public semble leur assurer quelque succès de vente. Le premier de ces jeux en date est certainement le “Jeu du Canal Royal”, publié en 1682 (probablement à Paris), à l’occasion de l’achèvemeut du Canal du Languedoc auquel le malheureux Riquet ne devait point assister; mais François Andréossy, son fidèle collaborateur “invente” un jeu à la gloire du canal. La prèface de son livre, qu’il dédie au cardinal de Bonzy est un réel hommage rendu au Jeu de l’Oie par un grand ingénieur: “Depuis que les gens ont inventé le jeu de l’oie, on s’est servi de ses règles pour apprendre la géographie et le blazon. Ce sont les memes qui enseignent par le Jeu du Canal tous les noms des escluses et de tous les travaux, afin qu’en se divertissant on aprene toutes les parties qui composent ce grand ouvrage, qui fait connaitre à tout l’Univers que notre Monarque ne sçait pas seulement vaincre ses ennemis, mais aussi surmonter toutes les difficultez de la nature pour faire dans ce royaume la communication des deux mers.” Nous avons dit dans une notice le succès des aérostats cependant nous ne connaissons qu’un seul jeu consacré à ceux-ci, c’est celui de la collection Nicholson du Cabinet des Estampes: “Le nouveau Jeu des Ballons aérostatiques” (pl. 41). En 1863, l’ascension du ballon “Le Géant” suscitera un jeu, mais qui n’aura pas davantage d’imitateurs; cependant aérostats, et ballons, meme dirigeables, figurent assez fréquemment dans les cases du Jeu de l’Oie de la fin du XVIIIe à celle du XIXe siècle. Les chemins de fer attendront vingt ans leur consécration populaire par le jeu, alors que nous en connaissons un dès 1855 sur les tramways (à chevaux, il est vrai). Mais depuis nous avons un “Jeu du Métro”. Le premier jeu sur l’automobile est de 1905, alors que l’Automobile-Club de France date déjà de dix ans, encore Pellerin fait-il marcher le véhicule prudemment à la voile, accouplement assez singulier s’il en fut ! En 1933, le cinéaste Marcel Ichac nous détaille en jeu de l’oie la construction d’une automobile. C’est le premier jeu en date illustré par la photographie que nous connaissons. L’aviation ne rencontre qu’un succes très relatif et tout récent chez les éditeurs - ne disons plus les imagiers - car cette production est d’une affreuse banalité, bien que patronnée par l’officieuse Ligue Aéronautique de France. La poste aux lettres est mise en jeu d’une manière ravissante par Burckard (de Wissembourg), mais la philatélie, prétexte à ravissantes figures ne suscite aucun prosélyte. Nous ne doutons point que notre bon ami Jean Kerhor ne mette quelque jour en jeu de l’oie à l’usage des jeunes amateurs, les plus beaux spécimens de sa collection de timbres. Par contre, les jeux sur le costume sont nombreux à la fin du XVIIIe siècle, et ce sont ainsi de véritables gravures de modes qui seront exportées à l’étranger, meme pendant les années sombres de la Révolution et de l’Empire, tellement est grand le rayonnement du gout francais. Il est meme un jeu, “Le nouveau Jeu des Modes françaises” (pl. 43) qui fut édité à Londres chez Sayer pendant que nous faisions une guerre “larvée” à la Grande-Bretagne, il est gravé d’ailleurs sur un cuivre parisien et semblera jouir des memes privilèges que la Pandore (Aux XVIIe et XVIII siècles, on a appelé pandores des poupées que l’on habillait à la mode du jour. A Paris, rue Saint-Honoré, des spécialistes décrétaient quels seraient les modèles des toilettes à la mode. On habillait ainsi des “mannequins”, l’un pour la grande toilette, dite la grande pandore, l’autre pour la toilette simple, la petite Pandore. Et ces poupées modèles, reproduites à de nombreux exemplaires, étaient expédiées par carrosse ou par vaisseau dans toutes les capitales d’Europe pour donner le ton des modes françaises à l’étranger. Meme en état de guerre, la pandore avait droit de passage aux avant-postes des partis ennemis; aussi bien d’ailleurs que sur les vaisseaux qui les transportaient à travers le “Channel”, lesquels portaient pavillon spécial, ce qui leur assurait une neutralité bienveillante admise d’office entre les Cabinets de Londres et de Paris, et pour des raisons de diplomatie secrète que les archives du Quai d’Orsay et du Foreign Office n’ont pas encore terminé de nous dévoiler). L’Exposition Universelle de 1867 nous vaut plusieurs jeux, comme celle de 1889 à qui nous devons un “Grand Jeu du Voyage à l’Exposition”, et qui nous conte les amusantes pérégrinations d’une famille nancéienne. L’honneur revient à l’Etat d’avoir le premier utilisé le noble jeu à des fins de publicité commerciale; en effet, dès le début du XVIIIe siècle, la Loterie Royale édite de somptueuses estampes chez Langlois, et nous connaissons un “Jeu de la Lotterie” (sic) dont le n° 63 figure naturellement le gros lot, soit 40.000 bonnes livres (en louis d’or)! De nos jours, si la Loterie Nationale fait de grands efforts publicitaires avec l’aide de nos meilleurs artistes, elle semble vouer ses quelques jeux de l’oie à la pire des imageries. La Caisse d’Epargne de Paris a tenté dernièrement un effort intéressant et son “Jeu du Livret” - sans prétentions artistiques nous raconte en 48 cases les inconvénients de la prodigalité et les beautés de l’économie. Comme propagande officielle, sinon officieuse, citons encore la “Marche à l’Etoile” éditée (vers 1910) par la Ligue Nationale contre l’Alcoolisme, et qui prone les avantages de l’abstinence:“Si vous économisez 10 centimes par jour, le prix d’un petit verre, plur vingt centimes par jour le prix d’un apéritif depuis 16 ans jusqu’à 60 ans vous aurez une rente de 1527 francs par an.” Il est vrai qu’à la meme époque - ou le vin se vendait mal - on nous a signalé que les viticulteurs avaient publié un jeu sur les bienfaits du jus de la treille. Avec de tels solennels exemples, la publicité privée n’allait point manquer, elle aussi, de recommander ses meilleurs produits sous forme de jeux de l’oie, et nous prions nos lecteurs de croire que les noms énoncés ci-après le sont en toute indépendance. Il nous parait que c’est la “Phosphatine Falières” qui déclenche l’offensive dès 1906 avec le jeu si populaire de Benjamin Rabier. Puis vient celui des “Grands Magasins du Printemps” qui nous présentent 63 de ses meilleurs articles. Il n’est pas jusqu’à la “Morue”, ni au “Riz d’Indochine” qui ne nous vantent leurs qualités sous la forme de publicité collective. Plus près de nous, les produits pharmaceutiques, le fromage, la margarine, le cirage, mettent leur propagande en spirale et, si dès le matin en nous lavant les dents, le Jeu de l’Oie se présente à notre pensée sous la forme de la pate Gibbs, nous sommes assurés d’y songer encore le Soir en nous endormant sur un air de berceuse chantée “Au Fil des Ondes”, par “Mazda-Radio”! LES SPECTACLES ET LES SPORTS Si le “Jeu des Bons enfans”, inspiré du fameux “Théatre des Enfants sans Souci” est le premier jeu en date sur les spectacles, nous en connaissons quelques autres surtout en vogue de la fin du XVIIIe au début du XIXe siècle (“Jeu des Théatres de Melpomène, Momus et Thalie”, pl. 46, “Jeu de la Petite Cendrillon”, pl. 19, “Le Grand Jeu des Danseurs de Corde”, pl. 47). Ils nous rappelle des opéras, des comédies ou des drames, des pantomimes, des jeux de cirque, bien oubliés de nos jours avec leurs comédiens ou acrobates, mais qui eurent autant de succès que les vedettes de cinema de nos jours. Les abondantes notices qui leur sont consacrées dans cet ouvrage nous interdisent d’en épiloguer davantage. Plus près de nous, les “Jeux de Steeple-Chase” ou de “Courses” dont nous avons parlé plus haut (p. 46) sont remplacés par des jeux sur les compétitions automobiles et cyclistes à qui nous ne concédons aucune valeur artistique sinon documentaire. LE JEU DE L’OIE ET L’IMAGERIE POPULAIRE Procédés et Techniques Les ouvrages consacrés à l’Imagerie populaire ne méconnaissent pas le “Noble jeu” mais l’importance des sujets traités dans ces études ne permet pas de s’y arréter particulièrement. Ce jeu étant populaire par excellence, il s’assimile parfaitement à la production de l’imagier et n’en dépasse nullement le cadre, qu’il soit religieux, récréatif militaire ou de propagande. Aussi l’imagier utilisera-t-il naturellement les procédés de gravure et les coloris qui lui sont propres, et donnera au tableau l’accent particulier de sa fabrique. Puis, suivant le sort de toutes les productions imagières, les planches du jeu de l’oie seront modifiées, contrefaites, imitées ou adaptées au gout du jour. Elles iront aussi au gré des associations, des ventes de fonds et des successions, apparaissant encore bien des années après, sous d’autres titres ou de nouveaux noms d’éditeurs. Encore doit-on ajouter que certains spécialistes du bois, installés en une lointaine province, ne se géneront nullement pour interpréter à la gouge quelque taille-douce de Paris, transposition très fréquente en ce sens, mais beaucoup plus rare dans l’autre. Imagiers de Paris et de Province L’Imagerie parisienne dite aussi Imagerie demi-fine ou Imagerie de la rue Saint-Jacques, en raison du nombre d’artisans installés en cette rue, est caractérisée par l’emploi quasi unique de la taille-douce: cuivre ou acier gravé à l’eau-forte ou au burin. Elle a donc traditionnellement adapté son procédé à la fabrication des jeux de l’oie. Nous devons le premier jeu daté venu à notre connaissance (1638) à Pierre Mariette, installé depuis 1635 et dont la descendance se perpétuera pendant près de cent cinquante ans. Ses petits-fils seront de réputés graveurs, suivant en cela une tradition qui n’est pas particulière à cette famille d’imagiers. Mais les Basset sont incontestablement les rois de la production parisienne et leur règne s’étendra du milieu du XVIIe siècle jusqu’en 1860. Leurs jeux, de bonne qualité, se déploient dans tous les domaines; ils n’apparaissent qu’a la fin du XVIIIe siecle et suivront tous les régimes politiques avec un fidèle à-propos, car Basset par exemple, n’hésite nullement à supprimer Napoléon de la liste des souverains francais en 1815, ni à l’y rétablir après 1830. Cet opportunisme aura une sanction méritée, puisque le fonds Basset terminera sa carrière vers 1860 chez Bouasse-Lebel, maison qui s’est faite championne de l’imagerie saint-sulpicienne. Une autre dynastie célèbre est celle des Crepy dont la production s’étend durant tout le XVIIIe siècle. Les Crépy ont gravé par ailleurs de magnifiques calendriers muraux, et leurs jeux sont heureusement influencés par cette qualité. Les Chéreau, vieille maison du XVIIe siecle, ne produisent guère de jeux avant 1810, mais voulant rattraper le temps perdu, ils se laissent aller quelquefois à l’imitation servile de leurs confrères. Genty et les Jean sont les producteurs de grande classe de la première moitié du XIXe siècle; spécialisés dans l’estampe fine, leurs jeux de l’oie sont d’une belle exécution dans les fleurs et d’une grande fidélité dans l’uniforme militaire. Les De Fer, grands spécialistes des estampes sur l’histoire et des cartes géographiques au XVIIe siècle, verront Daumont leur succéder dans ce genre au siècle suivant, et les jeux de ce dernier seront souvent accolés de ceux de Mariette, Basset ou Crépy. Parmi les éditeurs de tous genres, citons encore: Bonneville, Langlumé, Lenoir et Pillot, Ulysse-Denis, Roussel et Demonville qui produisent des jeux d’honorable qualité. Glémarec et Boucquin, qui travaillent quelquefois ensemble, méritent une mention à part. Ce sont les seuls imagiers parisiens qui travaillent sur bois, moins par tradition que pour essayer de concurrencer l’Imagerie lorraine, en plein succès vers 1850. Avant d’en terminer avec Paris, qui comprend de 1650 a 1850, plus de cinq cents imagiers, constatons avec curiosité que la production des jeux de l’oie s’est limitée à une vingtaine de noms au plus et que d’importantes maisons, telles celles des Martinet, des Aubert, des Langlois ou des Bonnard semblent les avoir complètement ignorés. Toutes ces fabriques parisiennes disparaissent d’ailleurs à peu près vers le milieu du siècle lorsque la lithographie, la zincographie ou le gillotage, qui demandent un important matériel, auront submergé, puis anéanti la production imagière artisanale par des procédés qui ont sensiblement abaissé son niveau artistique. Ce sera encore bien pis, lorsque au début de notre siècle, s’intensifieront les industries photomécaniques, offset ou héliogravure, qui lui donneront le coup de grace lorsqu’on verra apparaitre des jeux de l’oie faits de photo-montages tirés sur machines rotatives! L’Imagerie provinciale aux XVIIe et XVIIIe siècles est traditionnellement vouée au bois gravé, que Paris a depuis longtemps abandonné, sans l’avoir d’ailleurs, beaucoup pratiqué. Orléans est naturellement le plus grand centre imagier avec les Letourmy, les Leblond-Sevestre, les Perdoux qui d’ailleurs, s’imitent copieusement entre eux. Autrement, nous ne connaissons que d’épars jeux de l’oie issus des fabriques de Sainton (Troyes), Allabre (Chartres), Biesse (Lyon), Peyrane (Toulouse), Deckherr (Montbéliard). Cependant on grave timidement quelques tailles-douces chez Jacquenod et Rusand (Lyon), Le Bossu (Dijon), Fournier (Lyon), mais plus à l’imitation des jeux parisiens que par tradition locale. Comme la production parisienne et pour les memes raisons, la création provinciale tend à disparaitre à partir de 1850; mais, avec les centres lorrains, l’Imagerie populaire allait encore briller pendant cinquante ans. L’Imagerie Lorraine Nous entendons par Imagerie lorraine, la production issue d’Epinal, Metz, Nancy et Pont-à-Mousson, soit une quinzaine de fabriques qui, actuellement se réduisent à deux par transmissions successives des fonds. En général, les Images lorraines sont sur papier vergé légèrement teinté crème jusque vers 1837, puis sur papier vélin jusqu’en 1850, date de l’apparition du papier mécanique de nuance bleutée. Les coloris, assez doux au début, deviennent plus violents vers cette dernière date, et encore davantage après l’apparition des couleurs à l’aniline appliquées presque uniformément à partir de 1900. Vers cette époque, les planches qui, jusqu’ici ont été gravées sur bois, quelquefois sur pierre sont à peu près toutes reportées en lithographie ou en zincographie; les tirages deviennent alors médiocres, gris, empatés, et sont bien faciles à reconnaitre. Les jeux lorrains comportent souvent un numero d’éditeur placé au centre ou en dehors du tableau. Certains sont rehaussés d’or; en ce cas l’image est dite fine et porte un chiffre différent du tirage dit ordinaire. Avant de décrire quelques caractéristiques des ateliers lorrains, ajoutons qu’a l’encontre des planches parisiennes, toutes les images lorraines étaient vendues coloriées. 1. - Epinal: Avant 1780, Pellerin est surtout marchand-cartier et ne public guère d’images avant 1810, ni de jeux de l’oie avant 1820, mais sa production deviendra la plus importante de l’ancien duché. Sa firme a souvent changé de libellé jusqu’à 1890, elle sera désormais et jusqu’à nos jours: Pellerin et C.ie, Imprimeur-Editeur, puis Imagerie d’Epinal N°... A partir de 1888, il faut incorporer à son fonds celui de Pinot, associé en nom avec Sagaire, qui travaillent depuis 1865. 2. - Metz: Dembour, qui débute en 1835, réimprime les bois de Lacour (de Nancy), s’associe avec Didion vers 1860; Didion resté seul en 1879 cède son fonds à Delhalt qui s’installe à Nancy en 1892. 3. - Nancy: Dans cette ville, travaillent Desfeuilles (de 1820 à 1838) qui cède son fonds à Hinzelin; Lacour (de 1830 a 1835), date à laquelle il cède son fonds à Dembour; Delhalt, fondé en 1879, rachète le fond Dembour et cède son commerce en 1919 aux Arts Graphiques de Jarville; Ferry (de 1880 à 1913) cède également à cette époque son fonds à la meme fabrique, qui devient de nos jours “Societe des Imprimeries réunies de Jarville-Nancy”, laquelle possède maintenant les fonds Dembour, Gangel, Didion, Delhalt, Haguental et Vagné, ces deux dernières maisons de Pont-à-Mousson. 4. - Pont-à-Mousson: Haguental (fondé en 1849) cède son fonds en 1880 à son ancien employé Marcel Vagné, dont l’un des fils fondera l’Imagerie de Jarville en 1906 (voir Nancy). Vente et Colportage Comme toute image populaire, les jeux de l’oie, surtout ceux qui avaient quelque apparence de propagande politique ou religieuse étaient, bien entendu soumis aux lois et règlements sur l’imprimerie et le colportage. Avant la mise en vente, ils devaient étre déposés en trois exemplaires au “Bureau de l’Imprimerie et de la Librairie” du Ministère de l’Intérieur, lequel donnait reçu et autorisation à l’imagier avec le timbre: “Vu et approuvé, Paris le...” suivi d’une signature. Ceci n’excluait pas la formalité du Dépot Légal et nous avons constaté avec étonnement que le portefeuille non classé du Cabinet des Estampes de la Bibliothèque Nationale, ne comprenait ou à peu près que des exemplaires en noir bien que nous sachions pertinemment, que beaucoup de ces jeux fussent vendus coloriés, certains meme sont déposés avant la lettre, sans titre et sans règle du jeu; l’imagier faisait ainsi l’économie du coloris, petite parcimonie bien traditionnellement française, l’obligation de depot n’exigeant point un tirage achevé. En province, l’autorisation était donné par la Prefecture, et les jeux lorrains, sous le Second Empire, portent la mention imprimée: “Déposé P. V.” ou “Deposé M. M.”, c’est-à-dire Vosges ou Meurthe-et-Moselle. Quant aux jeux destinés au colportage, ils étaient revétus obligatoirement au dos d’un timbre humide: “Sureté Générale, colportage” et le nom du département. Les jeux “demi-fins” étaient vendus par les imagiers eux-memes tout le long de la célèbre rue Saint-Jacques à Paris et s’offraient en plein vent à la curiosité des acheteurs. Ceux de grande qualité, comme les jeux historiques, géographiques ou sur la mode, étaient gardés en portefeuilles à l’intérieur des boutiques et les De Fer éditaient régulièrement de petits catalogues-prospectus qu’ils remettaient à leurs clients ou envoyaient à leurs revendeurs de province. Ces derniers jeux valaient relativement assez chers, de 3 à 5 livres pour les exemplaires en noir et de 5 à 7 livres pour les planches coloriées. Les jeux d’accent populaire ou de colportage étaient vendus par les grossistes ou les représentants qui parcouraient la province, à des prix variant de 2 à 5 francs la douzaine. Les images d’Epinal coutaient moins encore et nous en avons nous-memes achetées vers 1935 dans un grand bazar parisien, au prix de cinquante centimes la pièce. De nos jours, les jeux de l’oie sont rarement vendus en feuilles; présentés sur carton ou sur toile, dans des étuis ou des boites plus ou moins luxueuses avec leurs accessoires: cornets dés et marques - souvent de petites oies moulées - ils sont aussi offerts avec d’autres jeux (cartes dominos, roulettes) dans des coffrets hétéroclites dénommés “Jeux de Société” ou “Jeux des Familles”. Ces tableaux de jeux de l’oie n’ont aucunement l’aspect populaire et sont reproduits par procédés photomécaniques. Bien souvent, ils portent des noms adaptés aux circonstances ou à la mode qui cherchent à masquer l’humilité du jeu sous les noms de “Jeux de l’Ile au Trésor”, “Jeu de Courses”, de “Steeple-Chase”, d’”Automobiles”, de “Sous-Marins” ou d’”Avions”, avec des règles compliquées et savantes. Nous ne connaissons de nos jours que deux essais intéressants, le “Jeu de Paris” du au pinceau de Madeleine Luka, et le spirituel “Jeu de Ma Mère l’Oie” de l’humoriste Jean Effel. Les Artistes et les Collectionneurs Les imagiers, tels les Mariette ou les De Fer, qui étaient eux-memes d’excellents graveurs n’ont pas manqué de faire appel à des artistes réputés, pour certains jeux dont l’exactitude, la finesse d’exécution ou l’ornementation étaient une garantie de succés. Si les artisans du bois sont quasi anonymes, quelques graveurs en taille-douce, sinon prestigieux, tout au moins bien connus, n’ont pas dédaigné d’apposer leur griffe au bas d’un tableau de jeu de l’oie. Aux XVIIe et XVIIIe siécles, apogée du cuivre gravé, nous relevons sur des planches venues à notre connaissance les noms de Noel Cochin, demi-frére du grand Charles-Nicolas, de Aveline, de la célèbre lignée des graveurs, de de Phainx et de Pierre Lepautre, qui fut par ailleurs un grand sculpteur. Par contre, nous ne connaissons aucune signature remarquable à l’époque romantique, pourtant fertile en graveurs, non plus d’ailleurs que dans tout le reste du siècle. Il nous faut arriver à l’époque contemporaine, pour que les jeux sur l’actualité, la publicité ou la propagande soient signés des noms de nos meilleurs artistes: Benjamin Rabier, Lucien Boucher, Guy Arnoux, ceux-ci imagiers par excellence, ou par nos humoristes: Lucien Métivet, Jacques Touchet, Gus Bofa, Peynet, Henri Monier, Beuville et Jean Effel. Son intéret artistique et sa valeur documentaire n’ont pas échappé aux grands collectionneurs d’estampes sur l’Histoire qui ont ouvert leur précieux cartons aux jeux de l’oie, tells qu’ils figurent dans les recueils du baron Jérome Pichon, de Hennin ou de De Vinck. Mais son caractère populaire séduit aussi bien les amateurs d’imageries de notre époque qui lui donnent un rang honorable dans leurs portefeuilles, tels ceux de MM. Aynaud, Duchartre, André Dupuis, P. Prinet et Saulnier, qui ont bien voulu les entr’ouvrir pour notre documentation et à qui nous renouvelons encore toute notre gratitude. Les Jeux de l’Oie à L’Etranger Il est difficile de dire si notre jeu est né en France plutot qu’a l’étranger, ou si cette éclosion appartient plutot à un pays qu’à un autre. On nous a signalé en Allemagne un jeu de l’oie “macabre” inspiré de la fameuse danse du meme nom qui aurait paru au XVIIe siècle, mais nous n’avons pu vérifier exactement le fait. Strutt et nombre d’auteurs indiquent le jeu de l’Oie comme étant d’origine allemande, en particulier le P. Ménestrier, qui fait un jeu de mots à propos de ganz (oie) et gang (marche), parce que l’oie marche sur le tableau... Mais ni lui ni les autres n’étayent sérieusement leurs dires. Nous connaissons des jeux allemands du XVIIIe siècle, en particulier un “Jeu du Tour du Monde” et un jeu figuratif de l’”Homme aux Sept Saucisses”, édités à Nuremberg et analogues au jeu de l’oie, mais aucuns jeux classiques, si ce ne sont, au XIXe siècle, quelques tableaux inspirés de l’Imagerie Lorraine édités à Neu-Ruppin, près de Berlin. Nous sommes beaucoup mieux renseignés sur les jeux italiens, et la collection D’Allemagne en possède un bel échantillonnage, dont celui de Coriolano, de Venise (1640), dont nous donnons la reproduction (pl.1). Il est contemporain des premiers jeux francais connus et l’un des plus beaux specimens que nous ayons vu comme ancienneté et qualité de gravure. C’est pour cette raison que nous l’avons représenté dans cet ouvrage. Nous avons dit que Vaccari indiquait des Jeux de l’Oie ainsi que des Jeux de la Chouette à son catalogue dès 1614; ceci a pu nous faire supposer que les jeux italiens seraient antérieurs aux notres, et auraient été introduits en France pendant les guerres d’Italie, mais l’origine française de Vaccari peut aussi bien nous faire supposer le contraire. Les jeux italiens sont d’une extreme variété, et nous en connaissons du XVIIe siècle magnifiquement gravés sur bois; cependant, la taille-douce est représentée à cette époque et au XVIIIe siècle par de nombreux spécimens dont les règles s’inspirent des Jeux de l’Oie ou de la Chouette: “Jeu de l’Epaux et de l’Epouse”, “Jeu de l’Aigle”, “Jeu du Voleur”, “Jeu de l’Ecrevisse”, la plupart édités par Mitelli de Bologne. Les jeux flamands ou néerlandais ne semblent guère apparaitre qu’a la fin du XVIIe siecle, et nous possédons de cette époque un jeu figuré par un serpent lové sur lui-meme (slange spel) et gravé sur bois dans une tradition bien caractéristique. Dans les jeux du XIXe siècle, la règle du jeu est souvent bilingue (flamand et français). Selon Drost, on pratiquait au XIVe siècle dans le Brabant un jeu nommé aussi Jeu de l’Oie (gansspel), le quel jeu fut interdit par les échevins de Bruxelles en raison de son caractère hasardeux et spéculatif; mais cet auteur ajoute qu’il n’a pu trouver aucun renseignement qui permette qu’on l’assimile à notre jeu actuel. Nous ne connaissons que de très rares specimens anglais sous le nom de snake-game (jeu du serpent), tout au plus sont-ils du XVIIIe siècle. Les gravures du début du XIX siècle sont souvent à des fins moralisatrices ou historiques lorsqu’elles ne sont pas des gravures de mode, souvent importées de France, comme nous l’avons dit par ailleurs. Malgré nos recherches, nous n’avons pu trouver ni décrire de jeux à l’imagerie espagnole ou russe.

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